Au fil des jours 2
Le 10 06 2023 :
Un bol renversé sur la table
des miettes de pain comme sable
le silence blanc redoutable.
La mort a frappé, intraitable
un homme âgé et vulnérable
le maître des lieux révocable,
chacun sait que rien n’est durable
et nul n’est indispensable.
Nous naissons par chance improbable
pareils au ruisseau tarissable,
fragiles guerriers incapables
pour payer nos fautes coupables.
*****
Le 13 05 2023 : 442 haïkus)
L’homme stupéfait
épuisé il étouffait
la mort triomphait.
*****
Leurs fronts se frôlaient
au-dessus du lit douillet
l’enfant consolaient.
*****
Au bout du chemin
un horizon opalin
annonce demain.
*****
La colère aux yeux
dans leur défilé haineux
projettent des feux.
*****
Le vent doucement
comme un beau prince charmant
n’est que sentiments.
*****
Partir pour toujours
visiter le monde autour
retrouver l’amour.
La femme sauvage
vivra sa vie sans partage
jusqu’à son naufrage.
*****
La main de l’enfant
se réfugie tendrement
dans ta main, maman.
*****
Portée par le vent
la feuille morte souvent
s’en va au levant.
*****
Le 09 05 2023 :
une victoire par le sang
et pourquoi toujours se réjouir
de ces terribles souvenirs ?
Tous les cadavres mutilés
par le feu et le fer pilés
n’auront aucune utilité
en avançant la vanité.
Il n’est pas de gloire à tuer
ni d’honneur à perpétuer.
Seule la paix dans l’harmonie
mérite une cérémonie.
Avant que reviennent
la peur, la terreur, la haine
sur le monde en peine.
*****
Il en faudrait peu
de ces êtres lumineux
pour éteindre un feu.
*****
Qu’un soldat s’avance
pour que cesse la violence
et vive l’enfance.
*****
Les peuples s’enfuient
dans la tourmente et la pluie
ils se sacrifient.
*****
Les larmes des femmes
pour que se taisent les armes
et la guerre infâme.
****
La guerre et la guerre
toujours l’enfer délétère
des gens qu’on enterre
sans une prière
alors que les primevères
viennent en pleine lumière
pour que l’on espère
abattre toutes frontières
combler tous les cimetières
où dorment nos pères.
Osons une nouvelle ère
sans idée guerrière.
****
Le 28 04 2023 :
partis sur la pointe des pieds
avec leurs terribles secrets
ils nous ont laissés désœuvrés
chargés de toutes nos questions
prisonnières de nos baillons.
Nous nous aimions, nous nous parlions
des gens que nous rencontrions
mais sur votre vie nous gardions
le silence noir des prisons.
Mère, où est la petite fille,
père, étais-tu l’enfant tranquille,
d’où me vient donc cette colère
qui trop souvent me jette à terre.
Votre monde n’est pas le vôtre
il n’était pas peuplé d’apôtres.
Vous restez derrière la porte
et nous, le diable nous emporte.
*****
Le 26 04 2023 :
Tu porteras toujours la croix
de ce petit enfant je crois
que tu aurais dû protéger
comme tu étais engagé.
Cependant ton seul héritage
fut une humanité sauvage.
Partout règnent le feu, le fer,
le monde livré aux enfers.
Est-ce ainsi qu’on aime un enfant,
un petit être dépendant ?
Tu porteras toujours ta croix
homme maudit de peu de foi.
*****
Le 25 04 2025 :
L’enfant que nous avons été,
par tout ce temps fut emporté
avec tous ses espoirs secrets,
ses déceptions et ses regrets.
Il ne reste qu’une chanson
dispersée aux quatre horizons.
Les vieilles rancœurs se réveillent
car en ce bas monde tout se paye.
Où nous faudra-t-il rechercher
les miettes d’un bonheur caché
avant de se voir terrassé
quand trop d’épreuves ont passé.
*****
Le 22 04 2023 :
souffrent et se démènent
pour enfin voir du mieux,
pour vivre un peu plus vieux.
La vie est un boulet
que l’homme doit porter,
il ne voit pas d’espoir
alors que tout est noir
aussi il vit de rêves
qu’il va suivre sans trêve
ainsi font les lucioles
que la lumière affole.
****
Dans cette rue où ils vivaient
le monde entier leur ressemblait
tous étaient d’excellents Français
avec un accent portugais
kabyle, arabe ou bien maltais
on ne les contrôlait jamais
tous amoureux de la nature
tous amateurs de ganja pure
leurs parents ont servi la France
dans une guerre, une souffrance
on ne voit que leur différence
on les traite sans déférence
*****
Ainsi vont les hommes
comme les feuilles d’automne
au vent qui frissonnent.
*****
Les femmes brimées
au foyer sont arrimées
brisées abîmées.
*****
Que vienne le temps
des belles chansons d’enfants
lancées dans le vent.
*****
Il n’est pas pressé
le vieil homme tout froissé
jamais angoissé.
*****
Plus de tristes vers
plus de mélopées d’enfer.
Non au froid d’hiver,
les saisons vont à l’envers !
Trop de pleurs amers,
de bouquets jetés en mer,
va-t-en Lucifer
te perdre dans un désert.
Le bonheur offert
nous avons bien trop souffert.
Ces lugubres vers
nous rongent comme des vers.
*****
Le 14 04 2023 : (431 Haïkus)
Une larme coule
sur la peau d’un vieux sapin
quel est ce chagrin ?
*****
Refermer la porte
et que le diable m’emporte
comme feuille morte.
*****
Le bruit du canon
tout autour de nos maisons
défie la raison.
*****
Il a pris ma main
pour marcher sur le chemin
sourire mutin.
*****
Le 11 04 2023 (430: Haïkus)
Quitter le sommeil
s’ouvrir enfin au soleil
du matin vermeil.
*****
cet homme accroupi
que l’on dirait assoupi
d’alcool abruti.
*****
Le gros chien subit
les coups d’un maître endurci
docile et soumis.
*****
La douce chanson
pour bercer le nourrisson
donne des frissons.
*****
Le 10 04 2023 (429: Haïkus)
Silence figé
la terreur de fin du monde
plus de vie humaine.
*****
Il marche à grands pas
il sait où il doit aller
quelqu’un l’appelle là-bas.
*****
Deux êtres qui s’aiment
ils se tiennent par la main
au long de leur vie.
*****
Le soleil se lève
dans le ciel teinté de sang
comme un fruit croqué
*****
Le 09 04 2023:
au maître qui l’avait prise.
Un bébé venait tous les ans
qui s’imposait pour trop longtemps
un fauve lui mangeait la vie
sans se soucier de ses envies
sans s’intéresser à ses rêves
murmurés dans ses nuits de fièvre.
Des jours à laver des chemises
ça vous use et ça vous épuise
jusqu’à ce que la mort délivre
maman la douce, la naïve.
*****
Le 07 04 2023: (428: Haïkus)
Le
charmant sourire
qui
nous avait fasciné
ne
vit que dans le passé.
*****
Presque
insignifiant
un
oiselet au printemps
salue
le levant.
*****
Le
cadre est tombé
et
le verre s’est brisé
au
sol répandu.
*****
Une
mèche au vent
frissonnait
devant le front
de
l’adolescent.
*****
Le 06 04 2023:Cette chanson qui vient de loin
parler d’embruns et de marins
elle emporte nos cœurs en voyage
découvrir d’autres paysages.
Ici la vie trop monotone
sans été, l’éternel automne
une existence de tristesse
la vie nous déchire et nous blesse
les êtres que l’on a aimés
ont disparu à tout jamais
et notre face dans nos mains
nous pleurons sur nos lendemains.
*****
Le 05 04 2023: (427: Haïkus)
La gifle a claqué
sur la face de l’enfant
petit innocent.
*****
Les pas des soldats
au travers des champs de blé
creusent un sillon.
******
Le chant sur l’enclume
le marteau du forgeron
réveille au matin.
*****
Belle demoiselle
son beau rire cristallin
lave le chagrin.
*****
Le 04 04 2023: (426: Haïkus)
L’homme a sa fenêtre
qui observe l’horizon
la plaine déserte.
*****
Les vagues têtues
viennent se heurter sans cesse
contre les rochers
*****
On n’entend que ça
que les cris et la fureur
de ceux qui mourront.
*****
Chante ta chanson
celle que tu as apprise
avec ta maman.
****
Le 03 04 2023:
Voici le joli mois d’avril
le soleil sort de son exil,
les champs de blé, douce Madame
de bouquets chamarrés s’enflamment.
Pourtant notre joie légitime
semble avoir sombré dans l’abîme.
Le froid habillé de tristesse
emporte les belles promesses
trop de pauvreté et de guerres
l’humanité se désespère
les yeux fixés sur l’horizon
elle s’épuise en oraisons.
*****
Le 28 03 2023 : (420 Haïkus)
se voudrait mariée.
*****
Ces rêves brisés
et ces espoirs méprisés
bannis, remisés.
*****
Rien ne sera plus
comme tu l’avais voulu
ce temps révolu.
*****
Fine caravelle
en cette saison nouvelle
croise aux Dardanelles.
*****
Le 26 03 2023 : (421)
Je suis toujours vivant, debout parmi les morts.
Le front appuyé aux carreaux de la fenêtre,
Je regarde passer le lent convoi des êtres.
La sombre menace des nues à l’horizon
pèse de tout son poids comme une trahison.
Une attente, un espoir impatient dans les cœurs
des enfants lassés de vivre dans la frayeur.
Oubliées, les chansons apprises à l’école,
les amours secrètes, les promesses frivoles
devant nous s’est ouvert le temps du désespoir ;
la bouche effrayante d’un long tunnel tout noir.
*****
Le 25 03 2023 : (419 Haïkus)
détestent la vie sur terre
ne s’amusent guerre.
*****
que ce monde détraqué
on l’a fabriqué.
*****
On redoute le ciel
aux couleurs dorées de miel
promesse de fiel.
*****
Le sens d’un sourire
pour étendre son empire
trompe et même pire.
*****
Ma mère, dans ton paradis
assise auprès de ton mari,
tu es de nouveau jeune et belle
avec ta robe de dentelle.
As-tu enfin trouvé la paix
oublié le monde imparfait
et vos incessantes querelles
qui venaient chaque jour en kyrielles.
Maman, j’arrive près de toi,
je me blottirai dans tes bras
comme jadis, tout là-bas
dans l’épouvante des combats.
*****
Les larmes versées
par des femmes agressées
toujours offensées.
*****
Maudit soit celui
que le mal aura conduit
au seuil de la nuit.
*****
L’homme est incomplet
s’il n’a pas à son côté
un chien adopté.
*****
Dans le ciel là-haut
des nuages d’étourneaux
comme un grand drapeau.
*****
Dans ses yeux d’enfant
vit le monde triomphant
celui des vivants.
*****
La chanson d’amour
répétée au fond des cours
la joie tout autour.
******
Comment vivre encore
au milieu de tous ces morts
de l’aube à l’aurore.
*****
Que restera-t-il
des doux aveux infantiles
un rêve subtil.
****
Le 18 03 2023 : (414 Haïkus)
La roue sur les pierres
du chemin de la carrière
longe la rivière.
*****
Mais où va l’oiseau
ce merle ou cet étourneau
parmi les roseaux.
*****
Chargée de tristesse
belle comme une déesse
au port de princesse.
*****
Ta main sur mon bras
depuis bien longtemps s’ancra
elle y restera.
*****
Le 17 03 2023 : (413 Haïkus)
Partir sans regret
partir sans se retourner
laisser le passé.
*****
La feuille d’automne
aux beaux reflets roux et jaunes
n’émeut plus personne.
*****
Que rêvent les hommes
un lourd sommeil les assomme
le mal les transforme.
*****
Ton front sur ma peau
est un merveilleux cadeau
précieux comme l’eau.
*****
Le 16 03 2023 : (412 Haïkus)
L’inconnu au loin
perdu au bout du chemin
a des yeux malins.
*****
Le vent caresse
avec beaucoup de tendresse
les blés des abbesses.
*****
Le chardonneret
sur la branche d’olivier
chante guilleret.
*****
Tu n’iras jamais
dans ce monde trop parfait
dont Dieu nous parlait.
*****
Le vent cette nuit
poussa des cris de gorille
et d’étranges trilles.
*****
Devant leur école
des filles faisaient les folles
dans leur farandole.
****
Le premier frisson
deux enfants à l’unisson
chantent leur chanson.
****
Le regard porté
sur un beau rêve avorté
plein de volupté.
*****
Le 14 03 2023 : (410 Haïkus)
Comme une chanson
c’est un délicieux frisson
de fleurs aux buissons.
*****
Et le bruit de bottes
résonne comme une faute
au chant des despotes.
*****
Quand viendra le chant
à la gloire des enfants
la fin des méchants.
*****
La goutte de lait
entre ses lèvres perlait
l’enfant s’endormait.
*****
Le 13 03 2023 : (409 Haïkus)
Dans la main fermée
une vie qui est passée
partie en fumée.
*****
Elle a dit je t’aime
alors il a fait de même
la vie les emmène.
*****
Le ruisseau s’épuise
et sa vie est compromise
sa force agonise.
*****
La lueur là-bas
qui décline sans fracas :
un rêve au trépas.
*****
Cet homme brisé
revit à tout petits pas
son lointain passé.
*****
La cloche au beffroi
vient jeter encor l’effroi
ce matin de froid.
*****
L’enfant à genoux
se répète des mots doux
rêve de bisous.
*****
Le soldat couché
à la poitrine touché
ne peut plus bouger.
*****
Le 11 03 2023 : (407 Haïkus)
L’oiseau dans le ciel
redit la beauté du monde
ivre de soleil.
*****
En longeant le pont
les deux amants s’en vont
vers ce qu’ils seront.
*****
Il a tant promis
sa maison des tamaris
elle dira oui.
*****
Le cheval fourbu
ne se relèvera plus
il en a trop vu.
*****
À l’instant la nuit tombe
Boum ! Il goutte des tombes
partout sur l’univers
nous tournons à l’envers.
Comme un vent de folie
de France à l’Australie
l’humanité s’égare,
nous sommes des Icare
nous nous brûlons les ailes.
Dessus les citadelles
partout pleuvent les bombes
qui chantent l’hécatombe.
Les princes qui gouvernent
avec leurs balivernes
répandent la discorde
en promettant la corde.
Dieu ! Où vous cachez-vous ?
L’homme est devenu fou !
*****
sur le temps d’ici-bas
qui marche d’un bon pas
et nous mène au trépas.
La vie est un banquet,
des fleurs en un bouquet,
dont on doit profiter
en jouir sans hésiter
nos jours nous sont comptés
sans aucune équité.
Vis, mon frère poète
chaque heure est une fête.
*****
Penché sur l’écritoire
il invente une histoire
pour raconter le rêve
d’un soleil qui se lève
d’un amour qui veut naître
et réunir deux êtres.
Mais le conte inventé
sera-t-il vérité ?
Il suffirait qu’ailleurs
languisse un autre cœur
esseulé sur la lande
que le Seigneur entende.
*****
poursuivre un seul rêve
dès que le jour s’achève
maîtriser son destin
rechercher son chemin
mériter le nom d’homme
tout assumer en somme
de victoire en défaite
d’une vie imparfaite
ne pas baisser la tête
ne pas battre en retraite
Dieu, qu’il est difficile
notre univers hostile
toutes ces tentations
mènent en perdition.
Protéger sa famille
ses fils et puis ses filles
son épouse gentille
et sa grâce infantile.
*****
Le ciel fait grise mine
les nuages culminent
le vieil homme chemine
sur la route il rumine
que sa vie se termine
dans la nuit d’opaline
il redit la comptine
de sa maman câline
occupée en cuisine
elle évoquait la Chine.
L’horizon se dessine
à la pointe sanguine.
Marche, pauvre vieillard
pour chasser ton cafard
*****
L’oiseau léger qui vole
au-dessus des coupoles
ne doit pas nous tenter :
dans le monde éhonté
l’homme aussi sait voler
tout orgueil oublié,
il ose massacrer
comme l’aigle sacré
il n’est rien à envier
aux tigres de papier
nous sommes tous capables
innocents ou coupables
du meilleur et du pire
le mal est nore empire.
Sur l’épaule jeté
l’ample manteau de brume
il revient fatigué
des souvenirs posthumes.
Il voulait visiter
le monde et son histoire,
pour se les raconter
se remplir la mémoire
avant de revenir
dans son pays natal
enfin se recueillir
sous le ciel de cristal.
Il ne veut plus marcher
il n’a rien découvert
la vie l’a détaché
il revient de l’enfer.
*****
Le monde serait beau
sans ce fatal fléau
qui pourrit les ruisseaux
et chasse les oiseaux.
Il détruit tous les rêves
des remparts il élève
des murs infranchissables
des peurs insurmontables.
L’autre est cet ennemi
ce monstre compromis
dans toutes ces horreurs
justifiant la terreur.
Le 17 02 2023 : (395)
La jeunesse pressée
trop souvent agressée
se cherche un idéal
de voyage spatial
de destin impérial
tout sauf familial.
Nous la voyons courir
droit vers le souffrir,
mais que pouvons-nous dire
qui ne soit pas délire ?
Les années qui défilent
font de nous des fossiles.
*****
Le 16 02 2023 : (394)
Pourquoi t’en prendre à Dieu ?
C’est abuser des vieux !
Si tu n’es pas heureux
tâche de vivre mieux
d’être moins sourcilleux
de moins traîner au pieu.
Travaille à ton bonheur
fixé sur ton labeur,
n’attends plus rien des autres
il n’y a plus d’apôtre
Quelque part en ce monde
on veut que tu répondes.
*****
Le 15 02 2023 : (393)
Le monde tressaille d’effroi
à chaque fois que, maladroit,
l’homme déclare une guerre
pour engendrer une misère.
Il est toujours de grands savants
pour expliquer nos bas penchants
pourquoi ne nous disent-ils pas
comment ne pas sombrer si bas ?
Les petites voix de raison
ne s’élèvent pas par foison
et l’humanité résignée
ne restera pas épargnée.
Le 14 02 2023 : (392)
Ces injonctions d’aimer
sur le calendrier
blessent les amoureux
On aime quand on veut
Cet ange délicieux
rebelle et capricieux
se montre généreux
et souvent coléreux
est rétif à ces chaînes
reste le capitaine
de tous calendriers de la mi-février.
Le 12 02 2023 : (391)
Cherche dans ton triste passé
les instants qui t’ont fracassé
que toujours tu as ressassés
impuissant à les surpasser.
Clos la porte de ton esprit
à tous ces souvenirs maudits
vis enfin des jours inédits
que tu te pensais interdits,
le beau est encore en ce monde
qui montre trop souvent l’immonde.
Notre existence est bien trop brève
prends la avant que ne s’achève.
*****
avec ses ports et ses amers
toujours des bateaux en partance
pour des archipels de vacances
toujours des malles oubliées
toujours des voiles repliées
des rêves qu’on a sacrifiés
et tant d’efforts gaspillés
au nom d’un avenir rangé
paisible et sans aucun danger.
Ainsi notre jeunesse passe
et sur le sable elle s’efface.
*****
L’homme marche à tout petits pas
où va-t-il, il ne le sait pas.
Il s’engage dans la venelle
pris par une fièvre nouvelle.
Il recherche sa belle enfance
le temps béni de l’innocence.
Personne ne l’a remarqué,
c’est une ombre des temps passés,
un être qui n’existe plus
aux oubliettes révolu.
Il fut pourtant un beau jeune homme
croquant la vie comme une pomme
*****
Le 07 02 2023 : (388)
le jardin restera mutique,
en proie au silence pudique.
Le printemps voudrait se montrer
mais où s’est-il séquestré ?
De quoi voudrait-on nous punir ?
Le temps figé sans avenir,
Je voudrais tant qu’une mésange
au rouge-gorge se mélange
pour le triomphe du printemps
offert aux hommes méritants.
*****
Le 06 02 2023 : (387)
Il suffit d’un rayon de soleil
pour nous tirer du grand sommeil,
de l’appel d’un petit enfant
pour nous propulser droit devant,
puisque la vie n’est qu’une attente
une longue quête hésitante.
On voudrait un amour parfait
comme ceux que l‘on décrivait
dans les légendes d’autrefois
où la belle dans le beffroi
attendait le fils d’un grand roi
qui aurait pu être toi ou moi.
*****
Bien sûr, n’oublions pas l’amour
qui devrait éclairer nos jours.
Bien sûr, n’oublions pas le monde
qui nous entraîne dans sa ronde.
Surtout, n’oublions pas nos frères
qui se partagent leur misère.
Cela nous consolera-t-il
du désenchantement subtil
et de cette inhumanité
marquée par tant d’indignité ?
Pourquoi obsédés par le temps
vivons nous en nous tourmentant ?
*****
Le 04 02 2023 : (385)
On voudrait garder avec soi
les merveilleux premiers émois,
la belle candeur d’un serment
que l’on prononce tendrement,
la récompense d’un sourire
d’une caresse qui chavire.
Mais aujourd’hui si l’on tressaille
ce sont les ans qui nous assaillent
et nos pas hésitent toujours
nos randonnées ne sont qu’un tour
de notre jardin familier,
fini le chemin d’écoliers.
*****
Le 03 02 2023 : (384)
Finalement n’est-ce que ça,
se demandait le grand-papa
sur le perron de l’au-delà
parlait il de la vie ou pas
qu’il avait gravie à grands pas
ou évoquait il son trépas ?
Ses jours avaient filé tout droit
sans qu’il ne sache le pourquoi.
Il était là, désemparé
il ne s’était pas préparé
Finalement n’est-ce que ça,
la vie passée, la mort déjà.
*****
L’arbre nu pleure sang et eau,
l’hiver a chassé les oiseaux.
Les deux cœurs gravés au couteau,
sur le tronc cédé aux corbeaux
chantent Juliette et Roméo
qui s’aimaient au bord du ruisseau
à la saison du renouveau.
Un vieil homme sous son chapeau
se rappelle les jouvenceaux
qui se cachaient dans les roseaux
pour des voyages immoraux
délicieux frissons sur leur peau.
*****
C’est le premier soufflet
comme un coup de sifflet
pour rappeler à l’ordre
quand la rage déborde.
Pour la première fois
un rappel à la loi
et le bon compagnon
se transforme en démon.
Un coup de poing sous l’oeil
et commence le deuil
d’un amour outragé,
d’un amour ravagé.
Il ne restera rien
que victime et vaurien.
Un bonheur dévasté
un mâle fracassé
une femme détruite
réfugiée dans la fuite.
La peur mêlée de haine
la violence inhumaine.
*****
Les visages défilent
des amis de la ville
anxieux ou bien tranquilles
impatients ou dociles
à nos côtés un an
regagnent le néant
disparaissent souvent
dans les replis du temps
reste le souvenir
léger comme un soupir
d’un passant amical
au rire de cristal
*****
Au bout de cette route
il trouvera sans doute
le rêve qu’il suivait
d’aimer à tout jamais.
Rien d’autre n’importait
ce songe le portait.
À force de marcher
à force de chercher
il eut des aventures
qui laissent des blessures
mais d’un pas obstiné
il va comme un damné.
*****
Sur le grand tableau noir le maître a dessiné
un oiseau bigarré, un beau chardonneret,
de ceux qui vivent dans les blés et les guérets.
Dehors, le soleil brûlait l’air de cet été,
dedans, tous les enfants peinaient à respirer.
Un élève parmi les autres inspiré
repoussa de la fenêtre les deux volets
et un courant d’air salvateur a déferlé.
Sur le panneau de bois, l’oisillon réveillé
se mit à battre des ailes et à frissonner,
comme dans un rêve finit par s’envoler
ivre de sa liberté pour batifoler.
*****
Le 26 01 2023 : (377) Haïkus.
Bien avant l’été
un oiseau a décidé
d’aller parader
*****
Une longue plainte
terrible douleur non feinte
la mortelle étreinte
******
Où va l’animal
sur la berge du canal
au froid hivernal
*****
Les mains sur les yeux
de ce pauvre petit vieux
toujours silencieux.
*****
Saisir la beauté d’un sourire
qui au bonheur pourrait suffire,
l’éclat furtif d’un doux regard
dans la grisaille et le brouillard,
le piquetis des talons hauts
l’aile des cils comme un oiseau.
Telle une apparition magique
comme un tableau allégorique
ces présents que la vie nous donne.
Jeter ce qui nous empoisonne.
Que le voile noir se déchire
loin de nos yeux et les délivre.
*****
Le 22 01 2023 : (375)
Les ans nous pèsent sur le dos
comme un impossible fardeau
et ils blanchissent nos cheveux
nos jours se succèdent pluvieux
mais nous sommes toujours ensemble
tu me veilles et je te contemple
comme si nous avions vingt ans
avec le cœur toujours vaillant
Dieu sait comment sera demain
nous ne lâcherons pas nos mains.
*****
Pourquoi toujours se réveiller
le corps encore ensommeillé
dans cet univers imparfait,
parmi des hommes stupéfaits
de survivre tant bien que mal
guidés par l’instinct animal.
Partout cette ségrégation
protège les générations
et l’esprit pervers des nations.
Je rêve d’un grand tourbillon,
du réveil de notre conscience
et d’un retour de la confiance.
*****
Il a fui son pays natal
chassé par un conflit fatal
avec un sentiment létal
l’homme se muait en chacal.
La haine sur un piédestal
glorifiait un chant martial.
Il a laissé là ses souvenirs
et ses beaux rêves d’avenir
il a serré dans sa valise
quelques tricots, une chemise
pour recommencer une vie
si loin de sa terre asservie.
*****
Et si tu marches ou tu crèves
tu iras plus loin que tes rêves
du matin au jour qui s’achève
la passion au bord de tes lèvres
chante la beauté de ce monde
avant que le froid ne t’inonde
*****
Assis sur une chaise basse
il observe la vie qui passe
une existence à la ramasse
des gens qui rient et qui jacassent.
Fidèlement sur sa terrasse
devant sa porte il se prélasse
que d’autre voulez-vous qu’il fasse ?
Il a cassé de la caillasse
sous l’uniforme de bidasse
où l’on espérait qu’il trépasse.
Aujourd’hui il est bien trop vieux
pour espérer un peu de mieux.
Le ciel noir pleure sur notre monde
sur notre humanité immonde
qui brandit le feu et la mort
derrière les murs des châteaux forts.
Mais quand reverrons-nous le temps
de la fraternité d’antan ?
Nous courons derrière le vent
nous vénérons le dieu Argent,
le diable a perverti nos âmes
il a pourri princes et dames
et si nous rêvons aujourd’hui
c’est de la candeur qui s’enfuit.
*****
Je voulais écrire un long et savant poème
pour te raconter le doux sentiment extrême
qui m’anime et me fait vivre dès le matin
il me plonge dans l’attente de mon destin.
J’ambitionnais de choisir des mots délicats
ceux que le poète romantique trouva
mais après avoir lancé des appels suprêmes
je ne pus te murmurer qu’un pauvre je t’aime.
*****
Le 07 01 2023 : (368)
Les arbres sont nus
plus d’oiseaux dans mon jardin
plus de fruits charnus
le ciel rouge le matin
les nuages toujours pendus.
*****
il a plu cette nuit comme pleure un enfant
envahi d’un mystérieux chagrin étouffant.
Un désespoir soudain qui s’abat le matin
un châtiment divin, féroce et assassin.
Il a plu cette nuit et le temps qui s’enfuit
nos espoirs, nos secrets il emporte avec lui.
Vienne enfin le soleil pour éclairer le ciel
et repeindre avec des reflets d’or et de miel
pour sécher les ruisseaux, réveiller les oiseaux,
qu’une brise légère caresse les roseaux.
Il a plu cette nuit et cette eau salutaire
lavera tous les péchés de la pauvre terre.
*****
Sur le chemin des écoliers
naissent les rêves par milliers
les plus fous et les familiers :
traverser les mers en voilier.
Combien arriveront à terme
avant que leurs vies se referment
et le destin qui les gouverne
dans leur odyssée moderne
hisse bien haut une lanterne
à la cime d’une poterne.
Puis les poètes de jadis
glissent au fond du précipice
Le 2 01 2023 : (365)
Il est de ces matins
au ciel couleur de vin
où l’on aimerait bien
vivre sans lendemain.
Cette vie nous inflige
des maux qui nous affligent.
Rien ne sera jamais
comme ce qu’on rêvait
il faudra disparaître
partir ou se soumettre,
à la logique absurde
d’un sort de solitude.
****
Le 31 12 2022 : (364)
Les guirlandes sur le sapin
ne ravissent que les bambins,
la maman songe au lendemain
où elle se brisera les reins
en balayant avec entrain
toutes les aiguilles de pin.
C’est un ouvrage de titan
une peine sans jugement
qui se perpétue dans le temps
sans finir jamais cependant
répété encore et encore
pour tous les êtres qu’elle adore.
*****
Viendra le jour tant attendu
où il faudra bien entendu
rendre un compte au père éternel
comme le commun des mortels.
Je le rencontrerai sans peur
je lui dirai mon bon Seigneur
j’ai vécu sans jamais blesser
sans jamais oser délaisser
ceux que je devais protéger
dont je me sentais le berger.
Mon Dieu ferme derrière moi
la serrure de cet endroit
avant que ne vienne l’envie
d’entreprendre une autre vie.
*****
Qui entend encor
les sabots qui cognent fort
la corne du port.
*****
La tête penchée
de maman inquiétée
pendant la tétée.
*****
Cet homme arrogant
avec son air important
n’est qu’un vrai brigand.
*****
Le manteau de neige
dessus la nature vierge
comme un sortilège.
*****
Le 27 12 2022 : (362)
Tous les petits vieux
aujourd’hui ne sont pas mieux
dans ce monde odieux.
*****
Et la solitude
cette cruelle habitude
dure servitude.
*****
Trop de souvenirs
pour un trop mince avenir
que vienne enfin le mourir.
*****
Revoir leurs enfants
sera leur jour triomphant
sortir du néant.
*****
Le 26 12 2022 : (361)
Le chant militaire
sème un venin délétère
sur la terre entière.
*****
Quand viendra la paix
sur un avenir parfait
peut-être jamais.
*****
Parmi les étoiles
bien plus légère qu’un voile
l’âme virginale.
*****
Je voudrais ta main
garder jusqu’au lendemain
de la fin des fins.
*****
Et je m’en irai
de ce vieux monde imparfait
où tout devient laid.
*****
et notre univers s’écroule
la tourterelle roucoule.
*****
Qui nous le dira
qu’hélas on ne pourra pas
savoir plus que ça.
*****
La joie de l’enfant
au regard reconnaissant
envers ses parents.
*****
Le train mène au loin
des centaines de destins
qui vont vers leur fin.
*****
Qui saura jamais
tous le secrets que l’on tait
ceux qui nous ont faits
*****
Douce demoiselle
frappée de passion mortelle
se jurait fidèle.
*****
Le ciel enflammé
nous dit le plus bel été
qu’il n’aura jamais été.
*****
Le 21 12 2022 :(357)
La vie n’est plus rien
sans un futur incertain
à portée de main.
*****
Un enfant qui dort
tandis que gronde au dehors
la rumeur des morts.
*****
Le vent de l’automne
dans les récoltes bouillonne
colère brouillonne.
*****
Dans les temps de guerre
il n’est ni père ni mère
qui ne désespère
****
Où va-t-il si loin
le roi des oiseaux marins
vivra-t-il pour rien ?
*****
Un homme qui pleure
enfermé dans sa demeure
mesure les heures.
*****
Si le monde est triste
dans l’humanité autiste
désertons la piste.
*****
La femme nourrit
le nouveau-né tout petit
elle lui sourit.
*****
L’éclair dans le ciel
déchire tous les beaux rêves
des enfants des rues.
*****
Demain le ruisseau
se mêlera aux rivières
atteindra l’océan.
*****
Tout finit un jour
ainsi meurent les projets
usés par le temps.
*****
Je ne verrai plus
les amis de mon enfance
dispersés au loin.
*****
Les saisons qui passent
et nos aînés qui trépassent
rien ne les efface.
*****
Le roseau pensant
n’a pas trouvé cependant
la porte du temps.
*****
Ordonner à l’enfant
qu’il doit jouer calmement
c’est calmer le vent.
*****
Tu n‘as pas aimé
tu n’as jamais enduré
le mal des trompés.
****
Où est cet enfant
que nous avons fait ensemble
il ne nous ressemble
guère plus en grandissant
il est si loin que j’en tremble
qu’a-t-il fait de nos exemples ?
*****
Un verdict rapide
et la foule qui les lapide
ces amants traqués
ont été exécutés
pour s’être trop adorés
*****
Ce papier jeté
sur ce trottoir écarté
est-ce un mot d’amour.
*****
La sirène au loin
annonce un paquebot
regagnant le port.
*****
L’enfant suit l’aïeul
qui lui raconte sa vie
comme une merveille.
*****
Les heures captives
sous le verre de l’horloge
ressassent le temps.
*****
La neige s’envole
pétales de cerisier
au début d’automne
*****
Le sol enneigé
dissimule le secrets
du terrible été
*****
Cet homme devant
se déplace en titubant
pareil à l’enfant
Que vienne enfin le joli temps
des premières fleurs de printemps
des lilas parme et lilas blancs.
Que la glace quitte l’étang,
qu’on entende le joli chant
des oiseaux au milieu des champs,
et les cris joyeux des enfants
perdus dans leurs amusements.
Je ne veux plus jamais sentir
ce froid qui me fait tant souffrir,
qui compromet mon avenir
et engourdit mes souvenirs.
*****
est tombé dans le vin
comme il aime le rouge
il veut que rien ne bouge
il boit, il boit, il boit
un doigt, deux doigts, trois doigts,
jusqu’à ce qu’ivre-mort
heurtant sur tous les bords
il tombe sur le sol
dans un désir d’envol.
*****
Le 10 12 2022 : (348)
Je ne serai plus que silence,
je perdrai toute ma conscience
quand présent et futur effacés
dans le néant de mon passé
je me loverai dans tes bras
et j’accueillerai mon trépas.
Bientôt ce jour arrivera
Dieu seul quand il adviendra.
Si tout près de moi tu seras
le paradis nous recevra.
Et si tu veux vivre sans moi,
en enfer j’irai sans effroi.
****
*****
Le
07 12 2022 : (345)
J’ai
gaspillé bien trop de temps
à
pourchasser obstinément
les
rêveries de mon enfance
qui
me torturent quand j’y pense :
l’envolée
des plus fins voiliers
qui
ne cessaient d’appareiller
sur
le chemin des écoliers
que
je ne peux pas oublier.
Aujourd’hui
je suis étranger
dans
un perpétuel danger,
le
silence de cathédrale
comme
une menace fatale.
*****
J’ai gaspillé bien trop de temps
à pourchasser obstinément
les rêveries de mon enfance
qui me torturent quand j’y pense :
l’envolée des plus fins voiliers
qui ne cessaient d’appareiller
sur le chemin des écoliers
que je ne peux pas oublier.
Aujourd’hui je suis étranger
dans un perpétuel danger,
le silence de cathédrale
comme une menace fatale.
Le 06 12 2022 : (344)
Si le Créateur avait eu deux sous de jugeote, il aurait placé nos pieds au niveau des genoux. Il ne sait pas le mal que l’on se donne à lacer nos souliers à partir de cinquante-cinq ans. Il semble que nos bras rétrécissent chaque jour un peu plus.
******
Un rayon de soleil doré,
un cierge qu’on a éclairé,
l’étrange parfum de l’encens,
une cloche que l’on entend
chanter la sortie de la messe
et du dimanche la promesse.
Les petits bonheurs de l’enfance
la saveur de notre innocence.
Aujourd’hui, notre monde est fade
et nos jours trop souvent maussades.
Refaire un chemin à l’envers
abandonner enfin l’hiver.
*****
Marcher, avancer chaque jour
comme un cheval dans les labours
en traînant le poids de la vie
de nos regrets de nos envies.
Nous irons au bout du chemin
mus par un funeste destin
sans savoir où sera la fin,
sans maîtriser nos lendemains.
Pareillement vont les ruisseaux
charrier et porter leurs eaux
obstinément vers l’océan
ainsi allons-nous au néant.
*****
Elle voudrait qu’on l’aime encor
avec son âme avec son corps
avant que ses traits ne s’effacent
comme les nuages qui passent.
Elle aimerait mille promesses,
les beaux serments de sa jeunesse
qui ont séché dans son journal,
dans son petit carnet de bal.
Elle était devenue un port
où des soupirants presque morts
venaient jeter leurs illusions
le souvenir d’une passion.
Au fond de sa tête, endormis
des rêves d'étreinte à midi,
dans les bras d’un homme attendri,
un compagnon ou un mari.
*****
Peut-on aimer l’humanité
l’auteur de ces calamités
toutes ces guerres éternelles
qui massacrent, qui écartèlent,
il y a plus de compassion
dans le regard d’un nourrisson
que dans les yeux des généraux
et dans leurs refrains immoraux.
Qu’il vienne, ce divin sauveur,
pour nous délivrer de la peur,
j’aspire à ce matin radieux
qui me fera croire en un Dieu.
*****
La pluie déplace des montagnes
et tant de larmes l’accompagnent,
la nature parfois cruelle
à notre humanité rappelle
qu’elle dira le dernier mot
en nous infligeant tous ses maux,
les incendies et les orages
pour nous punir de ces ravages
qu’autour de nous, nous provoquons
en franchissant le rubicond.
Ah, la triste misère humaine
Dieu sait où cela nous emmène...
Dans les tourbillons du torrent
nos souvenirs partent en courant.
Où sont nos moulins de papier
arraché à nos vieux cahiers,
et nos navires fabriqués
par le professeur confisqués
et tous nos rêves adorés
que les années ont dévorés ?
Tous les remous impétueux
dispersent ces instants précieux
que nous gardions dans notre cœur
pour nous préserver du malheur.
*****
J’aurai du mal à renoncer
à la douceur du temps passé,
aux serments d’amour prononcés,
aux matins dans les draps froissés,
aux frissons, au goût des baisers,
à l’appel d’un enfant caché
au chant de l’oiseau au printemps,
aux reflets d’argent sur l’étang,
au ciel de feu au couchant,
à la chanson d’un fou chantant,
à tous ces riens insignifiants
qui m’ont fait aimer le vivant.
Le 24 11 2022 : (335)
Longtemps, je me suis éveillé
avec l’esprit ensoleillé
et des projets pour la journée.
Aujourd’hui ma joie est mort-née
et je me demande au matin
si du jour je verrai la fin.
Les feuilles du calendrier
décomptent le temps gaspillé,
les heures passent en torture
et mon cœur n’est plus que blessures.
Je crains que mon chemin s’arrête
et que se termine la fête.
*****
Homme sage, tu chériras
à l’instant où tu périras
ton papa, ta maman et Dieu
qui habiteront dans les cieux.
Tu les retrouveras heureux
dans leur paradis mystérieux
où ils te feront une place
plus somptueuse qu’un palace.
Tu oublieras ta mort soudaine,
ta pauvre condition humaine
pour vivre en toute éternité
avec ceux que tuas aimés.
*****
Rejeter les ressentiments
qui enveniment notre sang,
oublier les mauvais moments
et dévorer bien goulûment
ce que nous offre le printemps,
laisser les morts au firmament
où ils vont éternellement
si loin de tous les vivants.
Ainsi chacun vivra son temps
dans l’insouciance des enfants.
Je veux finir paisiblement
****
Pourquoi revenir sans arrêt
sur le passé qui reparaît
pour encore nous tourmenter
nous meurtrir et nous torturer
nos parents n’étaient pas odieux
ils nous élevaient pour le mieux
ils ménageaient notre intérêt
pourquoi irions-nous déterrer
de vieux fantômes moribonds
qui ne réveillent rien de bon
chaque jour vient panser les maux
de nos souvenirs en lambeaux.
****
Le bleu dans le ciel
le rouge des feuilles vermeil
qui vola le blanc
*****
La pluie est tombée
tout au long de la journée
c’est la destinée
*****
Un petit enfant
déambule triomphant
parmi les passants
*****
Un oiseau tombé
qui donc l’aurait foudroyé
l’esprit dévoyé
*****
Ignorer ces temps tourmentés,
garder les bonheurs de l’été,
oublier les mauvais moments,
marcher d’un bon pas vers l’avant,
voilà ce que la raison
aurait voulu dans nos maisons,
mais nous hurlons notre colère
en face de tant de misères.
Nous serrons les poings et les dents
nous luttons à corps défendant,
emprisonnés dans une nasse
vaillants quand la mort nous menace.
Il courait à tout petits pas
il semblait ne respirer pas
pour ne pas perdre une minute
s’exposant au risque de chute.
Qu’est-ce qui ne pouvait attendre :
L’urgence d’un souvenir tendre ?
Le tourment de perdre un ami,
le réveil d’un mal endormi,
Non, le vieil homme si pressé
tenait à être confessé
afin de livrer ses péchés
avant de mourir empêché.
Non, jamais je n’effacerai
le doux chant des chardonnerets
que mon père et moi allions capturer
avec des nasses et des filets
pour les enfermer dans les cages
afin de jouir de leur ramage.
J’apprenais donc le cruauté
commune à toute humanité.
Est-ce ainsi qu’on doit élever
son enfant dont on a rêvé?
Ce jour me reste dans la cœur
cette tache qui me fait peur.
*****
Le 15 11 2022 : (326)
Là-bas, il est un ciel sauvage
qui ne verse jamais d’orage,
les arbres sont privés de fruits,
les oiseaux ne font pas de bruit,
le silence fige la terre.
On n’y prie pas ni ne vénère,
on subit les feux de l’enfer,
l’existence a un goût amer,
les hommes naissent pour souffrir,
pas de présent, pas d’avenir,
il leur faut payer leurs erreurs,
leur monde est livré à la peur.
IMAGES D’ENFANCE:
Moi, les vagues et les rouleaux.
Moi, l’écume comme troupeaux,
avec l’azur dessus dessous,
la caresse du soleil doux,
et le sifflet d’un compagnon
qui voudrait jouer au ballon.
L’odeur de la tomate frite
le sang d’une guerre maudite.
Gravir le vieux chemin de pierres
porter des fleurs au cimetière.
Les miens égarés dans la foule,
ballotés comme dans la houle.
L’avion décolle sur la piste
nous resterons muets et tristes.
Le 13 11 2022 : (324)
De longues écharpes de brume,
petit matin gris qui s’allume,
l’appel du clocher du village
comme perdu dans un naufrage,
des spectres recroquevillés
sur les chemins éparpillés
apparaissent et disparaissent
ce sont les âmes pécheresses
en quête de ce paradis
que le Seigneur leur interdit.
Dans cette fantasmagorie
survivre est une tromperie.
*****
Le temps dépose chaque jour
une dalle sur nos amours
il enterre nos souvenirs
pour nous empêcher de souffrir.
Notre vie s’envole en fumée
de notre mémoire abimée
et nos espoirs désespérés
aux oubliettes retirés.
Quand viendra l’heure de partir
nous irons comme des martyrs
présenter notre repentir
au Tout-Puissant pour en finir.
*****
Comme un mal profond
un grand froid dans la maison
revient sans raison
me tourmenter de questions
sur ma lente destruction
*****
Un rêve est passé
son sillage dans le ciel
creuse une balafre
*****
Où vont ces voiliers
qui parcourent le monde entier
pour des flibustiers.
*****
La perle de lait
sur ses lèvres de bébé
un rêve qui nait.
*****
Quand finira-t-elle
cette guerre de dentelles
querelle éternelle.
*****
Le feu prisonnier
dans votre cœur de papier
a tout incendié.
*****
Dessus le vieux fourneau en fonte
deux fers à repasser racontent
la triste histoire de maman
dont la vie serait un roman :
une famille et ses tourments
pour une fille subir ses parents
les lessives et le ménage
les années comme un engrenage
ne pas pouvoir se révolter
que des douleurs à récolter.
Voilà la dure condition
de la femme en soumission.
*****
Parfois me prend une terrible
envie de repeindre le monde
avec des couleurs plus paisibles
pour que le soleil nous inonde.
Du bleu pur dans le coeur des hommes
et que vienne enfin un espoir
de chasser le gris de l’automne
et de la tristesse le noir.
Partout la monstrueuse haine
transforme l’amical sourire
en laide grimace inhumaine
je voudrais l’amour reconstruire
*****
Le 07 11 2022 : (318)
Un dimanche de printemps, sur une terre lointaine qui n’existe plus. Ma famille était de sortie, à pieds. C’était un temps où les rares voitures n’envahissaient pas les rues et la télévision n’avait pas encore entrepris son œuvre néfaste en enfermant les gens dans leur maison. Maman guidait la poussette où gigotait mon frère, le dernier venu. Je tenais le guidon de la poussette d’une main, et de l’autre, je m’accrochais à ma petite sœur. Nous marchions de front sur le trottoir : maman, moi, ma sœurette et papa qui paraissait frais car nous avions attendu la fin de sa sieste pour nous rendre au jardin public. Sur la voûte des platanes, le soleil brillait, comme toujours. Nous, les gosses, nous étions impatients d’arriver dans l’ombre du parc où nous attendait le marchand d’oublies, ces délicieuses gaufrettes croustillantes et sucrées enveloppées dans un carré de papier blanc. Il attirait les gosses en faisant claquer une crécelle. Quand nous approchions de lui, il posait son énorme fût d’aluminium peint en rouge et nous servait en roulant des yeux gourmands.
Il nous fallait longer la grande avenue avant d’apercevoir enrochement d’une cascade qui marquait l’entrée du jardin public. Nous nous situions cent mètres à peine des toboggans, des balançoires, des trapèzes et des anneaux où s’agglutinaient des grappes de gamins. Malgré moi, j’accélérais le pas, pressé de jouer au singe sur les agrès.
Soudain, au bout de l’avenue, une énorme déflagration fracasse la petite musique diffusée par les manèges. Une bombe. Des corps humains sont projetés dans l’air, des cris, des hurlements d’effroi, des plaintes. Papa nous jette en arrière et nous nous mettons à courir. Haletants, nous revenons à la maison. Nous n’avons pas eu le temps de savourer notre oublie. Nous ne reprenons le pas que lorsque l’avenue se vide de ses fuyards. Un dimanche
comme tant d’autres, dans ce pays meurtri par la guerre.
*****
Mon regard sur toi
mon petit enfant mon roi
tu ne vois que moi
*****
Et tous les matins
l’astre du jour au lointain
fait son cabotin
*****
Partout dans la ville
des jeunes garçons et filles
forment des vœux difficiles
*****
Au sommet des lames
un frêle bateau entame
sa course à la rame
*****
Courir plus vite que le vent,
sans se retourner, droit devant,
fuir cet univers si violent
où il est bon d’être insolent
où l’on méprise les enfants
à l’heure du mal triomphant.
Que revienne enfin le temps
de ces amoureux exaltants
qui déclamaient sous les balcons
leurs plus délicates chansons.
Jamais plus nous ne reverrons
à genoux les jeunes garçons.
*****
La rose qui s’accroche encore
à cet automne qu’elle implore
pour une semaine de vie
quelques heures de poésie.
Nous tous dans notre solitude
usés par trop de lassitude,
nous espérons un an ou deux
avant de devenir gâteux
pour jouir de matins dorés
aux côtés de l’être adoré
et qu’ensuite notre destin
parvienne à s’accomplir enfin.
*****
Le ciel bleu d’azur
d’un bleu d’acier pur et dur
couvre nos futurs
*****
Le regard baissé
de pauvre animal blessé
l’amoureux laissé
*****
Sur la peau de l’eau
une balafre au couteau
l’aile d’un oiseau
****
Chaque jour, on crie plus jamais
de ces assassinats si laids
qui injurient l’humanité.
Des supplices non mérités
pour des compagnes asservies
à qui l’on a ôté la vie.
Un tyran cruel et pervers
à coups de poings ou révolver
perpétue le crime infâme
de tuer une faible femme.
Le progrès ne rien y faire
pour achever l’odieux calvaire.
*****
Quand viendra la fin du chemin
dans un mois, un an ou demain ?
Serai-je prêt au bon moment ?
Partirai-je résolument,
serein, sans une larme à l’œil
en abandonnant sur le seuil
mes remords avec mes regrets
pour accepter la vie d’après ?
Au terminus du long voyage
j’abandonnerai mes bagages
avec mon vieux corps fatigué
d’avoir beaucoup trop bourlingué.
*****
Le 29 10 2022 : (310)
je promène un pas fatigué,
un cygne alangui se faufile
dans un bouquet de joncs graciles.
Au loin, sur le miroir d’acier
les canards aux oies associés
mènent un bal désordonné
en poussant des cris passionnés
soudain le silence figé
accueille un soleil allongé.
Autour d’un étang familier
le jour se retire humilié.
*****
Dieu ! Dans quel monde vivons-nous ?
Nous faudra-t-il vivre à genoux
à implorer une clémence
de la céleste éminence
pour qu’elle consente à venir
s’occuper de notre avenir ?
Nos prières resteront vaines
toujours dominera la haine,
le cynisme des plus puissants
face aux faibles obéissants.
Peut-être enfin le jour viendra
où le Seigneur interviendra...
*****
Où partent les merveilleux rêves
les divagations des élèves
pendant l’ennuyeuse leçon
que nous tous connaissons ?
volent-ils tels des oiseaux
au-dessus des mers, des ruisseaux ?
Plongent-ils dans les profondeurs
pour échapper à la laideur ?
Ils sont là où sont tous les anges,
dans le ciel d’un bleu sans mélange,
où personne ne les dérange
où la beauté jamais ne change.
*****
Le 26 10 2022 : (307)
Quand l’homme se souciera plus
de sa piètre moralité
que de vulnérabilité
plus sage il sera devenu.
Dans son univers égoïste
il tremble de peur tout le temps
pour des périls inexistants
cerné de voisins terroristes.
Il ne connaît jamais de paix
le monde autour peut s’effondrer
pour lui, son bien le plus sacré
son argent dont il se repaît.
*****
Un rire d’enfant
détient ce charme innocent
des contes d’antan
*****
Neige sur le mont
habille de blanc coton
cet automne moribond
*****
Jeune adolescente
chasse la mèche impatiente
sur sa joue d’infante
*****
Cette vieille dame
affronta bien trop de drames
pour garder son âme
*****
L’homme, cet être si terrible
brise sa victime fragile
avec une rage imbécile.
Ce titan aux talons d’argile
détruit pour des raisons futiles
cause des morts inutiles.
Que l’on ne ma raconte pas
qu’il n‘est pour rien dans ces trépas
le désespoir à tous ses pas,
tous ces malheureux qu’il frappa
l’invective à chaque repas
la honte à celle qu’il viola.
*****
J’imaginais de grands voyages,
des dauphins bleus dans mon sillage,
mais je n’ai jamais rencontré
que des taillis enchevêtrés.
Je rêvais de beautés diaphanes
de sauvages catalanes,
mais j’ai surpris la décadence
de prétendus anges de danse.
Je me voulais de grands amis,
pour me guider au paradis,
hélas mes quelques compagnons
sont plus légers que papillons.
J’ai tenté de me fabriquer
sans compromis, sans abdiquer,
mais souvent je me suis couché
comme un chien qu’on a attaché.
Elle tenait son cœur ouvert
dès le printemps jusqu’à l’hiver,
elle espérait le grand amour
celui qui brûlera toujours
mais dans son tout petit village
les prétendants au beau visage
étaient des sots ou des méchants
des rustres qui allaient crachant
la jeune fille au désespoir
déserta par un triste soir
Nul ne sut où elle s’enfuit
toute seule au cœur de la nuit.
****
Le 18 10 2022 : (300)
Le cri de fureur étranglé
devant ce crime de cinglés
qui osent tuer l’innocente
dans un scénario d’épouvante
pour l’abandonner dans la rue.
Quelle morale dissolue,
quelle mentalité perverse
que l’inhumanité traverse,
aucune injonction ne pourra
ramener à la vie Lola.
Une autre horreur effacera
le souvenir. On oubliera.
*****
Dans notre belle capitale
avec une rage animale
des monstres ont exécuté
une fillette sans passé.
Un dégoût pour l’humanité,
un espoir qu’ils ont fracassé,
et je vomis sur notre espèce
pour l’enfance que l’on dépèce.
Je ne pourrai plus regarder
ces hommes fiers de parader.
Que leur âme brûle en enfer
qu’ils agonisent sous le fer !
****
Cet enfant qui court dans les champs
pour le plaisir de sa maman,
va cueillir des coquelicots
qui vont se faner dans un pot.
iI ne réfléchira jamais
qui est le dupe du marché,
un instant de satisfaction
pour la cruelle exécution
de ces tendres fleurs éphémères
pour le sourire d’une mère.
Les gamins au cœur délicat
agissent comme des malfrats.
*****
Le terme « ami » sur les réseaux
n’est plus que tristes oripeaux
pour déguiser un joli mot
et dégainer les grands couteaux.
Les insultes coulent à flots
on vous y attache au poteau
l’empathie nourrit les pourceaux
pour une amitié de ruisseau.
Les anges côtoient les bourreaux,
l’innocent passe à l’échafaud
l’humanité part à vau-l’eau.
*****
Le sillage vif des obus
tel celui des astres perdus
balafre le ciel incendié
par les canons éparpillés.
Quand les enfants lèvent les yeux
c’est pour implorer le bon Dieu.
Les femmes baissent le regard
sur tous les malheureux hagards.
La haine, la haine toujours,
la mort guette du haut des tours.
Mais quand donc ce pays meurtri
retrouvera son paradis ?
*****
La pierre emportée
par l’orage de juillet
jamais rejetée
*****
La douce chanson
que maman chante au garçon
remplit la maison
*****
Que cherche l’oiseau
qui vole toujours plus haut
peut-être un ruisseau
****
Le 12 10 2022 : (294)
Je guette le ciel nuageux
j’y cherche du bonheur, un peu,
à vivre seul ou bien à deux,
redonner vigueur à mon feu
entrevoir enfin la lueur
au bout du chemin de la peur
des larmes et de la sueur
et de la terrible fureur.
Je veux retrouver l’innocence,
la douce candeur de l’enfance.
Si là-haut le Seigneur existe,
qu’il vienne faire un tour de piste.
Le 11 10 2022 : (293)
Le sang sous ta peau opaline
un délicat réseau dessine
comme une source de vie
d’une volonté assouvie.
Si les cendres du temps passé
sur tes cheveux ont déposé
le nuage de la tristesse
qui lentement t’use et te blesse,
je refuse de voir cela,
je ne regarderai pas.
Seul m’importe que tu souries
à mes pauvres agaceries.
Ces dimanches de mes seize ans
à la table de mes parents
avec ma sœur et mes cadets
devant le repas préparé
nous nous racontions des bêtises
qu’au lycée nous avions apprises
je m’essayais à des amours
nous nous lancions des traits d’humour
maman remplissait nos assiettes
on plaisantait sur nos conquêtes.
Ces banquets sont déjà si loin
nous sommes tous des orphelins.
*****
Pourquoi faudra-t-il que toujours
errent sur tous les carrefours
des silhouettes en haillons
des femmes tendant leurs moignons
vers des passants indifférents ?
Ce sont des foules de migrants
qui ont fui guerres et misères,
qui ont traversé des frontières
pour mener une vie précaire
dans une nation étrangère.
En face de ce désespoir
nous allons sur l’autre trottoir.
******
Le 08 10 2022 : (290)
Cet inconnu dans le miroir,
je veux ne jamais le revoir :
il dit qu’il m’a connu enfant,
que nous sommes proches parents,
je devine très bien qu’il ment,
il ment déjà depuis longtemps
et me surveille constamment
pour m’emporter loin des vivants
demain, dans un mois, dans un an
il me pousse, il est impatient.
Je dois la suivre les mains vides
dans la nuit sa face livide.
*****
Dans l’épais brouillard de ma tête
se mélangent les jours de fête
les noms de mes anciens amis
indispensables aux temps jadis,
la douceur des primes amours,
quand je vivais au jour le jour
dans la merveilleuse insouciance
je renonçais à mon enfance.
Chaque matin, je fais le compte
des épreuves que je surmonte.
Le 06 10 2022 : (288)
Rimer serait un art sadique
qui nous démange et qui nous pique
qui laisse le cœur anémique
à force de rêves épiques.
*****
Ma main protège tes beaux yeux
des rayons du soleil hargneux,
tu déposes un baiser heureux
dans ma paume juste au milieu.
*****
Pourquoi ces interrogations
sur la fin de notre mission ?
De finir sereins essayons
sans nous poser trop de questions.
Vous ne vous lamenterez pas,
le ciel restera toujours bleu,
pas un nuage sacrebleu
un grand soleil sur la pampa.
L’univers se fait amical,
le vent compose une chanson
avec la mer à l’unisson,
on nous offre un beau récital.
Les gens nous sourient dans la rue
comme s’ils nous connaissaient bien
ils sont chaleureux et sereins.
Cette douceur est bienvenue
Et cette impression délétère
que l’on n’est plus de cette terre,
que la vie est une rivière
qui nous entraîne au cimetière.
Mon enfance est si loin derrière
comme une existence étrangère,
comme une expérience éphémère,
dont je ne pourrai me soustraire.
Au bout du chemin la lumière,
la joie de devenir grand-père,
qui rend l’épreuve moins amère
de se présenter à Saint-Pierre.
*****
Où est-il, cet homme parfait
qui dans son monde se complait,
qui veut que rien jamais ne change,
qui dit que rien ne le dérange,
vit-il sous l’or de l’Élysée,
loin de la foule méprisée ?
Partout on se livre au massacre,
et lui ne pense qu’à son sacre,
partout progresse la misère,
on saccage la terre entière,
seuls tous nos enfants s’en soucient,
ils désespèrent d’un messie.
Toujours ce grand conflit
qui guette au saut du lit,
la peur dès le matin,
la mort et le chagrin
partout en ce bas monde
la haine nous inonde.
Quand verrons nous la fin
de ce cruel destin ?
Faisons-nous des enfants
pour l’enfer permanent ?
Je veux fermer les yeux
me reposer un peu.
*****
Il marchait lentement
pas pressé, gravement
comme s’il redoutait
la mort qui l’attendait.
Il aurait pu courir
pour cesser de souffrir
mais il savait déjà
qu’à la fin : le trépas,
alors il décida
de s’asseoir un moment
pour savourer l’instant.
*****
Tout comme les saumons
nous remontons les monts
affronter nos démons.
À la fin du voyage,
et d’autres paysages
après tant de barrages
nous nous laissons mourir
nous nous laissons pourrir
et cessons de souffrir.
Et la vie s’accomplit
dans ce rite subi
pour un destin maudit.
*****
Le 28 09 2022 : Haïkus (280)
Silence figé
tous les arbres congelés
espèrent l’été.
*****
La mer incertaine
répétera sa rengaine
prière païenne.
*****
Petit chien de vieux
mène sa vie pour le mieux
malgré les envieux.
*****
Jamais ne verras
un autre amour à mon bras
ma vie est à toi.
*****
Le 27 09 2022 : (279)
un oiseau ou un rat
qui ne se soucient pas
de l’instant du trépas
ne voient que l’immédiat.
Nous, rompus aux combats
contre pestes, choléras,
usés par les tracas
jusqu’au dernier coma,
à chacun de nos pas
craignons la mort là-bas
et l’ultime fracas.
*****
Le 26 09 2022 : (278)
On voudrait fuir le temps,
fuir ce qui nous attend,
se réveiller enfant,
plein de rêves puissants,
avec sa vie devant.
Ses espoirs décevants
ses forces déclinant,
on cèdera au courant
comme d’autres avant :
de plus beaux de plus grands
partis obéissants
pour suivre les absents.
*****
Cet homme trop sérieux
ne baisse pas les yeux
en parlant au Bon Dieu
n’invoque pas les cieux.
Sans amour ni envie,
il passe ainsi sa vie,
il finira tout seul,
serré dans son linceul.
Son cœur resté trop dur
se sentirait impur
s’il attachait son sort
en attendant la mort.
Ce bonhomme là-bas
qui avance à son pas
un enfant dans ses bras,
Dieu sait où il ira
où il se cachera
de la meute aux abois
qui l’exécutera
quand le moment viendra.
Sa faute et son tracas
c’est le nom de Juda
toujours le poursuivra
causera son trépas.
Le 23 09 2022 : (275)
Où sont mes compagnons
des jeux de mon enfance
aujourd’hui dispersés
par les coups de canon,
c’était encor la France
en conflit dépassé
Il ne restera rien
de ceux que j’ai aimés
ces copains de lycée
le temps est assassin
pour les rêves semés
d’une époque effacée.
Ils marchent en cadence
et leur corps se balancent,
ils portent leurs fusils
pour tuer l’ennemi
dans un autre pays
comme on le leur a dit.
Ils ont quitté enfants
pour courir en avant
ils ont quitté maison
sans saisir la raison.
Cette vie de soldats
ne les satisfait pas.
La feuille emportée
par l’eau grise déchaînée
en fin de journée.
*****
Une fleur carmin
là-bas au bout du chemin
soleil du matin.
*****
Squelette de bois
calciné par le grand froid
un arbre autrefois.
******
Un nuage flâne
comme un abbé en soutane
dessus les montagnes.
*****
Feu coquelicot
naît pour mourir aussitôt
le temps d’un sursaut.
*****
On croise parfois
une forme d’autrefois
avec un-je
*****
Qu’il meure aussitôt
dans les douves d’un château
cet affreux bourreau
qui ose battre un enfant
sa compagne tout autant.
*****
Le froid de l’hiver
dessèche les arbres verts
aux feux de l'enfer.
*****
Je voudrais partir
pour ne plus revenir
cesser de souffrir.
*****
Les algues sur l’eau
émeraude d’un ruisseau
dansent un tango.
*****
Est-ce un cri de joie
un appel d’un qui se noie
quand le ciel flamboie.
*****
Sur le tableau noir
la craie dessine un espoir
de fuir les devoirs.
*****
Sirène du port
qui retentit bien trop fort
réveille les morts.
*****
On l’appelle Alice
la fille aux grands yeux si tristes
danse sur la piste.
*****
La musique amère
conte toute la misère
partout sur la terre.
*****
La blanche colombe
ne vole plus elle sombre
son futur est sombre
*****
Le 17 09 2022 : Haïkus : (269)
un aveu au goût de larmes
vos mots sont des lames.
*****
On ne dit jamais
la terreur qu’on ressentait
près de l’être aimé.
*****
Le poids dans le dos
qui nous lacère la peau
comme un grand couteau.
*****
Le chemin des landes
en montées et descentes
fleure la lavande
*****
Couché sur un banc
on jurerait qu’il attend
un rêve important.
*****
En fermant les yeux
crois-tu que l’on vivra mieux
dans ce monde en feu.
*****
Il marche à genoux
il espère comme un fou
un destin plus doux
*****
On ne pense pas
que le temps presse déjà
au prochain trépas.
*****
Le 15 09 2022 : Haïkus : (267)
Un matin d’orage
l’éclair perce les nuages
le ciel est en rage.
*****
C’est toujours la haine
éternelle horreur humaine
qui glace les veines.
*****
Comment vivre encore
depuis l’aube jusqu’à l’aurore
où l’on nous abhorre.
*****
Ta tête posée
dans mes deux mains proposées
à tes joues rosées.
*****
Le 14 09 2022 : Haïkus : (266)
Cours l’enfant cours cours
vois le monde tout autour
brûle comme un four.
*****
Auras-tu l’envie
de rester encore en vie
la guerre finie.
*****
Dis-moi doucement
la chanson de ces amants
morts d’aimer vraiment.
*****
Il regarde au loin
en composant ses quatrains
qu’il dira demain
****
Tourbillons de terre
sur la trace de l’araire
une fleur solaire.
*****
Une chanson lente
la voix de l’adolescente
triste se lamente.
*****
Serré sur son cœur
l’enfant oubliera sa peur
la femme en douleur.
****
Le soleil doré
sur l’étang a reflété
Narcisse éploré.
*****
Est-ce un pélican
qui traverse l’océan
comme un éclair blanc
mais c’est ta vie que tu vois
elle file droit
et il est trop tard déjà
car le temps est roi.
*****
Retiens dans tes doigts
cet animal trop sournois
qui te mord parfois.
*****
Tu ne verras plus jamais
ces êtres que tu aimais
et que tu croyais parfaits
emportés par le gros temps
si imperceptiblement
qui t’a vidé de ton sang
tu es comme un cheval mort
harassé par trop d’efforts
tu as cassé ton ressort
le froid dedans et dehors.
Le 11 09 2022 : Haïkus (263)
fait le même bruit fugace
qu’un bec de rapace.
****
Vole papillon
jusqu’au lointain horizon
comme un doux frisson.
*****
Garde dans ton cœur
le goût d’un ancien bonheur
qui t’offrait des fleurs.
*****
Il a disparu
ce tyran qu’on m’a voulu
cet ange déchu.
*****
Vie ressuscitée
d’une racine desséchée
la pousse cachée.
*****
Dans le gris du ciel
la nue ourlée de miel
cache le soleil.
*****
La flamme légère
se repaît de la fougère
dans une clairière.
*****
Partir n’est plus rien
quand tes souvenirs anciens
sont tes plus grands biens.
*****
Le 09 09 2022 : Haïkus et autre (261)
Le sable s’envole
en grandes spirales folles
de jupe espagnole.
*****
Le terrible mal
de ton mépris infernal
quand tu pars au bal.
*****
La fleur vermillon
de ce joli papillon
trace un tourbillon.
*****
Creux dans la poussière
le chemin vers la clairière
parmi les fougères.
*****
Ne perds pas de vue
ces années qui sont perdues
tombées dans la rue.
*****
Sur la mer rebelle
l’élégante caravelle
ferme son ombrelle.
*****
L’or de ses cheveux
cache le bleu de ses yeux
son air malicieux.
*****
On sait bien que les jours passés
sont bien finis et enterrés
mais continuons d’espérer,
un miracle peut arriver,
notre jeunesse reviendra
et la vieillesse attendra...
elle se croisera les bras.
*****
La mer est salée
par trop de larmes versées
jamais ravalées.
*****
Une main paresse
sur sur une douce caresse
car rien ne nous pressentait.
*****
Un oiseau surpris
se réfugie à l’abri
dans un tamaris.
*****
Ne reste plus rien
de mes rêves enfantins
de beaux lendemains.
*****
Poème d’une vie en l’air :
*****
J’aurais voulu être vétérinaire
ou Rousseau ou Voltaire,
ou pourquoi pas mousquetaire,
je me remplis un questionnaire
pour la décision dernière,
je veux réfléchir et je préfère
m’enfermer aux waters.
*****
Ferme un peu la porte
le malheur pourrait entrer
le diable l’emporte
je ne vis que de regrets
là-bas on m’attend
je suis prêt dès maintenant
pour faire une dernier voyage
durer n’est plus de mon âge.
*****
Ne m’observe pas
j’ignore où mènent mes pas
au loin tout là-bas.
*****
La dune de sable
s’éboue dans le vent su Sud
comme un chien mouillé.
*****
Le 03 09 2022 : (255)
L’enfant à l’école
se gave d’histoires folles
du temps de la Gaule.
*****
Descend la rigole
voilier de papier qu’on colle
sans cap ni boussole.
*****
Femme de marin
elle scrute le lointain
et se tord les mains.
*****
L’histoire d’amour
se répète dans les cours
de tout le faubourg.
*****
Mes compagnons de solitude
ont respecté mes habitudes,
ils savent bien mes attitudes,
ils écartent mes inquiétudes,
la docile mélancolie
et l’ennuyeuse litanie
des prémices de la folie.
Les jours passent comme les nuits
la vie coule et le temps s’enfuit
je sais trop où il me conduit :
où n’existe plus d’aujourd’hui.
****
Le ciel rouge sang
quand le soleil descend
chez les morts vivants.
*****
La femme en courant
plus rapide que le vent
fuit-elle un amant.
*****
La femme infidèle
cette beauté si cruelle
se croit immortelle.
*****
Dans l’ombre éprouvante
dans les rêves qui tourmentent
veille l’épouvante.
*****
Le 31 08 2022 : Haïkus (252)
ENFANTS DES RUES.
*****
La rue pour école
du côté des Batignolles
des enfants s’envolent.
*****
Les grands coups de poings
c’est leur façon de câlins
quand on est malins.
*****
Des fruits dérobés
sur les étals du marché
ils sont familiers.
*****
Ils n’ont pas volé
ils nient juré craché
des anges ailés.
*****
Le 30 08 2022 : Haïkus (251)
on est parti visiter
un ailleurs parfait.
*****
Le temps nous attire
nous évite de souffrir
nous pousse à mourir.
*****
En milieu de nuit
j’ai entendu un grand cri
quelqu’un a péri.
*****
Cheval de la guerre
qui n’a jamais connu guère
mieux que la misère.
Chante l’oiseau chante
un vieux couplet qui me hante
les jours d’épouvante.
*****
Un homme courbé
marche en observant ses pieds
il craint de tomber.
*****
La splendeur du monde
il suffit d’une seconde
pour que tout s’effondre.
*****
Triste mélopée
pour cette vie découpée
au fil de l’épée.
****
Le 28 08 2022 : Haïkus (249)
Mauvaise expérience
quand l’amour est en souffrance
reste le silence.
*****
Notre ami Prévert
pour conjurer cet enfer
écrivait des vers.
*****
Le poète est libre
de puiser dans les livres
ce qui le délivre.
*****
Parfums de printemps
dessus les ailes des vents
relient les amants.
*****
Le 27 08 2022 : Haïkus (248)
Le vent sur les dunes
un œil blanc dans la nuit brune
la face de la lune.
*****
Les ombres sournoises
les destins qui s’entrecroisent
sous le ciel d’ardoise.
*****
Si j’avais deux vies
je partirais mon amie
vivre en Normandie
*****
L’affreux bruit des bottes
est moins pénible pourtant
qu’user ses pantoufles.
*****
C’est une fanfare
qui célèbre la mémoire
de notre victoire.
*****
C’est une fanfare
chantant les noces notoires
de folies barbares.
*****
Dans le vent mauvais
le ciel l’enlaçait.
un ange dansait.
*****
L’homme est à la guerre
la femme dans la misère
les enfants sans père.
*****
Le 24 08 2022 : Haïkus (246)
Poursuis tes beaux rêves
dès que le soleil se lève
cherche-les sans trêve.
****
Ami qui comprends
le moindre des sentiments
le bonheur t’attend.
*****
L’homme au grand sourire
n’entreverra jamais pire
que vivre un martyre.
*****
En pleine détresse
ferme-toi à la tristesse
car la vie te presse
*****
Les astres du ciel
avec leurs reflets vermeil
sont rêves de miel.
*****
Et tu as passé
ta vie à le ressasser
l’enfer traversé.
*****
La triste chanson
répétée dans la maison
parlait de poison.
*****
Et si tu voulais
ne plus voir ce qui est laid
le ciel s’ouvrirait.
*****
Un rêve opalin
nous abandonne au matin
apaisé serein.
*****
Un premier amour
pour une enfant du faubourg
belle comme un jour.
*****
Je m’étonne encor
de vivre dans ce décor
hanté par la mort.
*****
Un petit enfant
m’aidera avant longtemps
au dernier instant.
*****
Les amours anciennes
viennent cogner à nos persiennes
tristes bohémiennes.
*****
Un peu de tristesse
qui guérit ce qui te blesse
comme un vin de messe.
*****
Toute la ferveur
dans un moment de bonheur
réchauffe le cœur.
*****
Sans claquer la porte
pars si le vent te transporte
vers tes amours mortes.
*****
Le 20 08 2022 : Haïkus (242)
J’ai jeté les rames
fatigué par tous ces drames
de ce monde infâme.
*****
Cet homme pleurait
non sur son amour défait
mais sur un forfait.
*****
S’aimaient-il vraiment
ils échangeaient des serments
ces jeunes amants
*****
Tous ces jeunes hommes
errent comme des fantômes
dans la rue de Rome.
*****
L’écume des vagues
recouvre la roche noire
comme le matin
dissipe la sombre nuit.
*****
Le
19 08 2022 : Haïkus (241)
Ta
main dans la mienne
qu’importe
ce qu’il advienne
mon
fils mon aubaine.
*****
Nos
cris de déments
en
face de l’océan
se
perdent au vent.
*****
L’instant
arrêté
nous
nous sommes regardés
pour
tout commencera.
*****
Dans
mes poings serrés
des
souvenirs acérés
qui
m’ont déchiré.
*****
Le 18 08 2022 : Haïkus (240)
Dans le feu du soir
monte un cri comme un espoir
pour chasser le noir.
*****
Une chanson triste
inventée par un pianiste
un pauvre soliste.
*****
Tire le harnais
malheureux qui reconnais
le feu qui dormait.
*****
La si douce enfant
rêvait de prince charmant
choisit un méchant.
*****
Le mur des prisons
enferme aussi les matons
c’est leur horizon.
*****
C’est le temps qui va
les femmes ne pleurent pas
signe d’un fracas.
*****
La peau du bouleau
tombera en grands lambeaux
dès qu’il fera chaud.
*****
Fleur n’est pas fidèle
son ami enrage d’elle
c’est une hirondelle.
*****
Il n’a pas voulu
croquer le fruit défendu
de l’amour perdu.
*****
Lâche le poisson
la rivière est sa maison
tu es ta prison.
*****
C’est un éternel
espoir qui naît dans le ciel
aux reflets de mielleuse.
*****
Je voudrais tes bras
pour chasser tous mes tracas
maman ici-bas.
*****
Ce que l‘homme dit
du dimanche au samedi
lundi se dédit.
*****
Dans la rue Delambre
par une nuit de décembre
la vie part en cendres.
Cet homme devant
avec sa femme en suivant
se croit important
*****
Le soleil de sang
qui incendie les étangs
dessèche les plants
****
C’est toujours tristesse
d’abandonner par paressse
le livre qu’on laisse
*****
Les larmes salées
leur saveur inégalée
aux amour mêlées
****
Qu’a-t-il ce vilain
paysan ou citadin
qui se meurt de faim.
*****
Dans les rues de France
des coquettes se déhanchent
triste décadence.
*****
Cet homme meurtri
serré dans ses vieux habits
est déjà parti.
*****
Il ne reste rien
de sa bouche et de ses mains
qu’un air très ancien.
*****
La vie serait belle
si cette haine rebelle
se brisait les ailes.
*****
Triste lassitude
souffrir cette solitude
comme une habitude.
*****
Le 13 02 2022 : Haïkus (235) :
Dans une rue sinistre
un homme seul marche triste
comme un ours de piste.
*****
Il pleut sur Paris
sur la rue de Paradis
tous
les chats sont gris.
*****
Les mains dans les poches
l’étrange inconnu s’approche
me lance un reproche.
*****
La petite belle
qui jouait à la marelle
attend des jumelles.
*****
Le grand tour de force des femmes c’est de laisser croire aux hommes qu’elles sont le sexe faible.
Combien de déconvenues nous inflige-t-on en nous promettant le bonheur pour demain.
On reconnaît un ami au fait qu’il reste un ami en dépit de ce qui sépare : la distance de le temps.
Rien n’est plus gratifiant que d’écouter un enfant. C’est l’occasion de réaliser l’urgence de garder son âme de gosse. Les enfants ont cette faculté de s’émerveiller qu’on perd en abordant l’âge adulte.
J’ai souvent constaté que ceux qui invoquent Dieu et les dix commandements se comportent comme des cochons, encore que tout est bon dans le cochon alors qu’en ces prétendus croyants on ne trouve rien de bon.
Le 11 02 2022 : Ce chameau de dromadaire !
_ Regarde, me dit-elle en tentant d’aplanir son siège en le frappant du plat de la main.
_ Arrête, c’est sa bosse, tu es en train de la lui retourner comme une chaussette !
_ Et puis le dromadaire de derrière ne cesse pas de lui mordre les fesses.
_ Mon chameau est doux, mais le vôtre ne cesse pas de lui péter dans le nez, expliqua notre jeune compagnon.
Nous assistâmes au spectacle féerique du lever du soleil, énorme et rouge dans le Sahara. L’astre émergeait à une rapidité inouïe de derrière les vallons de sable. Cela ne dura pas plus de dix minutes pour passer de la nuit noire au grand jour incendié.
Sur le chemin du retour, nous croisâmes des vacanciers britanniques. À notre niveau la selle d’une dame glissa sous le ventre de la monture et la dame chuta d’une belle hauteur avec un bruit mat.
Fin de la promenade. Les mains couvertes de cloques à force de serrer désespérément la poignée de bois, livide, Michelle fut la première à se ruer dans notre bus et si, aujourd’hui, elle rit de son expérience, il ne fut plus question de renouveler l’aventure.
Marie court toute la journée,
elle court après le temps,
elle court après le vent,
toujours en retard d’une fournée.
Marie cherche toute l’année,
elle cherche un amant,
elle a des sentiments
Marie est une fleur fanée.
Marie est toujours pressée,
elle espère le bon moment,
elle entend sa maman
qui la voudrait mariée.
Marie ne pleure pas,
elle a peur de Satan,
elle a peur du méchant
qui l’appelle en bas.
Dans ces temps de fer
où survivre est un enfer
j’ai un goût amer,
une peur primaire.
Je voudrais chanter
mais je suis hanté
par le mal constant
dessus nos enfants.
Où est l’insouciance
qui marquait l’enfance
en terre de France
paix et tolérance ?
Les journées amères
ses rêves d’enfant brisés
pour sa vie de mère.
Ses élans sont écrasés,
une maison à tenir,
personne n’écoute plus
ses constants soupirs.
Que sont enfin devenus
les serments jurés ?
Perdus avec ses secrets,
adieu jours rêvés,
ne sont jamais arrivés
et le temps s’écoule
comme les ruines s’écroulent.
Il est bien trop tard,
désormais c’est le cafard
qui pèse sur sa poitrine
et la ratatine.
Son homme avait tout détruit
et maintenant c’est la nuit,
que sa vie est dure
elle n’est plus que blessure.
******
Là-bas est-ce un train
emmenant les pèlerins
vers quelque lieu saint.
*****
En haut du perron
elle scrute l’horizon
seule à la maison.
*****
Il revient brisé
par tout son lourd passé
le cœur déchiré.
*****
Depuis tout ce temps
tu accompagnes mes ans
bien fidèlement.
*****
Le 06 08 2022 : Haïkus et autres (229)
L’homme est sur un chemin
dont il ne connaît rien
il ne sait d’où il vient
il ignore la fin.
*****
Je voudrais être un animal
pour distinguer le bien du mal
je voudrais devenir enfant
et profiter de mes parents.
*****
Toujours des canons
on n’entend plus les violons
le bruit des talons.
*****
Et rien ne se passe
on s’adresse des grimaces
toujours des menaces.
*****
Les deux mains tendues
vers une paix suspendue
toujours combattue.
*****
Le 05 08 2022 : Haïkus et autres (228)
Le chien suit son maître
plus aveuglément peut-être
qu’il suivrait un prêtre.
*****
Le chien est le meilleur ami de l’homme
mais l’homme est le maître du chien
notez-vous l’incohérence ?
*****
Marie attendit
la lettre de son mari
en guerre parti.
*****
Son regard bleu profond
qu’à l’océan se confond
envoûte les garçons.
*****
Où vont les bateaux
qui naviguent sur les flots
quand le temps est gros.
*****
Je dois encore apprendre
à marcher et comprendre
ce trouble dans ma tête
qu’a semé la tempête.
*****
Je finirai peut-être
sans tambour ni trompette
dans un lit à roulettes
à l’état de squelette
*****
Se logent-ils dans l’âme
et nos joies et nos larmes
quand nous rendons les armes
quand la mort nous réclame.
*****
Le 04 08 2022 : Haïkus (227)
Au soir de ta vie
recommence la partie
trouve tes envies.
*****
C’est dans la nature
que la brutalité pure
donne la torture.
*****
Ses longs cheveux clairs
scintillent de mille éclairs
aux feux de l’enfer.
*****
Ma vie n’est plus rien
je suis au bout du chemin
la fin pour demain.
*****
Le fils de cet homme
pas bien plus haut que trois pommes
veut régner sur Rome.
*****
Je chante si mal
que je parais anormal
et ça me fait mal
*****
Brisés par le temps
et le poids de tous ces ans
ensemble pourtant
*****
Le petit ruisseau
où je remplissais mon seau
m’emporte en bateau
*****
L’enfant qui pleurait
et que rien ne tempérait
gardait son secret
Le 02 08 2022 : Tanka et Haïkus (225)
Loin sur l’autre rive
de la Méditerranée
une âme en dérive
erre depuis tant d’années
où est le garçon
qui s’enivrait de plongeons
sous le soleil de plomb
*****
Tous ces petits riens
qui font qu’on vivrait bien
une vie de chien
*****
Seul avec mes livres
c’est ainsi que je veux vivre
car ils me délivrent
*****
Le portrait fripé
d’un garçonnet oublié
parmi les papiers
*****
Les baisers volés
avaient le goût mentholé
d’un ange affolé
*****
Mon père grondait
le tonnerre se taisait
je disparaissais
*****
Quand la nuit tombait
on égorgeait on tuait
et je m’endormais
*****
Le 31 07 2022 : Haïkus (224)
La fille aux anglaises
la belle statue de glaise
a des yeux de braise
*****
Tu cherches fortune
pour toi tu voudrais la lune
c’est chose commune
*****
Dessus le rosier
une rose de papier
surgit du roncier
*****
Le 30 07 2022 : (223)J’ai eu si peu d’amis, de frères et de sœurs
que j’aurais désiré serrer contre mon cœur,
trop de rêves dans ma tête et pas assez de temps
pour vivre intensément comme font les enfants.
Je passais tous mes jours, le nez dans les romans,
je ne voyais plus rien que ces vies autrement,
mes compagnons de balade et témoins de tristesse
partaient aux quatre vents gaspiller leur jeunesse.
Mon bateau,ma galère, à l’ancre dans le port
comme un pauvre animal qui n’attend que sa mort.
Les trains partaient sans moi aux lointains horizons,
je restais sur le quai, sage et sans réaction.
Ma peau de parchemin et mes yeux fatigués
n’ont plus rien de l’enfant secret que j’ai été.
Mes livres sont pour moi, la source de courage
qui me fait avancer encor dans le grand âge.
Je sais qu’un de ces jours, au détour du chemin,
elle viendra vers moi pour me prendre la main,
et m’emmener au loin, là d’où nul ne revient,
là où se décide le terme du destin.
*****
Où est le temps béni
quand j’avais banni
le souci du temps
et de ses tourments ?
*****
Les jours s’écoulaient
et le goût du lait
au coin de mes lèvres
dissipait ma fièvre.
*****
L’idée de demain
était mon jardin
secret des voyages
et des paysages.
*****
Au bout du chemin
pointait le matin
d’un bleu opalin
vide de chagrin.
*****
Les feux de l’été
sont venus pour maltraiter
les sols exploités.
*****
Mais où vont les nues
elles seraient bienvenues
le feu s’accentue.
*****
Là où le regard se pose
la désolation s’impose
avec la psychose
*****
Ton front s’est posé
comme un bel oiseau blessé
sur mon front plissé
*****
La poésie est, selon moi, un défi que se lance le poète, ce qui l’autorise à en changer les règles pour la rendre plus intéressante. J’ai choisi les haïkus par goût de l’exotisme et la rime (qui étonnera les puristes) pour en épicer la saveur.
*******
Une vie qui passe
la mémoire qui s’efface
et puis l’on trépasse.
*****
Le bateau au loin
harcelé par les embruns
défie son destin.
*****
La faux dans le champ
coupe le blé en chantant
sa chanson d’antan.
*****
Le flux des marées
baigne l’île séparée
brebis égarée
*****
Le petit enfant
traîne son pas hésitant
comme un mort vivant.
*****
Un genou à terre
au milieu du cimetière
il pleure sa mère.
*****
Jamais ne viendras
te blottir entre mes bras
tout comme autrefois.
*****
Qui sème le vent
récolte tant de tourments
qu’il pleure longtemps.
*****
Maman ô maman
je suis ton petit enfant
qui se languit tant.
****
vit une vie attristé
un rêve enterré.
*****
Il suffit d’une ciel
fait de feu et de vermeil
pour un bon réveil.
*****
Ferme la fenêtre
car un beau diable peut-être
troublera la fête.
*****
Le jus bien sucré
d’un fruit mûr et consacré
d’un gâteau fourré.
*****
Fuir à perdre haleine
pour échapper à la haine
qui gagne l’Ukraine.
*****
Partir est facile
dans les plus grandes villes
les trains se défilent
*****
Même très âgé
on voudrait se replonger
au temps saccagé
*****
Comment résister
à cette inutilité
d’avoir existé
*****
Mon ami poète
toi qui te sens investi
tu dis que peut-être
c’est un don du paradis
mais point de pari
prends tout ce qui t’est donné
et rime sans raisonner
*****
Chaque jour nouveau
on mène sur l’échafaud
des gens comme il faut
*****
La petite larme
coulant sur ta joue désarme
et c’est là ton charme
*****
Quand l’enfant me chante
tous les rêves qui le hante
ma vie devient différente
*****
Le ruisseau s’enfuit
comme s’efface la nuit
ainsi va la vie.
*****
Un homme accroupi
près d’un cadavre meurtri
d’un fils d’un ami.
*****
Que doit endurer
le prisonnier emmuré
avant d’expirer.
*****
Encore une enfant
qui emmène son troupeau
de jeunes agneaux
elle progresse devant
sa chanson d’amour
réchauffe d’un grand bonheur
elle dissipe les peurs.
*****
Le monde enflammé
ne cesse pas de tourner
comme un beau damné.
****
Le 22 07 2022 : (206)
Une vieille dame (ma maman) assise dans son fauteuil, regardait Questions pour un champion à la télévision. Une fillette (ma nièce de cinq ans) s’affairait autour d’elle.
_ Mamie, veux tu que je t’apporte tes lunettes ? Veux tu que je te donne tes pantoufles ? Veux tu un Petit Lu ?
_ Que se passe-t-il aujourd’hui ? Tu es bien gentille avec moi !
_ Je suis gentille parce que tu es vieille et que tu vas bientôt mourir.
_….
*****
le vent se transforme en braise
l’enfer prend ses aises
Parfois tu reviens
la nuit parmi tous les tiens
comme aux temps lointains
maman aux bras si câlins
mère de douceurs
qui inventas le bonheur
sans toi nous avons si peur
Elle marche seule
comme vont tous les aveugles
les arbres s’effeuillent
*****
Un enfant câlin
caresse un tout petit chien
qu’il voudrait le sien
*****
Le 20 07 2022 : Haïkus (204)
Dans le ciel de jais
la courbe d’acier d’un trait
l’éclat d’un fleuret
*****
Partout des murmures
des menaces bien trop dures
rien qui nous rassure
*****
Il faut déposer
les armes il faut oser
s’aimer et se reposer
*****
Dans l’enclos fermé
un étalon déprimé
rêve d’amour consommé
*****
Du bout de la branche
s’écoule une larme blanche
que le vent balance
*****
Belle demoiselle
occupée à ta dentelle
le bonheur t’appelle
*****
Le 19 07 2022 :
Changer temporairement de région ouvre à la curiosité, à la réflexion, à la philosophie. Dans cette partie de notre pays, les lois sont identiques à celles de mon lieu de résidence et particulièrement le code de la route. Or, en une semaine, je dus plusieurs fois par jour, appuyer sur le frein pour éviter un accident. Là-bas, le véhicule qui arrive en face de vous, traverse subitement la voie devant vous, vous coupe la route en faisant fi de la sacrosainte priorité à droite pour filer son petit bonhomme de chemin vers quelque tâche impérieuse. Vous pourriez penser que vous avez à faire à un conducteur dément, un fou furieux et dans votre tête défile une longue litanie de noms d’oiseaux. Mais non, l’individu vous a vu, il vous regarde même en vous adressant un large sourire angélique qui n’a rien d’un défi, il semble un peu (pas trop) confus, il dresse vers vous une main amicale et disparaît gentiment. Dans mon département, on vous tendrait un majeur dressé, on ne vous sourit pas, on vous insulte même. Dieu, même si l’aventure vous met en péril, qu’il est agréable de se faire griller la priorité, c’est le prix à payer pour échanger un sourire avec son semblable, un homme (ou une femme comme vous et moi). C’est la grande fraternité des hommes conscients que le monde est loin d’être parfait et que même s’ils ne sont pas parfaits, ils sont, aimables en toutres circonstances et particulièrement quand ils manquent de vous tuer en toute conscience sans vous vouloir le moindre mal, parce qu’ils ne sont que des hommes et que les hommes sont ainsi.
Le 17 07 2022 : Fabulette (203)
Il rêvait d’exploits, de gloire
il voulait marquer l’Histoire :
il dénicha une guerre,
il en est tant sur la terre
il se porta volontaire
pour dresser son cimetère
pour la défense des mères
sur les lignes de frontières.
Par une terrible nuit,
quand le courage s’est enfui
il crut distinguer de furtifs
mouvements dans son objectif
il appuya sur la détente
pris d’une rage violente.
La riposte fut immédiate
une vache paissant béate
embrocha au bout de ses cornes
ce Don Quichotte francophone
qui périt sans aucun clairon
pour un rêve de fanfaron
*****
Le 16 07 2022 : (202)
Je me suis dit,
si tu aimes tes amis,
épargne-leur les sujets
qui suscitent le rejet,
ceux qui t’on fait ou défait
en soixante-deux le 5 juillet
en quarante-deux le 16, jour abject
anniversaires d’hécatombes
de massacrés sans tombe
jetés dans des puits
avalés par la nuit.
Les blessures sont là, béantes
elles sont là, me hantent
avec leurs morsures méchantes
mille douleurs constantes.
Dites, comment oublier
les morts, les charniers
qui font partie de moi
et me glacent d’effroi.
Confiant, je vois venir la fin
bientôt sur mon chemin.
*****
Le 15 07 2022 : Poème sans rime ni raison : (201)
Au milieu du gué,
le vieil homme désorienté
ne peut plus s’en retourner
trop fatigué pour avancer
Il aimerait pouvoir sauter dans le trou
creusé par les remous.
Pas assez de force
la tristesse d’une forme de divorce
avec la vie, avec l’espoir et l’avenir.
Ne reste que le désespoir et le souffrir.
Dans la maison vidée
errent les mêmes idées.
L’incertitude du lendemain
qu’il sent à portée de sa main
une certaine impatience
de la fatale expérience
d’où l’on ne revient pas
et la question du trépas :
qu’est-ce qui me survivra ?
Bientôt il le saura.
*****
Le 31 06 2022 : (197)
On voudrait tout savoir,
sortir enfin du noir
où l’on vit en naissant
dans ce monde angoissant.
Toujours seul dans la foule
emporté par la houle,
esquif sur l’océan
sans une île au-devant.
Hélas on ne sait rien :
on rame, on fait au mieux
et l'on devient trop vieux.
On part, on n’a rien vu
et l’on n’a pas vécu
l’existence rêvée
gâchée, inachevée.
*****
Le 30 06 2022 : (196)
À l’aube solitaire
quand sortent les marins
en quête de tapins
les hommes désespèrent.
Dans la nuit tranquille
on attend le matin
pour prendre un premier train
et nourrir sa famille.
Dans l’avenue blafarde
les enseignes clignotent
et les poivrots sirotent
dans les bars qui cafardent.
La porte de l’usine
ressemble à la prison
où filles et garçons
passent leur vie chagrine.
*****
Le cri de sirènes
déchire la nuit sereine
pour glacer nos veines
*****
La musique au loin
fandangos et tambourins
célèbrent les foins
*****
L’amour ce chariot
sans sabots et sans grelots
qui surprend les cœurs
*****
Les rêves têtus
auxquels on avait tant cru
seront-ils perdus
Ils nous ont nourris longtemps
pour plus de cent ans
Nous étions adolescents
Nous étions des rois puissants
*****
L’eau bleue de ses yeux
je buvais pour être heureux
Loin d’elle fiévreux
pire qu’un âtre de peu
Elle seule peut
me donner ce que je veux
dans ce monde miséreux
****
Le 27 06 2022 : Tankas (193)
posé sur l’horizon bleu
est un prétentieux
qui se prend pour le Bon Dieu
excusez du peu
car il affectionne les lieux
le grand Sud aimé des vieux
*****
Je ne veux de ciel
que le doux de ton visage
d’autre paysage
que tes lèvres de vermeil
et rien ne m’importe
qu’avec toi ouvrir la porte
aux bonheurs de toutes sortes
*****
Je veux voir enfin
ce que l’on prédit pour demain
la paix dans nos mains
un bel avenir serein
un monde sans faim
pour les enfants du lointain
voués au fatal destin
*****
Le 25 06 2022 : Tankas (192)
*****
*****
Le 24 06 2022 : Haïkus (191)
****
*****
*****
*****
Douce demoiselle
abritée sous son ombrelle
montre ses dentelles
*****
L’enfant à genoux
s’amuse avec des cailloux
des planches et des clous
*****
Au creux des genêts
l’élégant chardonneret
siffle un triolet
*****
Parmi les décombres
des alignements de tombes
détruits par les bombes
*****
Les jours qui défilent
en mascarade fébrile
me laissent sénile
******
Le lit du ruisseau
sillonne dans les roseaux
pour grossir des eaux
*****
Voudras-tu un jour
me révéler ton amour
dans un doux discours
*****
J’irai les yeux clos
sans trêve et sans repos
hisser ton drapeau
****
Il me suffit de regarder la lune
pour partir sur un bateau de fortune,
de louvoyer au milieu des étoiles,
de libérer le foc et la grand-voile,
les alizés s’engouffrent dans la toile
qu’ils propulsent sur une mer étale,
ma rêverie ouvre tout grand ses ailes
et je m’abandonne à la nuit nouvelle.
*****
Soigne ton acné
si tu veux être adoré
vite essuie ton nez
****
Le 21 06 2002 : Haïkus (188)
Pour une punaise
qui n’est pas bien à son aise
la motte est falaise
*****
L’enfant en chemin
à qui nul ne tient la main
s’en va vers sa fin
*****
Ce point dans la nuit
c’est un astre qui reluit
une âme s’enfuit
*****
Le tambour de guerre
le roulement de tonnerre
l’homme est mortifère
*****
Tant de gouvernants
fiers d’être puissants
sont indifférents
*****
Elles n’aiment pas
les gens qui marchent au pas
tous ces fiers à bras
*****
Gâté par l’argent
sans une once de talent
il vit en râlant
****
Le 20 06 2022 : Haïkus (187)
*****
*****
*****
*****
Le premier grand bonheur du jour :
s’éveiller près de son amour,
elle seule et plus rien autour,
se jurer de s’aimer toujours.
Vivre de joie et de caresses,
déclarer toute sa tendresse,
garder l’éternelle jeunesse,
vieillir sans que rien n’y paraisse.
Ne pas douter, ne pas frémir,
être certain que l’avenir
nous épargnera le souffrir,
sans un regret, sans un soupir.
Et ne pas voir le temps passer,
s’aimer sans jamais se lasser,
vieillir longtemps débarrassé
de la crainte de tout casser
*****
Rebrousser chemin
oublier les lendemains
pour prendre ta main
*****
la femme au regard si noir
je vis sans espoir
*****
Le bel alezan
rapide comme le vent
que mène un enfant
*****
Petit Chérubin
tu conjugues les destins
en tissant les liens
*****
Il ne viendra plus
cet amoureux qui t’a plu
il a disparu
******
L’âge nous surprend
comme un soudain coup de vent
nous pousse en avant
*****
Le matin vermeil
réconcilie l ‘océan
et l’immense estran
arraché à son sommeil
au premier soleil
qui pousse sur cette plage
son long troupeau de nuages
*****
Le chardonneret
tapi au cour des genêts
annonce l’été
*****
Sous la pergola
les iris et hortensias
parlent aux lilas
*****
Le râteau rouillé
et tablier souillé
sur un banc mouillé
Le 15 06 2022 : Tankas et Haïkus (185)
paraphe nerveusement
la page du temps
*****
L’homme part toujours
rien ne retient ce vautour
pas même l’amour
L’été des moissons
quand le labeur est poison
ferme ta maison
*****
Le
maître du vent
traverse
les océans
file
droit devant
L’œil à l‘horizon
n’est pas un larron
qui surveille ta maison
habillé d’or fin
de vermeil et de satin
comme un noble souverain
*****
Comme un long convoi
les corbeaux quittent le bois
les filles du roi
se présentent devant moi
me montrent du doigt
m’accusent d’être un sans foi
et je m’enferme chez moi
*****
Mais quand saura-t-on
la vie de ces papillons
fleurs de la saison
*****
Un arbre ancestral
au vieux tronc monumental
surplombe un canal
*****
Vous verrez peut-être
ce vieil homme à sa fenêtre
qui attend son maître
*****
Il ne parle pas
il n’attend que mon trépas
qui bientôt viendra
*****
À l’heure où le ciel
se pare d’or et de vermeil
survient le sommeil
*****
Femme retiens-toi
ne reste pas sous ce toit
où le monstre est roi
*****
Et coulent les vers
qui nous emportent vers
un autre univers
*****
Le 09 06 2022 : Haïkus (179)
Aimer Se soumettre
c’est à deux genoux toujours
qu’on dit son amour
*****
J’ai trouvé par terre
un rêve dans la misère
j’en fais mon affaire
*****
Il s’est envolé
bien au-dessus des sommets
sans se fatiguer
*****
Son front s’est posé
comme un animal blessé
sur mon bras dressé
*****
La simple caresse
pour exprimer la tendresse
chasser sa détresse
*****
Ta main dans la mienne
pour que jamais rien ne vienne
troubler ton doux rêve
*****
Le 08 06 2022 : Tanka et Haïkus (178)
Partir changer d’air
c’est partout le même enfer
traverser les mers
prendre le chemin de fer
si un jour tu désespères
laisse ton passé derrière
*****
On ne connaît rien
sur le mal ou sur le bien
on croit être un saint
*****
Au cœur des roseaux
il siffle comme un oiseau
l’ardent sirocco
*****
Le 07 06 2022 : Haïkus et tankas (177)
Des gens sur la plage
s’adonnent à leur bronzage
d’autres font naufrage
au cours d’un trop long voyage
après leur mirage
il leur fallait du courage
de la colère ou la rage
*****
Les années futiles
et les siècles inutiles
n’ont jamais appris
que le terrible mépris
pour l’humanité
les hivers et les étés
pour rien se sont succédés
*****
Le cerceau qu’on pousse
l’attendrissante frimousse
le goût de l’arbouse
*****
Malgré nos efforts
jusqu’à l’instant de la mort
vivra le trésor
le souvenir de l’enfance
comme une espérance
sur le chemin des vacances
la merveilleuse innocence
****
Le 06 06 2022 : Haïkus et Tankas (176)
Ne jamais pleurer
sans cesser de se leurrer
jusqu’à en crever
*****
Rêver que l’on vole
comme porté par Éole
être une luciole
*****
Près de la falaise
pris d’un dangereux malaise
plus rien ne nous pèse
*****
Là dans le berceau
un rire comme un ruisseau
lave la laideur
le malheur et la douleur
nous parle d’ailleurs
d’une humanité paisible
d’un bonheur enfin possible
*****
Le 05 06 2022 : (175)
Elle était l’amie
que l’on voudrait pour la vie
la douce chérie
par les années départie
jamais je ne l’oublie
La guerre me l’a ravie
et je suis sans plus d’envie
Il est criminel
de séparer des enfants
nés du même ciel
dans un pays différent
où l’on vivait autrement
*****
Un galet d’argent
sur le bord de cet étang
aux reflets ardents
*****
Le 04 06 2022 Haïkus et Tankas (174)
Pourquoi devrait-on
endurer tous les affronts
demander pardon
pour exister simplement
depuis trop longtemps
l’âge est un fardeau pesant
dont on nous charge en naissant
*****
Le chant d’un pinson
sur le toit de la maison
est une oraison
*****
Partir vers le Nord
enfin prendre son essor
pour tromper la mort
*****
J’aimerais chanter
un univers enchanté
sans méchanceté
*****
Ses grands yeux d’azur
offensent le ciel c’est sûr
ce constat est dur
*****
Un éclair d’argent
vient déranger brusquement
la paix de l’étang
******
Le 02 06 2022 (173)
Parmi tant d’autres, un bâtiment en briques rouges du début du siècle dernier, coincé entre le périphérique et le boulevard des Maréchaux, à la porte de Charreton.
Au troisième étage sans ascenseur une vieille dame vit au bout du couloir à la peinture brune lépreuse, dans un minuscule appartement. Sa porte n’est jamais fermée, la locataire ne craint plus rien. Il suffit de pousser le battant pour entrer dans la pièce unique qui sert de salon, de cuisine et de chambre à coucher. Une table ronde au centre, encombrée de vieux magazines de télévision, de photographies d’enfants, de boîtes de conserves et d’une lampe à pétrole transformée en lampe de chevet. L’abat-jour jaune diffuse une lumière fatiguée qui éclaire avec parcimonie un rond de plancher encaustiqué. Une épaisse tenture vert-olive qui traîne sur le sol cache la fenêtre. Dans le coin le plus sombre, un fauteuil poussé contre le mur tapissé de brun, un napperon empesé recouvre le haut du dossier. Une vieille dame aux cheveux blancs semble dormir, sa main immobile repose sur un chat silencieux noir avec un masque de poils blancs. Elle se tient appuyée au fond du siège, bien droite. Au-dessus de sa tête, un carillon rectangulaire retarde de plus d’une heure, et dans son cadre ovale, le portrait bistre d’un couple de jeunes mariés. Elle est coiffée d’une voilette de dentelle qui lui barre le front, elle est brune. À sa gauche, un jeune homme au profond regard noir arbore une moustache en guidon de vélo. Ils ne sourient pas, extrêmement sérieux. Sans doute les parents de la dormeuse. Une canne de bambou gît à ses pieds. On la croirait endormie si ses yeux marmoréens ne retenaient la lueur vacillante de la lampe. Elle dort ou elle réfléchit intensément, les yeux dans le vide.
Le chat baille avant de sauter sur le sol, sa maîtresse ne tente pas de le retenir, il se glisse dans l’entrebâillement de la porte et file dans le couloir. La tête de la grand-mère glisse alors doucement sur sa poitrine. Assurément, elle dort, ou elle attend la mort, ou elle est déjà morte. Depuis combien de temps ?
Le 01 06 2022:(172)
Le temps paresse et s’étire
ce cruel vampire
nous inflige si grand martyre.
La mort est son empire
on le fuit on le désire
chaque jour est pire.
Il joue à nous séduire
nous caresse et nous déchire.
il nous berce et nous chavire
jusqu’à nous détruire.
Le 31 5 2022 : Haïkus et Tanka (171)
L’étoile filante
c’est une âme défaillante
dans la mer démente
*****
Trop d’amants maudits
regrettent tous les mots dits
à jamais partis
*****
Il faudrait tuer
tous ces apprentis sorciers
et leurs pistolets
*****
Je veux te garder
en moi comme un grand secret
dans mon cœur celé
*****
La pluie du matin
lavera tous les chagrins
jusqu’au lendemain
*****
Beaucoup trop de fleurs
pour des monceaux de malheurs
et autant de pleurs
*****
J’avais un espoir
de voir lavé tout ce noir
qu’on ne peut ravoir
*****
Une vie passée
dans nos peines ressassées
jeunesse blessée
*****
Nous suivons la trace
de tous nos espoirs fugaces
et rien ne se passe
*****
Au soir de la vie
devant nos forces enfuies
comme une eau de pluie
l’espérance inassouvie
dans nos mains enfouie
s’est transformée en ruisseau
coulant parmi les roseaux
*****
Le 30 5 2022 : Haïkus (170)
Dans le soir diaphane
elle cherche une âme
l’effraie blanche dame
*****
Si je dois partir
je prendrai en souvenir
le mal de souffrir
*****
Sait-il où il va
le vieil homme tout là-bas
courbé sous le bât
*****
Un trait de soleil
écrit la fin du sommeil
en lettres miel
*****
Confie-moi tes doigts
je les emmène avec moi
par les champs et par les bois
*****
L’épave là-bas
dans les flots et le fracas
le Manureva
*****
Marie ne veut pas
voir son Jésus sur la croix
nu tremblant de froid
La pomme est tombée
flétrie et talée
par l’orage secouée
****
Dans le ciel d’été
un trait noir s’est projeté
c’est un martinet
*****
Enfant je jetai
un caillou au fond du puits
et jamais depuis
je n’ai cessé d’y penser
tout en bas l’œil noir
me charmait pour m’attraper
comme avalent les miroirs
*****
Sur une marelle
l’enfant saute sur un pied
de l’enfer souillé
au paradis des merveilles
il semble léger
il touche à peine le sol
prêt à prendre son envol
*****
Que reste-t-il d’elle
de ma tendre mère Adèle
les années l’effacent
de ma mémoire fugace
le noir de ses yeux
son grand sourire radieux
et son parfum délicieux
*****
Sur le jeu d’échecs
pas de prise de becs
il faut du noir et du blanc
pour amuser petits et grands
Toutes les couleurs s’assemblent
tous les pions se ressemblent
c’est la loi de la nature
où la diversité devient parure
seuls les hommes font un drapeau
de la couleur de leur peau
*****
Oublier le guerre
le feu la mort la misère
le monde l’espère
*****
Un jour il partit
Dieu pour quel paradis
la terre est son lit
*****
La barque balance
comme un berceau de l’enfance
sous le ciel de France
*****
Le fer de l’araire
a griffé le bloc de pierre
et le vif argent
a jailli comme un serpent
du coeur de la terre
l’homme a posé son outil
quand la cloche a retenti
*****
Le 27 05 2022 : Haïkus, Tankas: (167)
C’est quand on va mal
qu’on pense au pays natal
comme à un fanal
*****
Il ne reste rien
de ces fantômes lointains
qui étaient les miens
*****
Faudra-t-il toujours
rechercher le grand amour
qui tournera court
*****
Une larme glisse
pareille à l’eau salvatrice
au fond d’un calice
*****
Un chapeau de paille
en pays de Cornouailles
c’est jour de fiançailles
*****
Un soleil carmin
tout au bout de ce chemin
un œil opalin
*****
Encore un massacre
la célébration macabre
la nature humaine
à laquelle nous ramène
le goût de tuer
le mal à perpétuer
depuis toute éternité
*****
Retrouver l’enfance
cet élixir de jouvence
tracer la marelle
le cloches de la chapelle
chanter la chanson
siffler comme des pinsons
faire un chœur à l’unisson
****
Le 26 05 2022 : Haïkus, Tankas: (166)
Les fleurs d’acacia
et leur parfum de nougat
que je n’oublie pas
*****
Jamais je n’irai
dans ce lointain oranais
ce pays défait
*****
Je revois l’enfant
tout petit parmi les grands
tous aussi violents
*****
La mouette grise
de l’immensité éprise
à crier s’épuise
*****
Un cœur amoureux
pourra se sentir heureux
s’il palpite un peu
*****
Le 25 05 2022 : Haïkus, Tankas et Gogyōka : (165)
Ma vie cet enfer
dès le début une suite de galères
à ma naissance je ne savais pas marcher
je ne pouvais pas m’enfuir quand on m’attachait
je ne savais pas non plus parler
ni déposer plainte, ni cavaler
Un enfer décidément
je ne vous dirai pas la litanie
de tous mes désagréments
ni de mes avanies
Ce matin au moment de me chausser
j’ai cassé mon lacet
c’est dire comment elle est dure
cette existence de tortures
et comme je n’ai pas de chance
je suis sûr que l’avalanche
d’épreuves se poursuivra
sans doute on me mettra
dans le tombeau d’un inconnu
ou d’un diable cornu
*****
Encore aujourd’hui
un assassinat gratuit
d’enfants sans sursis
*****
J’attends le soleil
qui viendra à mon réveil
enchanter ce jour
en éclairant mon parcours
j’attends l’embellie
une chanson d’Italie
une jeunesse alanguie
*****
Le 24 05 2022 : Haïkus et Tankas : (164)
Un enfant qui rit
dissipe tous nos ennuis
et la joie revit
*****
L’amour bienveillant
d’une mère sur l’enfant
le rendra confiant
*****
La délicatesse
d’une si tendre promesse
est une caresse
*****
Le pas du cheval
sur la berge du canal
descend vers l’aval
*****
La femme s’enfuit
et un homme la poursuit
peu avant la nuit
*****
Ils tapent du pied
en marchant les écoliers
leur chanson joyeuse
dit l’histoire bienheureuse
d’une simple gueuse
qui s’offrait un grand amour
d’un poète troubadour
*****
Un vieillard assis
sur un carré de tapis
attend un ami
pour parler du temps jadis
ils aimaient danser
bien avant de s’engager
au conflit mondialisé
*****
Ils voulaient s’enfuir
comme s’ils allaient mourir
au prochain soupir
*****
Le 23 05 2022 : Haïkus et Gogyōka : (163)
Ces ombres qui passent
dans notre vie et trépassent
sans laisser de trace
*****
C’est une menace
un traquenard une nasse
un enfer tenace
*****
Un simple sourire
plus cher qu’un vaste empire
plus dur que porphyre
*****
On m’a dit sois sage
montre toi doux et tranquille
je te le présage
pour toi une vie facile
les plus beaux voyages
j’ai fait tout ce qu’on m’a dit
et je n’ai pas un radis
pas d’amour sublime
aucune passion n’anime
ce gris tout autour
peuplé de mille vautours
*****
Je ne dirai plus
tous ces mots qui t’avaient plu
quand tu m’as connu
*****
Un poids sur le cœur
une espèce de frayeur
le goût du malheur
*****
L’oiseau est plus libre
que tous les héros des livres
au regard de tigre
*****
Le petit enfant
qui s’inventait des romans
pour fuir ses tourments
il regardait ses parents
vieillir tristement
dans une pays dévasté
par des soldats détestés
*****
Le 21 05 2022 : (161)
La demoiselle brune
qui chantait à la lune
et dansait sur la dune
le faisait pour des prunes.
Pas une seule thune
n’augmentait sa fortune.
Sans ambition aucune
elle vit sans rancune.
*****
Le 20 05 2022 : (160)
Chacun traîne un boulet
de son lointain passé,
on cherche l’enfant
chéri de ses parents.
On se fait des amis
qui servent d’alibi
pour prolonger sa vie
dont on n’a plus envie.
On rêve de rivière,
on voudrait un ruisseau
pour se baigner dans l’eau.
On attend le printemps
pour fuir les pieds devant
un présent trop pesant
un hier oppressant.
Fermer les yeux enfin
sur ce monde assassin,
s’inventer un destin
qui serait moins mesquin.
Le 19 05 2022 : Haïkus et Tankas: (159)
S’envoler un jour
au dessus des toits des tours
et voir tout autour
*****
Ils poussent du doigt
des planètes quelques fois
ces enfants narquois
*****
Seule à sa fenêtre
elle se dit des peut-être
à l’homme à connaître
*****
Le soleil captif
dans ce piège possessif
de tes yeux naïfs
****
Ses jours et ses nuits
se déroulent dans l’ennui
le bonheur la fuit
*****
Dans ce cimetière
se passe sa vie entière
cet ami fidèle
chaque jour vient sur la stèle
pleurer sa maîtresse
et lui dire sa tendresse
qui le tient toujours en laisse
*****
Renoncer à tout
mais te dire des mots doux
ne plus voir le jour
oublier les beaux discours
pour vivre avec toi
plus heureux que tous les rois
et te garder près de moi
*****
Depuis l’horizon
les canons des garnisons
visent les maisons
ils inondent les moissons
de feu de poison
la haine et la déraison
tout détruisent sans façon
*****
Le 18 05 2022 : Haïkus et Tankas: (158)
Fleurir tous les ans
la tombe de mes parents
pleurer un moment
*****
Toujours des questions
et des interrogations
sans aucune réaction
*****
Une jeune fleur
dans le vieux port de Honfleur
pleurait sa douleur
*****
On m’a dit sois sage
pour voir d’autres paysages
comprends ce message
inscrit en haut de la page
mais ma vie est un naufrage
je vois le prochain rivage
et la fin de mon voyage
*****
À moi les amis
ces compagnons tant chéris
aujourd’hui partis
trop loin de mes bras ouverts
désormais déserts
finis les éclats de rire
finis les joyeux délires
*****
La tige penchée
d’une rose desséchée
nous dit la détresse
quand s’étiole la jeunesse
au fil des saisons
s’épuisent les fenaisons
et se meurt notre maison
*****
Les beaux souvenirs
nous font désormais souffrir
nos têtes se vident
et le cerveau est aride
oublié le nom
de tous ces chers compagnons
plus légers que papillons
*****
Le 17 05 2022 : Haïkus et Tankas: (157)
La douce tiédeur
d’une larme de bonheur
réchauffe mon cœur
*****
Où sont-ils partis
tous ces merveilleux bandits
amis des jeudis
*****
La houle me berce
le cours du temps se renverse
je me sens content
dans les bras de ma maman
quand j’avais un an
le goût de miel me revient
du sourire maternel
*****
La dame et son chien
bien connus de leurs voisins
vont chercher leur pain
à la boutique du coin
tôt dès le matin
elle sent bon le jasmin
le toutou lui s’en moque bien
La muse a tenté
de tirer les vers du nez
d’un barde enchaîné
*****
Chacun sa misère
sur cette maudite terre
où l’on désespère
*****
Saurez-vous me dire
sans que j’éclate de rire
que vous m’aimerez
qu’heureux vous me garderez
pour toute la vie
malgré ceux qui nous envient
cessez donc vos tromperies
*****
J’ai tendu la main
ma paume remplie de graines
mais hélas en vain
aucun moineau ni serin
ne s’y est perché
j’ai cessé de pleurnicher
j’ai donc choisi de pêcher
Je pleure la nuit
seul dans mon grand lit
mon rêve qui s’enfuit
*****
Le 14 05 2022 : Haîkus et Tankas : (154)
Fleur de lilas blanc
ne survivra pas longtemps
aux feux du printemps
*****
Au matin radieux
une larme dans tes yeux
et je tremble un peu
*****
Et je me demande
ce que cette propagande
nous rapportera
je crois qu’on en crèvera
c’est un choléra
la peste ou la malaria
une abjecte guérilla
*****
Vision idyllique
d’une beauté iconique
près d’une fontaine
son profil de vénitienne
découpe l’azur
en un dessin aussi pur
qu’un portrait de souveraine
*****
Un homme brisé
anéanti méprisé
devant sa maison
détruite par le canon
et la déraison
Il se perd en oraisons
sa douleur est sa prison
***
Le 12 05 2022. (153)
L’homme avance tranquille, il suit sa bonne étoile
elle est le vent puissant qui gonfle sa grand voile.
Marcheur infatigable, il va où vont ses rêves
aux premières lueurs du soleil qui se lève
il cherche un grand amour qu’il trouvera demain
dans une longue errance en un pays lointain.
Il la reconnaîtra et lui prendra la main,
elle lui sourira sur le bord du chemin.
Jamais on ne verra d’amoureux plus aimables
car ils s’inventeront une vie formidable,
ils se fabriqueront tant de beaux souvenirs
pour habiller leur maison et leur avenir.
*****
Le 11 05 2022 : Haïkus, Tankas (152)
Un homme et son chien
se promènent dans la ville
ils ne savent rien
du malheur qui se profile
bientôt c’est la mort
la volonté du plus fort
que l’on impose d’abord
*****
Ton doigt sur mon front
dessine d’étranges fleurs
des rhododendrons
au doux parfum de bonheur
je ferme les yeux
en cet instant merveilleux
où je me sens bienheureux
*****
L’enfant endormi
entre mes bras assoupi
si léger pourtant
a son poids de sentiment
fardeau imposant
mon trésor le plus précieux
qui me fait l’égal des dieux
*****
Le terrible effroi
ils t’ont découpé les doigts
tu n’auras plus froid
*****
Le 10 05 2022 : Haïkus (151)
Planer dans le ciel
pouvoir goûter le soleil
et l’or de son miel
*****
Assez de clairons
d’héroïques oraisons
enfin la raison
*****
Partout la violence
le rejet la médisance
et l’indifférence
*****
Jeté comme un chien
dans le fossé chemin
qui ne mène à rien
*****
En battement d’ailes
une élégante hirondelle
longe la venelle
****
Du haut de leur trône
leur suffisance rayonne
on n’est plus personne
*****
Comme un chien de guerre
il se cherche un ministère
pour son gros derrière
*****
Il vaut mieux rêver
voir le soleil se lever
le mal s’achever
*****
La main trop ridée
d’une grand-mère adorée
sur sa joue poudrée
*****
Si tu les désignes
comme des bêtes indignes
le mal te domine
*****
Le 09 05 2022 : Haïkus (150)
Une femme chante
pour que la patrie s’enchante
des temps d’épouvante
*****
Des croix dans les champs
où rien ne pousse pourtant
depuis très longtemps
*****
Le clairon qui sonne
au fond de mon cœur résonne
la honte des hommes
*****
La mine prospère
ils évoquent les deux guerres
qu’ils ne savent guère
*****
Puisqu’ils aiment ça
qu’ils jouent aux petits soldats
qui marchent au pas
*****
Marie ne dit rien
elle pétrit ses deux mains
Jean mourra demain
*****
Quand la bombe éclate
vos pupilles se dilatent
et vos bras s’écartent
*****
Le 08 05 2022 : Haïkus (149)
La vieille bourrique
avance à coups de trique
sous le ciel d’Afrique
*****
Jolis mots d’amour
ne survivent pas toujours
aux premiers discours
*****
Maman sans câlins
tu me cajolais de loin
sur ton cœur d’airain
*****
Qui dit des je t’aime
à Pâque ou au carême
se crée des problèmes
*****
La pierre dans l’eau
dessine mille cerceaux
pour les jouvenceaux
*****
Sifflement du vent
méfie-toi imprudent
des crocs du serpent
*****
Voudras-tu enfin
me donner un jour ta main
pour l’anneau d’or fin
*****
Une odeur de foin
qui arrive de si loin
par mille chemins
Le 07 05 2022 : Haïkus (148)
Mais où vont les âmes
de tous ces hommes et femmes
qui souffrent leur drame
*****
Dis ce que tu veux
parle moi de ses yeux bleus
elle t’aime un peu
*****
La goutte qui tombe
sur le marbre de la tombe
fait un bruit de bombe
*****
Les amoureux fous
au petit cœur d’amadou
disent des mots doux
*****
Il ne pleure pas
l’amour n’est plus ici bas
depuis son trépas
*****
Si ton cœur est triste
fais un dernier tour de piste
et salut l’artiste
*****
Seul parmi la foule
qui te porte comme houle
ta vie se déroule
*****
J’aime bien le riz
je préfère les radis
jeudi samedi
*****
Le 06 05 2022 : Haïkus (147)
Dans tes cheveux blancs
le vent souffle un sentiment
qui me fait tourment
*****
Il fit de son mieux
dans cet univers odieux
pour nous rendre heureux
*****
Il restait de bois
quand je le pointais du doigt
mon vieux mon papa
*****
Fermé à la peine
l’acier fondu dans ses veines
reclus dans sa haine
*****
Tes pas hésitants
alourdis par tout ce temps
tu m’aimes pourtant
*****
En pleine lumière
un pinson sur la faîtière
chante sa prière
*****
Ils ne seront rien
ces hommes avec leurs chiens
à la fin des fins
*****
C’est bientôt fini
en enfer au paradis
nous serons partis
****
Quand ils partiront
loin des ors de leurs salons
plus de fanfarons
*****
Le 05 05 2022 : Haïkus (146)
L’immonde tristesse
nous prend et nous mène en laisse
jusqu’à la détresse
*****
L’horrible détresse
qui nous tient et nous abaisse
jusqu’à la vieillesse
*****
Il est quelque part
sur un chemin de hasard
l’ami en retard
*****
Il aura mon vin
et des tranches de bon pain
il viendra demain
*****
Tu me parleras
de notre vie là-bas
sous les acacias
*****
Je n’ai plus ta main
pour me montrer le chemin
vers le lendemain
*****
Sa main sur le cœur
et tous ses serments trompeurs
sèment le malheur
*****
La fourmi se presse
et craint de manquer la messe
et ses vœux d’abbesse
*****
Le 04 05 2022 : Haïkus, Tankas (145)
Non pas le tonnerre
qui vient frapper notre terre
ce n’est que la guerre
*****
Saura-t-il jamais
que tu l’aimais de trop loin
dans ton petit coin
*****
Quatre garnements
s’amusent près de l’étang
comme leurs parents
*****
Les blondes fillettes
étalent une dînette
sortie pour la fête
*****
Deux rangs sont tombés
sur le chemin allongés
les fusils pointés
par rafales ont tiré
l’acier meurtrier
quelques pelletées de terre
là-haut Dieu se désespèrent
*****
Le 03 05 2022 : Haïkus, Tankas (144)
L’homme s’est levé
haineux il a exhorté
ses frères damnés
*****
Je maudis les gares
désertes où l’on s’égare
sans guide ni phare
*****
d’un simple bonjour
murmuré dans une cour
peut naître un amour
*****
Je n’ai pas voulu
ce qu’il nous est advenu
je n’en pouvais plus
déplora un inconnu
chez les prévenus
les vainqueurs et les vaincus
n’ont jamais rien obtenu
*****
Le 29 04 2022 : Gogyōka(143)
Chaque soir je me couche avec la sourde appréhension
une sorte de sournoise tension
qui me chuchote à l’oreille
que cette nuit pourrait être la dernière
Ce n’est pas pour moi que je m’inquiète
je sais où tous les chemins finissent
mais pour les miens qui me survivront
ceux que j’aime que je ne pourrai plus
serrer dans mes bras ni écouter
les petits riens qui me comblaient
leur rire éphémère, leurs confidences
de la plus haute importance
Chaque soir je me couche avec la dure certitude
que ce monde futile et souvent cruel
ne me manquera pas j’y ai vu trop de guerres
et de désolations, de misères et d’injustices
trop de vaniteux menteurs
de victimes innocentes
de religions trompeuses
la cupidité partout
je partirai sans bagage
l’esprit serein si ce n’était mes enfants, mon amour
que je laisserai derrière moi
pourtant je prendrai peut-être
quelques rêves d’adolescent
et la triste solitude.
Le 01 05 2022 : Haïkus, Tankas (142)
Te rappelles-tu
tous nos beaux rêves perdus
au vent disparus.
Libérés du poids des ans
comme des enfants
on désirait l’océan
ou sombrer dans le néant
*****
Donne un seul regard
à cet amoureux hagard
chassé sans égard
*****
La lune endormie
s’est éteinte d’anémie
ou partie en Tasmanie
*****
Le grand goéland
au-dessus de l’océan
chasse l’éperlan
*****
Un enfant dessine
une scène sous-marine
aux tons d’opaline
*****
Il ne reste rien
de ceux qui furent les miens
et que j’aimais bien
*****
J’étais le premier
pourtant je suis le dernier
des fils du foyer
*****
Vivre est un convoi
pareil à ceux que l’on voit
en plein désarroi
*****
Survivre à la guerre
à ceux qu’on a mis en terre
hors du cimetière
un camarade ou un frère
couché sous les pierres
de sa maison frontalière
par la bombe meurtrière
*****
Un rire d’enfant
parmi tous les décombres
réduit à néant
les perspectives trop sombres
d’un noir lendemain
et ce rire nous retient
dans ce bas monde incertain
*****
Le 27 04 2022 : Haïkus, Tankas et Gogyōkas(140)
Quand le ciel se couvre
de nues au-dessus du Louvre
tombera la foudre
*****
On voudrait toujours
que la fleur de nos amours
garde ses atours
*****
Sur le cerisier
la tendre fleur de papier
s’est vu dépouiller
*****
Un vif éclair blanc
au-dessus de cet étang
un poisson volant
*****
Elle est toute à toi
et tu te prends pour un roi
sans foi et sans loi
*****
Ils avancent en file indienne
autour d’eux hurlent les sirènes
qui annoncent les avions
qui détruisent la nation
et quand les bombes tombent
chacun creuse une tombe
au bout du chemin
un salut incertain
peut-être pour demain
ils n’osent voir plus loin
un jour la guerre cessera
et la vie reprendra
on n’ose trop y penser
c’est un espoir insensé
qui pourrait les détruire
au lieu de les conduire
hors de cette ornière
creusée par la guerre
*****
Il suffit d’un jour
au soleil pour faire un tour
du monde alentour
*****
La femme blessée
sur la route délaissée
se voit terrassée
*****
Te dire les mots
qui guériront tous tes maux
de cœur en lambeaux
*****
Ces années qui passent
en cortège dans l’espace
nous laissent leurs traces
*****
La rose fanée
par la peine insoupçonnée
s’est vue malmenée
*****
La chanson d’amour
qui s’élève dans la cour
ravit à l’entour
*****
Plus fin qu’une épée
le voilier qui appareille
pour l’île aux merveilles
écrira son épopée
les aventuriers
trafiquants contrebandiers
exercent leur dur métier
*****
Je veux sur mes yeux
le velours de tes cheveux
je veux sur ma peau
ta caresse en un ruisseau
je veux dans ma vie
toi ma princesse ravie
et ta passion assouvie
*****
Je ne veux avoir
charmants soleils dans le soir
que tes yeux brun-noir.
*****
Et la pluie sur nous
abat ses coups de bambou
pour un chant vaudou
*****
Jamais je ne veux
voir de larmes dans tes yeux
je suis malheureux
*****
Mes amis ont ont peur
de cet inconnu malheur
qui vient quand on meurt
*****
Une délivrance
que l’étrange renaissance
en fin d’existence
*****
L’océan sans cesse
revient comme une caresse
pleine de tendresse
tant que la marée ne baisse
le ballet facile
la cadence si tranquille
de notre univers mobile
*****
Le soleil câlin
le beau sourire enfantin
la joie pour demain
le doux parfum du jasmin
le bleu sous-marin
le beau chant des dauphins
le bouquet de romarin
*****
Que je sois maudit
du lundi au samedi
si tu me subis
*****
Le 24 04 2022 : Haïkus et tankas (137)
L’amour éperdu
hante des sentiers perdus
que nul n’a connus
*****
Douce demoiselle
en parure de dentelles
ouvrira ses ailes
*****
C’est dans les nuages
que Dieu a vu les images
des bêtes sauvages
*****
Baisers innocents
échangés par les enfants
survivront longtemps
*****
Ma bouche a posé
dans ton cou un long baiser
plus chaud qu’on brasier
*****
L’épouse saccagée
par son amour outragée
pauvre colombe
qu’on a jetée dans la tombe
sans bouquet de fleurs
sans avoir versé de pleurs
prisonnière du malheur.
*****
Le 23 04 2022 : Haïkus et tankas (136)
Les années ravinent
son cuir de tortue marine
ses yeux d’opaline
posés sur une gamine
voyaient la câline
demoiselle qu’elle était
quand chacun la convoitait
*****
Ne reste plus rien
des rêves enfantins
qui m’emportaient loin
*****
L’échine cassée
les années l’ont trop brisée
sa vie est passée
*****
Sa grande richesse
ce fut sa belle jeunesse
pleine de promesses
*****
Les grands yeux levés
sur la femme à son chevet
se rêvent sauvés
*****
Il dit le soleil
dans le ciel couleur de miel
au premier réveil
dans son pays natal
parfums de santal
le monde est rouge ou doré
les baisers au goût poivré
*****
Ta main sur mes yeux
comme un voilage soyeux
me rend plus heureux
*****
N’ajoute plus rien
garde moi sur ton sein
où je me sens si bien
*****
Les arbres frissonnent
à tous les vents de l’automne
et je m’abandonne
la tristesse me harponne
et Dieu me pardonne
si je n’aime plus personne
quand la mitraille résonne
*****
Le 20 04 2022: Haïkus, Gogyōkas (134)
La beauté dedans
ce n’est pas très évident
ça prend trop de temps
*****
Rien n’est plus mignon
qu’un enfant au biberon
ainsi font-font-font
*****
Un regard brûlant
un beau sourire innocent
l’astre au firmament
*****
Les années s’égrènent
tu es toujours dans la peine
la vie te malmène
*****
tu ne pourra plus
de mille douleur perclus
déclarer qu’elle t’a plu
*****
l’odeur de café
la tranche de main grillé
le soleil levé
*****
Dans le creux de ta main
j’ai déposé ma vie
rien ne sera demain
comme une tragédie.
C’est toi que j’attendais
mon soleil de chaque matin
toi qui résidais
dans un pays lointain
dont je ne savais rien.
Et nous marchions ensemble
mon pas accordé au tien
heureux il me semble.
Je ne veux d’autre ciel
que l’or de tes yeux
mon trésor essentiel
mon bien le plus précieux.
*****
Le 19 04 2022: Haïkus, Gogyōkas et tankas (133)
Le petit oiseau
qui tète encor sa maman
pas de Monaco
où jeter son bel argent
dans le casino
il attendra quelque temps
pour gagner des haricots
*****
Mais chaque seconde
emporte dans une ronde
un pan de nos vies
*****
La maison sur la colline
balayée d’odeurs marines
subit les attaques du vent
et des ouragans
Ainsi sommes nous pourtant
nous les hommes fragiles
modelés comme l’argile
par la fureur du temps
nous tenons vaille que vaille
avant de rouler dans la paille
*****
Quand le paradis
aura besoin de ma vie
seras-tu ici
*****
L’onde du ruisseau
creuse avec obstination
un chemin nouveau
au milieu des fondations
*****
Le 18 04 2022: Haïkus, Gogyōkas et tankas (132)
Tôt dès le matin
une portée de gamins
cherchaient leurs lapins
et leurs rires cristallins
déferlaient dans le jardin
nous n’étions que des enfants
innocents et insouciants
*****
Vogue la galère
appareille pour la guerre
des enfants mourront
sous le feu de cent canons
par la volonté
d’un dictateur éhonté
que nul n’osera dompter
*****
Les rêves sont cruels
et amers comme le fiel
pour le commun des mortels
*****
Ce point tout au loin
sur la crête de la vague
serait-ce un marin
un chalutier qui divague
ou un goéland
égaré sur l’océan
qui se repose un instant
*****
De quel droit l’immonde
martyrise tout son monde
tue chaque seconde
*****
Quand naîtra l’espoir
que les hommes pourront voir
s’installer la paix
chaque matin ils priaient
comme des enfants
Je crois qu’ils n’en sera rien
le mal domine le bien
*****
Partir s’envoler
loin de ce monde affolé
au premier sifflet
qui ordonne le signal
de l’assaut final
quitter ce monde inhumain
où demain reste trop loin.
*****
Une enfant qui chante
un conte d’adolescente
pour quelques amies
cette Amélia s’est enfuie
chassée par la guerre
devant des nations entières
elle chante pour ses frères.
*****
Je rêve d’une île déserte
dans la mer bleue toute ouverte
planté devant l’élément
assister au soleil levant
n’entendre que le chant des vagues
et suivre le vent qui divague
oublier le nom de la guerre
et l’humanité entière
puis si cela était possible
dormir d’un sommeil paisible
*****
Le seul homme qui pourra
transformer un églantier
en un sapin de noël
ou un lugubre cercueil
par un abra-cadabra
c’est le poète ce sorcier
car son savoir est entier
*****
Une pluie de roses
sur le convoi de blindés
quelle étrange chose
et ce spectacle insensé
défie la raison
c’est un dangereux poison
une funèbre oraison
*****
Le 16 04 2022 : Haïkus et tankas (130)
Tous les vieux saumons
affrontent les tourbillons
pour mourir au fond
*****
Ma vie n’est plus rien
si tu délaisses ma main
pour partir au loin
*****
Comme ces vieillards
égarés dans un couloir
perdent tout espoir
*****
Cet homme en chemin
qui entre dans le jardin
est-il un marin
qui nous annonce la fin
de la guerre enfin
sors le broc de cristal fin
verse notre meilleur vin
*****
Il vit sous ton toit
docile il demeure coi
il marche avec toi
*****
La vieille recompte
les grains de son chapelet
sa vie est un conte
sur un siècle déroulé
ses beaux souvenirs
l’empêcheront de mourir
le prix sera de souffrir
*****
Mêle ton beau rire
à celui de tes enfants
rien ne sera pire
que le silence glaçant
autour de la table
dont vous vous sentez coupables
s’installe entre les gens
*****
Rendez-moi enfin
un de ces bonheurs lointains
un rêve d’enfance
dans ce bout de France
de l’autre côté
dans une blanche cité
de mon pays rejeté
Le 15 04 2022 : Haïkus (129)
L’oiseau est tombé
de la cime du mûrier
ils ont dit bien fait
*****
Surtout n’attends pas
que la cascade là-bas
inverse son pas
*****
Tes cils papillonnent
quand tu voudrais bien mignonne
que l’amour bourgeonne
*****
Combien je déteste
ce hargneux comme la peste
qui juge et conteste
*****
Mes mains dans le sable
sculptent des châteaux instable
pour fermer le diable
*****
Le nom des planètes
sur la pierre de Rosette
restera secrète
*****
Mon havre favori
et mon petit paradis
c’est ton cœur joli
*****
Le ronron du chat
plus tranquille qu’un pacha
que rien ne fâcha
*****
L’algue du ruisseau
danse parmi les roseaux
comme un vol d’oiseau
*****
L’enfant tient ma main
et m’emmène vers demain
heureux et serein
*****
Le 14 04 2022 : Haïkus, Tankas et Gogyōkas(128)
Quand tu avais peur
tu te jetais entre mes bras
nous vivions encor là-bas
puis vint le malheur
****
La fin de l’été
l'hirondelles s'est enfuie
vers des cieux secrets
pour mener sa vie
******
C’est trop cher payer
cette vie à espérer
un bonheur discret
des torrents de pleurs versés
trop de jours passés
à rechercher un oubli
d’un amour inassouvi
*****
Des gouttes martèlent
Le toit de la citadelle
son tambour appelle
au repos des sentinelles
une demoiselle
chantonne la ritournelle
de la belle jouvencelle
*****
Triste jour d’automne
où tous les amants s’étonnent
que nul ne pardonne
*****
Le canon résonne
mais il n’y a plus personne
quand l’assaut claironne
*****
Que répond l’enfant
à l’horreur de ces massacres
à tous ces gisants
ces théâtres si macabres
qui s’imposent à lui
quel serait son sentiment
devant ces crimes gratuits
*****
Il est un pays
où toute raison s’enfuit
où nul ne sourit
*****
Le 13 04 2022 : Haïkus, Tankas et Gogyōkas(127)
Les deux poings serrés
pour empêcher de frapper
il vaut mieux pleurer
*****
Ce n’est qu’une larme
pour enfin briser le drame
qui sur nous s’acharne
*****
Inlassablement
la force de l’océan
reste en mouvement
*****
Un étrange oiseau
en habits sacerdotaux
chasse le corbeau
*****
C’est une maman
qui susurre à son enfant
la douce berceuse
de sa belle voix rêveuse
le nourrisson chéri
ferme ses grands yeux ravi
et s’endort au paradis
*****
Il n’est plus possible
dans ce bas monde terrible
qu’un mari violent
batte ainsi impunément
la mère et l’enfant
qu’il prétendait protéger
l’odieux tyran ménager
*****
L’eau vers le bassin
dessine son long chemin
tel est son destin
*****
Cet enfant battu
que nul n’a vu
ne gémissait plus
*****
Il y a sur terre
une humanité grégaire
qui maudit ses frères
*****
Elle avait la grâce
d’une comète qui passe
dans la nuit sans lune
pour s’échouer sur la dune
On ne voyait qu’elle
au milieu des demoiselles
du couvent des hirondelles
*****
Le flux et le reflux
dessinent des petits rus
sur le vaste estran
plus brillant que l’argent
Jamais l’océan
ne cessera son ballet
sur le sable et les galets
*****
Tes yeux si profonds
tes cheveux de goémon
tentent les garçons
*****
La question entête
les vers feront-ils la fête
au corps du poète
*****
En ce mois d’avril
tous les agneaux en péril
redoutent le gril
*****
Le 11 04 2022 : Haïkus, Tankas et Gogyōkas(125)
*****
Un petit vieux d’un mètre quatre-vingt
qu’on avait nourri au pain et au vin
imaginant ce que sera demain
décida qu’il n’en saurait jamais rien
*****
Après une vie de fêtard
il décéda dans un mitard
en compagnie de trois taulards
*****
La tête penchée
sur sa poitrine percée
la lance acérée
et les haines avérées
l’ont assassiné
Que restera-t-il de lui
lorsque nous en aurons fini
Des clous sur la croix
et le déclin de la foi
*****
Le soir à genoux
je récite une prière
au père de tout
et je dis protège Pierre
ce n’est pas mon nom
mais je suppute qu’au fond
à mon dernier jour
il perdra bien plus d’un an
voué à l’amour
que je vivrai goulûment
Le 10 04 2022 : Haïkus, Tankas et Gogyōkas(124)
Mamie Papillon
tel est son nouveau prénom
car ses mains s’agitent
comme des oiseaux en fuite
Mamie Parkinson
en a fait une chanson
pour amuser ses garçons
_____
Ses grands yeux d’azur
dans cet univers si dur
se ferment parfois
elle rêve d’autrefois
d’amours de princesses
de donjons de forteresses
quand la vie n’était que liesse
_______
C‘est la voix d’un ange
qui berce et se mélange
parfois au chant des mésanges
_____
Ce jour ou jamais
ils diront que j’ai osé
et que je l’ai fait
_____
En souvenir de vous
je prie à deux genoux
comme pleurent les fous
enfermés sous verrous
Où sont vos baisers doux
vos lèvres dans mon cou
votre cœur d’amadou
qui me tenait debout
Chez nous vit un coucou
égoïste et jaloux
qui m’a roué de coups
quand vous l’aimiez beaucoup
Je vous cherche partout
à tous nos rendez-vous
je ne vaux plus un clou
ma place est dans le trou
*****
Le 09 04 2022 : Tankas et Haïkus (123)
Au fond du cachot
je vois la ciel là-haut
malgré les barreaux
*****
Il est malheureux
qui n’a pas pleuré un peu
puni par les dieux
*****
Beaucoup de bateaux
qui ont sombré dans les flots
avec les coraux
*****
Tapi bien au chaud
contre ton coeur d’artichaut
je suis le plus beau
*****
Terrassée par la surprise
dans une ville trop grise
la femme sur sa valise
un peuple que l’on méprise
l’humanité compromise
l’espérance que l’on brise
*****
Pleurez dans vos mains
pauvres soldats ukrainiens
verrez-vous demain
le tyran a son dessein
son rêve inhumain
est de vous réduire à rien
votre pays est le sien
*****
Le 08 04 2022 : Tankas et Haïkus (122)
Passent les six cognes
le guidon dans leurs deux pognes
ils hurlent leur rogne
et dans leurs veines bouillonne
le sang enragé
pour s’être engagés
à servir les usagers
*****
Une étoile filante
a sombré dans l’océan
dans la soupente
je rêve le cœur battant
d’astres et de planètes
éperdus dans une fête
au dessus des continents
*****
Dans le vent d’automne
une feuille tourbillonne
elle papillonne
****
Sa bouche gourmande
le lait de ton sein quémande
en sublime offrande
*****
Le 07 04 2022 : Haïkus, tankas et Gogyōkas (121)
Est-ce un feu joyeux
tous ces gens semblent heureux
on vit comme on peut
*****
Grâce d’un matin
nous nous tenons par la main
tels des chérubins
*****
Le pas fatigué
le visage piqueté
il veut nous quitter
il dit qu’il a mérité
la sérénité
il s’éloigne dépité
désespéré irrité
*****
Pour être une femme
faudra-t-il subir l’infâme
malheur et le drame
*****
L’extrême patience
de ce pêcheur à la ligne
qui malgré sa science
voit la malchance maligne
vider l’océan
des poissons au dos d’argent
qu’il attend depuis longtemps
*****
Il va dos au vent
marchant parmi les sillons
il sème devant
pour la prochaine moisson
le blé pour le pain
de tous ses concitoyens
qui le voient avec dédain
*****
Partir droit devant
partir sans se retourner
et jeter la clé
loin vers le soleil levant
nu comme un enfant
espérant un avenir
que Dieu voudra consentir
*****
Le 05 04 2022 : Haïkus, tankas et Gogyōkas (120)
S’est-elle aperçue
cette jeune fille dans la rue
qu’elle sortait nue
*****
Sans une question
le soldat d’une nation
a tiré la balle
qui se révéla fatale
au pauvre innocent
abattu en un instant
pour la gloire d’un tyran
*****
Mue par le vent
l’extrémité d’un sarment
écrit la chanson
des hommes à sa façon
elle dit la peur
la douleur et la sueur
et l’usure au dur labeur
*****
Je ne comprends rien
au comportement humain
qui prie tous les saints
et nourrit de noirs desseins
il tue son voisin
pour s’emparer de ses biens
avec un instinct malsain
Partir pour Cythère
faire le tour de la terre
voguer solitaire
*****
Une seule larme
vient ressusciter la flamme
de l’adieu aux armes
*****
Une femme attend
un convoi pour l’occident
avec ses enfants
*****
Que subir encore
combien faudra-t-il de morts
pour ouvrir les yeux
de ces affreux prétentieux
qui du haut des cieux
prétendent nous gouverner
et ne font que nous berner
*****
L’ombre du chapeau
vient dessiner sur sa peau
l’aile d’étourneau
*****
Si tu voulais bien
tenir encore ma main
nous irions si loin.
*****
Le vent du midi
avec ce sable maudit
vient souiller notre pays
*****
L’étrange noblesse
t’élève au rang de princesse
parée de richesses
Le 03 04 2022 : La jeune fille sans bagage :
Elle est arrivée par le bus dans cette petite ville portuaire par un matin brumeux, tel qu’il en existe beaucoup en Normandie. Sophie était vêtue d’une popeline vert-pomme, elle ne portait pas de bagage, seulement une pochette de cuir jaune fermée par un zip doré. Elle se rendit directement dans le hall d’accueil de l’hôtel du bon secours et demanda une chambre pour la journée. Mireille Blanc hard, la propriétaire de l’établissement lui demanda son nom pour remplir le registre, elle répondit en tendant sa carte bleue : Tenez, c’est écrit là. Un nom compliqué parsemé de Y et de K qui laissait supposer des origines polonaises. Cependant, elle n’avait aucun accent particulier. Une Française pur jus, une employée de bureau, une hôtesse de caisse dans un magasin, une vendeuse de lingerie, elle correspondait à toutes les éventualités que l’on pouvait avancer. L’hôtelière copia le nom de la carte bleue qu’elle rendit à la cliente.
_ Il vaudrait mieux que je paye ma note immédiatement, puisque vous avez les données en main. Chacun gagnera du temps, ce sera fait.
_ J’ai confiance, répondit la dame de l’accueil.
_ Ça ne fait rien, dit la voyageuse qui attendit sagement pour régler son séjour. Je pourrais avoir une chambre avec vue sur l’océan ?
_ Pas de problème, vous serez bien au quatrième étage, elle donne sur le front de mer et sur la jetée à votre droite. Vous assisterez ainsi à l’arrivée des ferrys.
_ Justement, j’attends quelqu’un. Il devrait arriver par la rotation de 13 heures. Il se peut que nous restions ici jusqu’à demain. Est-ce possible ?
_ Bien sûr, voulez-vous que je vous fasse monter un plateau… ou bien deux? Cela vous évitera de chercher un restaurant.
_ Ce serait très aimable à vous. Je vous dirai quand il arrivera.
Sophie monta dans sa chambre. Un peu plus tard, une femme de service cogna doucement à la porte pour apporter une corbeille contenant du linge de toilette, du savon et des serviettes. La cliente se tenait droite devant la fenêtre. Elle ne se retourna pas. L’employée ne la vit que de dos. Elle pensa que cette voyageuse attendait un fiancé ou un amant et qu’elle devait ressentir une certaine anxiété.
La sirène annonça le bateau de 13heures. Mireille pensa que sa cliente n’avait pas demandé son repas, peut-être attendait-elle la venue de son compagnon ? Trente minutes plus tard, un homme se présenta à l’accueil. Un vieillard, lui aussi vêtu d’un imperméable. Ses cheveux blancs accrochaient les lueurs des spots. La dame remarqua immédiatement ses grandes mains aux ongles soignés. Il demanda si la jeune fille était arrivée.
_ Je vais l’avertir de votre arrivée, dit-elle. Qui dois-je annoncer ?
_ Son père, souffla le vieil homme. Je me demande comment elle me recevra. Je ne l’ai pas vue depuis plus de trente ans. Elle n’avait que quelques mois .
Madame Blanc hard leva un sourcil perplexe.
_ J’étais jeune, pas assez mûr pour assumer une paternité. Ce n’est pas joli-joli. Avec l’âge, cela finissait pas m’obséder. Je l’ai recherchée et j’ai fini par la retrouver.
_ Comment a-t-elle pris la chose, osa demander l’hôtelière.
_ Je ne sais pas trop. Elle est longtemps restée silencieuse au téléphone. C’est moi qui lui ai proposé ce rendez-vous ici… Je suis très impatient, pouvez-vous l’appeler, s’il vous plaît ? J’ai hâte de la voir, de savoir si elle me ressemble.
Mireille composa le numéro de la chambre. Elle entendit la sonnerie dans la cage d’escalier. Plusieurs sonneries. Elle attendit vainement la réponse, puis elle proposa au visiteur de monter par l’ascendeur.
Le papa de Sophie était blême, il s’appuya sur la paroi de la cabine pour tenir debout.
Un flot de lumière aveuglante inondait la chambre. La brume s’était levée. Il fallut quelques secondes pour que les yeux s’habituent à la clarté qui déferlait par la fenêtre ouverte.
Sophie était étendue sur le lit, les bras le long du corps, revêtue de sa popeline vert-pomme, une main sur sa pochette de cuir jaune. Sa vie s’était achevée dans cette petite chambre d’hôtel.
Le 01 04 2022 : Les enfants d’Ukraine : (119)
tels des princes de Grenade
sous les canons qui canardent
s’épuisent en cavalcades
en des querelles bavardes
s’entraînent à la grenade
ils survivent par bravade
se décorent de cocardes
ils veillent en avant-garde
bravent les chars qui bombardent
tandis que le jour s’attarde
ne craignent pas la camarde.
Un lys affligé
sur une tombe posé
nie l’humanité
*****
Comme un cheval fou
notre vie nous mène au trou
le monde s’en fout
*****
Cette peine immense
de subir la dure absence
de la belle enfance
*****
Il faut rester fort
on nous le répète à tort
quand frappe la mort
*****
Le chant cristallin
de l’angélus du matin
se fait tout câlin
*****
On les voit en rangs
défiler les prétendants
qui roulent des hanches
car c’est ce dimanche
qu’on choisit le président,
alors ils sourient,
leur impudeur inouïe,
ils montrent leurs dents
dentifrice émail-diamant.
Il n’est pas certain
qu’ils régneront dès demain
le trône lointain
restera un rêve vain.
Nous paierons leur vin
ils volent notre labeur
et notre sueur.
Quand viendra-t-il ce sauveur
auréolé d’honneur ?
Jamais je ne connaîtrai
cet être parfait.
Le 30 03 2022 : Haïkus, tankas et Gogyōkas (117)
Le ciel peint en bleu
un nuage lui en veut
ravi quand il pleut
*****
Il traîne des pieds
fourbu d’avoir travaillé
comme un ouvrier
*****
Et cette impression
comme une sourde intuition
de révolution
*****
Le chariot de foin
nous revient d’un trop lointain
passé d’une enfance
dans la paix de notre France
quand on aimait son prochain
partout régnait confiance
*****
La troupe a défilé
au son de l’orphéon
les gens sur les perrons
montraient leurs mutilés
trombones et clairons
chantaient les fanfarons
heureux de cette guerre
qui divisait les frères
pour servir un drapeau
en y laissant sa peau
*****
Les deux mains sur la face
le vieil homme pleurait
sur la vie qui passe
pour le laisser insatisfait
Il n’a pas profité
de ce que la vie lui donnait
confronté à la réalité
son ambition le dominait
Il voulait la richesse
il le confort rassurant
et gâchait sa jeunesse
à rechercher l’argent
Il a trop négligé
l’amour et la tendresse
et le voilà affligé
seul dans sa forteresse
Aujourd’hui, il est trop tard
pour rattraper le temps perdu
il subit son cafard
comme un cheval fourbu
*****
La laideur du monde
et des gens parfois m’inonde
alors je m’effondre
*****
Serrons nos paupières
et oublions nos prières
rien n’est nécessaire
*****
Comme Pénélope
et son labeur interlope
je veux terminer
mon roman halluciné
avant de partir
pour ne jamais revenir
et de rien me souvenir
*****
Pourquoi est-ce si compliqué
de vivre simplement
depuis l’antiquité
jusqu’à la fin des temps
toujours cette haine
en tous lieux de la terre
de l’Afrique à l’Ukraine
on se fait la guerre
pour servir les ambitions
d’un dictateur dément
qui tue sans condition
et ment intensément.
*****
Le 23 03 2022 : Haïkus, tankas et Gogyōkas (113)
Son très vieux visage
se lisait comme les pages
d’un livre sans âge
les larmes y avaient creusé
des sillons croisés
ses petits yeux sans couleur
avaient vu trop de douleurs
*****
L’oiseau tout là-haut
n’a que faire de nos maux
il cherche un ruisseau
*****
Le chant de la mer
nous raconte les enfers
des regrets amers
*****
Qui dira la peine
de ces mères d’Ukraine
que la guerre aliène
*****
Si tu avais un bateau
tu partirais sur l’eau
pour rejoindre une île
lointaine et tranquille
ou tu pourrais vivre
seul avec tes livres
et la mémoire des tiens
qui sont morts pour rien
peut-être dans l’oubli
du monde perverti
trouveras-tu la paix
sans terre ni palais
la chanson de la mer
guérira ton cœur
*****
Le 22 03 2022 : Haïkus, tankas et Gogyōkas (112)
Là-bas la frontière
nous protège de la guerre
C’est ce qu’on espère
*****
Les sillons tout droits
ne s’inquiètent pas du froid
autour de chez-moi
*****
Enfin la chanson
répétée à l’unisson
par tous les pinsons
*****
Au cœur du cyclone
par une nuit de l’automne
les marins transis
aux membres endoloris
lèvent leurs filets
remplis de mille reflets
de cabillauds et rougets
*****
Devant sa fenêtre
une femme dit peut-être
pourrait apparaître
l’hidalgo qu’elle aimerait
qu’elle garderait
jusqu’à la fin de sa vie
car l’aimer est son envie
*****
En fin de soirée
boum sur les lattes cirées
La nuit est tombée
*****
Si tu jamais tu crains
l’amour de ce chérubin
ne tends pas tes mains
*****
Trop de femmes pleurent
sous les coups elles se meuren
et cela m’écœure
*****
*****
*****
Le 17 03 2022 : Haïkus, tankas et Gogyōkas(107)
Et je n’ai franchi
aucun pont sur l’Oubangui
je restai ici
*****
Des gens sont venus
se sont mis au garde-à-vous
quand ils nous ont vus
ils ont tous tiré sur nous
des ruisseaux de sang
des femmes et des enfants
spectacle bouleversant
*****
Qui pourra jamais
nous dire comment on fait
pour ainsi changer
et pour bouleverser
la nature humaine
y instiller cette haine
dans les villes ukrainiennes
*****
J’ai besoin de toi
pour retrouver cette foi
qui régnait parfois
dans le cœur de tous les hommes
que la déraison assomme
*****
Un homme qui pleure
chaque jour de bonne heure
On a commandé
de bombarder la cité
C’est un militaire
engagé dans une guerre
Son futur est un mystère
*****
Toujours des massacres
comédies et simulacres
pour que mort se passe
Que voulez-vous que l’on fasse
quand l’humanité trépasse
dans ce monde dégueulasse
*****
Neige-t-il encore
des nuages de flocons
que la nuit dévore
dessine des tourbillons
Mille papillons de cendre
remplissent l’espace
d’une cité à défendre
qui brûle sous la menace
d’une armée démente
Contre les tirs de missiles
des bouteilles incendiaires
Contre la fureur imbécile
des fleurs sur un sanctuaire
*****
Pourront-ils survivre
à la menace constante
de la fureur que délivre
une armée envahissante
*****
Leur vie reste figée
on a fermé leur école
leur enfance est obligée
à une vie qui les désole
Plus de courses dans les rues
les rondes sont disparues
ils se terrent dans les caves
de la frontière moldave
Triste métropole
parsemée de nécropoles
Le 14 03 2022 : Haïkus, tankas et Gogyōkas(105)
Dans la rue perdue
la jeune fille inconnue
craint qu’on ne la tue
*****
Les obus tombés
en plein coeur de la cité
n’auront pas mâté
ce qui fait notre fierté
de toujours résister
*****
C’est tant de tendresse
dans ce regard de maman
qui donne le sein
à son tout petit enfant
elle le redresse
pour lui donner un câlin
*****
épinglé dans un nuage
on dirait qu’il nage
qu’il flotte sur l’eau
L’alouette s’égosille
à lancer de longues trilles
*****
Dans le champ de blé
les frêles coquelicots
s’amusent à maculer
de baisers éclos
les épis d’or frissonnants
sous la caresse du vent
*****
Un éclair d’argent
a frappé le cerisier
au coeur de l’été
secoué par tous les vents
ne reste du tronc
qu’un grand spectre de charbon
qui implore son pardon
*****
Le pauvre gardon
prisonnier de l’hameçon
oubliera le fond
Le 13 03 2022 : Haïkus, tankas et Gogyōkas(104)
un feu de meule de foin
Le soleil mutin
qui annonce le matin
à l’horizon levantin
*****
On appelle on crie
et le ciel reste muet
où est Jésus Christ
ce bel ange désuet
on l’a tant prié
dans l’église agenouillés
qu’il nous a désespérés
*****
Je n’ai plus la force
d’attendre qu’enfin s’amorce
un monde meilleur
il semble que le Seigneur
veuille regarder ailleurs
Pendant ce temps-là
dans ces contrées tout là-bas
on livre un combat
où de terribles soldats
visent des enfants
et des êtres innocents
il suffit d’un mois
pour qu’un despote sournois
décrète un enfer
et transforme en un désert
les paisibles villes
où l’on respirait tranquille
*****
Humer l’alizé
qui semblait agoniser
jusqu’à s’en griser
*****
sur l’enclume très tôt
anime le village
Un forgeron hors d’âge
façonne un bout de fer
qui crache des éclairs
pour un cheval de trait
au poil plus blanc que lait
La cloche de l’église
répond et improvise
de sa voix cristalline
une chanson divine
*****
Le 12 03 2022 : Haïkus, tankas et Gogyōkas(103)
sur tout ce qu’ils voient
n’ont aucune foi
cependant je crois
qu’un jour tu viendras
danser entre mes bras
*****
*****
*****
*****
*****
Le 10 03 2022 : Haïkus, tankas et Gogyōkas(101)
******
*****
*****
*****
*****
Le 09 03 2022 : Haïkus, tankas et Gogyōkas(100)
il enjambe les foins
annonce le matin
Partir ne coûte rien
que nulle ne retient
*****
Un ange traverse le ciel
Les nuages se mirent
sur la face de l’eau
ils vont comme un navire
quittant les arsenaux
*****
Tu marches devant moi
le vent dans tes cheveux
me fait vibrer d’émoi
je me sens plus heureux
*****
C’est un enfant perdu
qui pleure ses parents
personne ne l’entend
gémir est défendu
je tremble qu’une balle
tirée par un fusil
n’arrête sa cavale
vers un autre pays
Dieu que la vie est dure
pour tous ces orphelins
l’immonde dictature
ruine leurs lendemains
Son sourire sournois
nous plonge dans l’effroi
c’est la folie du roi
Le 08 03 2022 : Haïkus, tankas et Gogyōkas(99)
Dès que vient minuit
cette étoile qui s’enfuit
moi je la suis
*****
Nul ne me dira
ce qu’un jour il adviendra
quand tu pleureras
*****
La nef dans le port
sur son reflet inversé
d’un rêve annoncé
on dirait qu’elle s’endort
doucement bercée
comme une bête harassée
qui voit s’approcher sa mort
*****
Elles se tiennent la main
elles chantent une chanson
ces jeunes demoiselles
au coeur du printemps
elles vont dans la lumière
auréolées de leur jeunesse
elles ne songent pas encore
à la difficulté de vivre
que racontent les livres
elles veulent tout connaître
du monde et des êtres
elles ignorent le doute
leur têtes pleines de rêves
et l’espoir au bout des lèvres
*****
La pierre dans l’eau
lancée par un jouvenceau
dessine des lunes
répétées dans la lagune
comme des signaux
d’une éternelle fortune
annoncée par un drapeau
****
Le 07 03 2022 : Haïkus, tankas et Gogyōkas(98)
une fleur de cerisier
a papillonné
*****
Vêtue de musique
l’artiste de flamenco
claquait des talons
et son chant ethnique
poignant lamento
disait la mort la passion
*****
Au loin les canons
rasent toutes les maisons
ils anéantissent
les écoles les hospices
sèment la détresse
là où vivait la jeunesse
terrible injustice
Ce matin la dame s’est réveillée guillerette
c’est enfin sa fête, un beau cadeau du destin
un flot de tendresse un bouquet de baisers enfantins
un message de ses fillettes qu’elle attend
mais rien ne viendra pas le moindre appel
alors la grand-mère souffre du sentiment
d’une injure d’un affront personnel
la vie est ainsi elle ne ménage pas
on confine les aînés plongés dans leur solitude
plus grande à chaque pas
que l’existence leur est rude
alors elle referme la porte de sa chambre
dans la pâle lueur d’ambre
là où nul ne peut la voir
elle pleure jusqu’au soir
*****
Le 06 03 2022 : Haïkus et tankas (97)
de la longue procession
pour l’enterrement
de l’aîné de la maison
un beau lieutenant
abattu pendant la guerre
on le mène au cimetière
*****
Ferme un peu les yeux
car le soleil radieux
darde mille feux
*****
Au matin blafard
sur la mare les canards
percent le brouillard
*****
Que se disent-ils
ces deux amoureux charmants
l’ombre de leurs cils
protège leur beau roman
leurs fronts se caressent
ils se disent des tendresses
et d’éternelles promesses
*****
Toujours dans ma main
je garderai bien au chaud
tes doigts de satin
comme un petit passereau
tombé un matin
de son nid dans l’arbrisseau
qui abrite les oiseaux
*****
Si tu étais un soleil
qui tourne sans trêve
comme dans un rêve
dans le ciel vermeil
je serais ton élève
j’apprendrais tout de toi
la course des planètes
j’accomplirais les exploits
d’un formidable athlète
je serais ton amant courtois
Donne-moi du rhum
sers un alcool à ton homme
pour qu’il te pardonne
*****
Quel motif secret
pousse le chardonneret
à rester discret
*****
Au petit matin
sur l’avenue la catin
cherche un Argentin
*****
Si je ne veux pas
abandonner mes beaux draps
qui protestera
*****
Je voulais t’offrir
des splendeurs à découvrir
tu m’as fait sortir
*****
Une larme claire
pareille à une rivière
baigne tes paupières
*****
Tout autour ne nous
le monde est devenu fou
il creuse son trou
*****
Qu’as-tu fait de lui
qu’as-tu fait de ce petit
où s’est-il enfui
*****
Tous ces beaux serments
que tu m’as faits si souvent
n’étaient que roman
J’ai peur de partir
sans avoir pu obtenir
un jour sans souffrir
Le 04 03 2022 : (95)
ils s’aimèrent comme des enfants,
mais elle jeta ses beaux serments
le vendredi aux encombrants.
Elle lui préféra un autre homme
pas plus haut que trois pommes.
Yvan, avec son gros chagrin
projeta de partir très loin
comme aviateur ou marin
mais resta rue Secrétin,
il garda sa rage dedans,
on dit que mal de dents
trahit le mal d’amour.
Il regarda autour
et ne vit qu’un désert
un vide semblable à l’enfer
il aurait voulu la maudire
la frapper et même pire
mais trop bien élevé
il omit de s’énerver.
Sur les photos qu’il avait d’elle
il lui dessina des ailes
de chauve souris, de dragon,
une barbe au menton
piteuse consolation
il accepta la situation
il lui écrivit des poèmes
qui finissaient par des je t’aime
copiés dans le chœur des zinzins
calligraphiés avec un grand soin.
Elle garda le silence,
terrible indifférence.
Avant que la folie ne l’égare,
il se rendit à la gare
pour se coucher sous un train.
Ainsi sa courte vie prit fin.
Olga le regretta soudain
rompit avec son nain
et chaque matin, la cruelle
déposa des fleurs sur la stèle
du pauvre Yvan
qu’elle aima de son vivant.
Rongée par de lourds remords
Olga s’étiola si vite et si fort
qu’elle finit ridée, aigrie et laide
sur une île de Suède.
Le 02 03 2022 : Haïkus, tankas et Gogyōkas (93)
*****
*****
*****
*****
*****
*****
lutter et périr quand même
ou l’exil au loin
pour fuir un tyran hautain
cynique inhumain
qui bombarde nos bambins
nous vivions en paix
et nous ne pensions jamais
que la bête immonde
voulait asservir le monde
on ne chante plus
le silence suspendu
dans les cours d’école
ce fléau cette vérole
auront-ils raison
de notre pauvre nation
un odieux dément
pour un caprice d’enfant
déverse le sang
arrogant et indécent
si un dieu existe
que ce tyran égoïste
finisse en enfer
sous la vermine et les fers
Un vol d’oies sauvages
en traversant les nuages
mène grand tapage
*****
Il tient sur son coeur
serrée sa fillette en pleurs
il dit n’aie pas peur
à mort les envahisseurs
qui imposent la terreur
*****
Au temps du bonheur
les cloches sonnaient les heures
ce jour les sirènes
annoncent un grand malheur
La guerre est un leurre
brandi par tous les tyrans
pour détruire nos enfants
*****
Carcasses ardentes
ça et là dans les labours
montrent l’évidente
fascination des tambours
et cette guerre imminente
*****
Un enfant assiste
au départ de son papa
vêtu en soldat
pour chasser les terroristes
soudain se rend triste
les hommes marchent au pas
équipés de leur barda
*****
Les chansons guerrières
enivrent les résistants
dans les cimetières
les femmes et les enfants
hurlent leur colère
tant de pauvres militaires
morts à nos frontières
pour un bout de terre
****
Le 25 02 2022 : Haïkus et tankas (89)
Ma terre lointaine
dévastée par la haine
toujours elle saigne
*****
Au fond de la mer
une charpente de fer
nous décrit l’enfer
*****
Un enfant nous chante
quelques fables étonnantes
remplies d’épouvante
*****
Son nouvel amour
qui devait durer toujours
n’a vécu qu’un jour
*****
Elle l’adorait
comme lui aussi l’aimait
mais tout disparaît
et dès que le jour se lève
chacun oublie ses beaux rêves
*****
Que peuvent les pleurs
d’un enfant tremblant de peur
en pleine fureur
*****
Non pas de cigognes
mais des bombardiers qui cognent
qui larguent la mort
avec des cris de butor
peu importe qui a tort
*****
Ivana espère
qu’il suffit d’une prière
et d’un seul rosaire
pour étouffer cette guerre
la sauvage sanguinaire
*****
Pars pour Ankara
si tu cherches des carats
là-bas tu auras
des lingots d’or plein les bras
et une vie de pacha
Pourtant l’expérience
doit faire la différence
me rendre plus fort
mais plus j’approche la mort
plus mon échine se tord
*****
Il parlait aux anges
je trouvais cela étrange
j’aurais fait échange
*****
Près de sa fenêtre
elle lit le vieux roman
d’un de ses ancêtres
*****
Sur sa main tendue
une mésange est venue
l’enfant toute émue
la palpitation ténue
de vie à peine entrevue
*****
La feuille est tombée
de la branche desséchée
une vie tranchée
*****
La chanson d’amour
dans la tiédeur du printemps
fait son grand retour
en tous lieux elle s’entend
dès que s’éveille le jour
*****
La bête attelée
au brancard du moulin
au petit matin
ne s’est jamais rebellée
elle assume son destin
*****
La perle d’argent
baigne délicatement
la joue de l’enfant
Le 23 02 2022 : Haïkus et tonkas (87)
Douce demoiselle
assise sur la margelle
ouvre son ombrelle
*****
Un vol d’hirondelles
tourbillonne dans les airs
la guerre cruelle
se déclare en un éclair
contre les fiers martinets
mal intentionnés
et la folle sarabande
embrouille mille guirlandes
au ciel d’opaline
on ne sait pas qui domine
*****
Sur l’autre versant
une lueur dans la nuit
guide le passant
elle vacille ou s’enfuit
se balance au gré du vent
*****
Contre la maison
protégé par un auvent
un plat de poissons
un carafon de vin blanc
*****
Une maison de pierres
sur le bord de la rivière
l’œil à la fenêtre
la veille femme peut-être
réveille ses souvenirs
*****
Devant le troupeau
au chaud dans son vieux manteau
le pâtre en estive
mène les brebis craintives
sur le versant des coteaux
****
Chante si tu veux
et pleure si tu le peux
souviens-toi des jours heureux
Les larmes des enfants
disent leur faiblesse extrême
et leur puissance suprême
qui nous rendent impuissants
à notre corps défendant
*****
L’homme fait l’enfant
et l’enfant forge son père
c’est ainsi sur terre
depuis le commencement
et ça ne changera guère
*****
L’homme sur le sol
terrassé par un soldat
est le vrai symbole
de ce qu’on appellera
l’ultime force de loi
*****
L’artiste qui chante
dit la peine qui le hante
une délivrance
ou un regain de souffrance
serait-ce une confidence
Il saute dans l’eau
cloche-pied dans le ruisseau
il a saccagé
sa paire de godillots
et il sera corrigé
Il a renoncé
il refuse de lutter
rien ne le concerne
a mis son courage en berne
il supplie et se prosterne
il se sent vidé
sans force ni volonté
sa maison détruite
sa seule issue est la fuite
qui sait ce qui vient ensuite
la loi de la guerre
jette les hommes par terre
aucun argument
ni aucun raisonnement
ne tue ce déchaînement.
*****
Le 21 02 2022 : Haïkus, Tonkas et Gogyōkas (85)
en scrutant les horizons
leurs hommes ne rentrent pas
ils manquent à la maison
le vent sur l’océan
tresse des gerbes d’écume
avalées par la brume
pour les marins absents
Je ne suis rien sans toi
un arbre sans sève
un morceau de bois
une recherche sans trêve
Je ne peux pas vivre sans toi
ni mourir loin de ton ombre
sans savoir pourquoi
le ciel s’est vêtu de sombre
*****
Le soleil dans la mer
se glisse il part en enfer
lassé de morsures
et le sang d’une blessure
gagne l’étendue obscure
Au ciel les nuages
dessinent des paysages
des hautes montagnes
des animaux de cocagne
des châteaux en Allemagne
Elle va joyeuse
dans cette nuit merveilleuse
sur sa peau soyeuse
les essences capiteuses
d’une soirée délicieuse
Par dessus nos têtes
les frégates les aigrettes
partent en goguette
pour de mémorables fêtes
et d’honorables conquêtes
*****
Le 20 02 2022 : Haïkus, Tonkas et Gogyōkas (84)
qui hurle et qui vocifère
se roule par terre
*****
ils s’enlacent aussi parfois
quand il fait trop froid
il n’y a que les humains
qui soient si malsains
pour toujours se poignarder
et mentir et se farder
Le fil des saisons
ne nous apprend rien du tout
l’été nous rend fou
l’hiver au chaud nous restons
*****
La voile gonflée
comme un ventre fécondé
mène le navire
sur la mer abandonné
et sa coque se déchire
*****
gémit et pleure accroupi
Une flamme vive
dans le jardin s’active
du carré de thym
au massif de romarin
ce n’est qu’un rouge gorge
qui s’enivre de parfums
de sa poitrine de feu
jaillit un sifflement joyeux
de braise sur la forge
Le 19 02 2022 : Haïkus, Tonkas et Gogyōkas (83)
Le ciel et la mer
dans le froid matin d’hiver
brûlent en enfer
Faudra-t-il hurler
comme le loup acculé
pour la haine juguler
ce grand mal qui te torture
tu crois qu’il délivre
tu endures ses morsures
Penché en avant
il marche contre le vent
comme si souvent
il s’oppose aux éléments
c’est sa vie de paysan
La flamme vacille
sur le ciel de son visage
elle lit sa page
jeune beauté si tranquille
Le 18 02 2022 : Haïkus, Tonkas et Gogyōkas (82)
Porté par le vent
le bonheur erre souvent
là où nul n’attend
*****
La crinière au vent
le beau cheval alezan
file droit devant
*****
L’homme écartelé
entre terre et horizon
entre le passé
et la quête du frisson
il ne sait plus que penser
*****
Si fort que soit l’homme
jamais ne pourra tenir
entre ses deux paumes
ses rêves d’avenir
il ne les verra qu’en somme
Un incendie là-bas
embrase l’horizon
est-ce un feu de maison
un crime un attentat
ce n’est que le soleil
qui joue à étaler
ses couleurs de vermeil
avant de s’en aller
il laisse sur le ponant
un long filet de sang
Le 17 02 2022 : Haïkus, Tonkas et Gogyōkas (81)Dur ce qu’il endure
*****
*****
*****
qui paresse un moment
L’éveil du mystère
le grondement de la terre
sa sourde colère
La goutte de sang
qu’une enfant cousant
gobe d’un geste charmant
Quel est ce grand poids
elle marche à petits pas
à cause de trop d’émois
C’est un petit vieux
l’échine pliée en deux
ses yeux malicieux
racontent qu’il est heureux
sa vie va comme il le veut
Un peu de soleil
le rire de ton enfant
répandront le miel
pour que luise un arc-en-ciel
sur un mal envahissant
Vagabond sans foi
qui connais tous les chemins
et dors dans les bois
tu ne crains pas les vilains
qui décapitent les rois
Où vont ces foules démentes
quelles frayeurs folles
quelle détresse imminente
quelle peste ou quelle vérole
quelle rumeur terrible
quelle faute impardonnable
quel fléau horrible
les meurtrit et les accable
Le 15 02 2022 : Gogyōka (79)
Dès le matin cette colère en lui
et cette tristesse aussi
colère et désespoir jusqu’à la nuit
l’impression de n’avoir rien réussi
d’avoir usurpé sa place
de n’être plus bon à rien
que sa tâche le dépasse
qu’il ne fait rien de bien
ces êtres dont il a la charge
sont beaucoup trop fragiles
ils vivent à la marge
rejetés dans un asile
raillés et méprisés
ils ressemblent à son père
qu’il avait brisé
il ne se sent plus capable
d’assister à leur déclin
de les servir à table
en attendant leur fin
alors il serre les poings
sur la détresse humaine
il leur prodigue des soins
tout au long de la semaine
il s’occupe des petits vieux
malades et impotents
il agit de son mieux
lui qui est bien portant
Le 13 02 2022 : Gogyōka (77)
c’est un enfant dans la tombe
on dit que la loi du plus grand nombre
c’est l’humanité dans les décombres
on dit que dans les catacombes
les larmes coulent en trombes
on dit qu’une explosion d’hécatombes
c’est mille bateaux qui sombrent
on dit que ce siècle nous trompe
et qu’on veut nous corrompre
on dit qu’un avenir bien sombre
verra la fin des colombes
****
Il a dit je dois partir
elle a dit je vais souffrir
il a dit je me suis engagé
elle a dit as-tu pensé à notre bébé
il a dit il est si petit
je sais je sais c’est justement elle a dit
il a dit je pars pour la guerre
elle a dit tu n’iras pas j’espère
il a dit elle est partout sur terre
elle a dit alors que veux-tu y faire
*****
Le 11 02 2022 : Haïkus, Tonkas et Gogyōkas (75)
dans son cercueil de sapin
l’animiste saint
*****
et si tu veux en finir
avance d’un pas
tu finiras de souffrir
*****
les Bohémiens se lamentent
ils invoquent Dieu
dans une complainte lente
ils se disent malheureux
Entre mes dix doigt
ta main comme un oiseau blessé
vient se rassurer
dans ce refuge douillet
qui n’appartient plus qu’à toi
*****
devront déverser les femmes
pour taire les armes
avec leur série de drames
et leur terrible vacarme
*****
pareil à un noir linceul
pèse sur la terre
qui se languit sans soleil
les hommes se désespèrent
*****
et une langue de mer
les crabes et les poissons
*****
Jeanne allait être mère
elle en était fière
mais qu’allait-elle faire
d’un enfant sans père
le jeta dans la rivière
lesté d’une grosse pierre
et pleura sa vie entière
L’irritante goutte
pend au bec de la fontaine
son bruit nous déroute
comme une torture ancienne
où l’une à l’autre s’ajoute
Le regard puissant
de cet enfant innocent
t’oblige à baisser
tes yeux et à renoncer
il abat tes paravents
Sur son vieux grimoire
un très vieil homme relit
une vieille histoire
qui ne parle que de lui
et de sa vie dérisoire
La source se déverse
sur le flanc de la colline
elle ignore où elle va
ainsi allons-nous
pareils à des aveugles
Le cheval galope dans son pré
enivré par le vent
qui joue dans sa crinière
il rêve de vie aventurière
le cheval galope dans le pré
cerné de barbelés
Du fond de son lit
le captif anéanti
verra sa fin aujourd’hui
Le 09 02 2022 : Haïkus, Tonkas et Gogyōkas (73)
éclate de grands rires
et les coins de sa bouche
légèrement s’étirent
il rêve d’oiseaux mouches
Tes mains hirondelles
dès que le jour étincelle
battent des deux ailes
Jeanne allait être mère
elle n’en était pas fière
mais qu’allait-elle faire
de cet enfant sans père
elle le confia à la rivière
lesté d’une pierre
et pleura sa vie entière
L’irritante goutte
pend au bec de la fontaine
son bruit me déroute
comme une torture ancienne
où l’une à l’autre s’ajoute
La petite flamme
nous dit la douleur infâme
d’une pauvre femme
qu’on a soumise à un drame
en la privant de son âme
L’étoile de mer
garde son sourire amer
planer dans les airs
et avoir de grands yeux verts
Un éclair d’argent
au beau milieu de la nuit
une âme s’enfuit
vers un monde sans tourment
qu’elle a prié si souvent
Le 08 02 2022 : Haïkus, Tonkas et Gogyōkas (72)
Le soleil pressé
revient pour nous caresser
l’hiver va passer
*****
Ton bras arrimé
à mon coude sublimé
m’appelle à t’aimer
*****
Dans cet univers
il faut devenir pervers
pour paraître fier
Ta main s’insinue
parmi les algues lascives
la truite fourbue
s’abandonne à la dérive
elle attend que tu arrives
Ferme la fenêtre
afin que l’ombre secrète
envahisse notre chambre
et que le froid de novembre
admette enfin sa défaite
dessine comme une vague
sur l’horizon profané
où mes fantômes divaguent
en enfer abandonné
un autre espoir fou
Regardez-les ces hommes
qui tirent du canon
sur les bêtes de somme
et les toits des maisons
en toutes les saisons
tremblent comme ta peau
quand ma main se fait tendre
et qu’un bateau nous emmène
vers des frissons nouveaux
Le 07 02 2022 : Haïkus, Tonkas et Gogyōkas (71)
du coucher jusqu’au réveil
pour qu’aucun mauvais ange
ne dérange
tes nuits au goût de miel
*****
les rêves des marins
leurs chansons gonflent les voiles
et le mâts jusqu’aux étoiles
élèvent leurs refrains
Chaque page du calendrier
tournée après l’été
ajoute une ride
à mon front livide
car le temps est meurtrier
*****
du flanc de son rocher
une tresse de varech
et les moules avec
ouvertes à coups de bec
Un éclair a frappé
la meule de foin
et la feu a happé
le trèfle et le sainfoin
jusqu’au dernier brin
*****
rex Albanorum primum fuit
Ascanius, fils d’Enée
fut le premier roi d’Albe
et dire qu’on n’en parle jamais à la télé
*****
trempe dans le torrent
la tête sur son épaule
le pêcheur dort un moment
et la truite rigole
*****
traverse la voûte céleste
comme le gypaète
au vol funeste
c’est un signe peut-être
Le 06 02 2022 : Haïkus, Tonkas et Gogyōkas (70)
qu’adresse la populace
au roi qui trépasse
La sauvagerie
la mort en pluie assassine
une boucherie
que nul homme ne devine
le sang et le fer des mines
*****
emporté par le vent
sur les peupliers
c’est une lettre d’amour
qui est perdue pour toujours
il cherche son destin
mais il ne voit rien
il attendra demain
pour jouer au devin
*****
de l’homme qu’elle avait aimé
tous les serments si vains
qu’elle ne croira plus rien
*****
ce que dit le vent
ses histoires d’amour
et tous ses serments
ses chants de troubadour
*****
sur la place de la fontaine
il trempe ses mains dans l’eau
et mouille son chapeau
tous les jours de la semaine
*****
qui hantent les décombres
qui saura jamais nos espoirs
nos noms nos rêves du soir
et même notre nombre
Le 05 02 2022 :Haïkus et Tonkas (70)
un régiment de talons
de fiers étalons
des fantassins aux abois
couvrent le chant des clairons
*****
d’un sapin haut de dix mètres
s’est perdu peut-être
*****
s’élève au bout du chemin
serait-ce un homme qui vient
ou le vent froid du grand Nord
qui se hâte vers le port
*****
nos deux anges innocents
que tu perds souvent
*****
au bout d’une rue déserte
s’était-elle offerte
à quelque amour de la nuit
un prétendant éconduit
*****
se transforme en colibri
en gibier de safari
en éléphant assoupi
sous un arbre rabougri
*****
ce que fait ce capucin
sur ton traversin
vient-il sonner le tocsin
de nos amours clandestins
*****
en quête d’un mamelon
il hurle sa faim
son désespoir enfantin
s’égare dans la maison
malgré l’heure du repas
Le 04 02 2022 :Haïkus et Tonkas (69)
*****
*****
*****
*****
*****
*****
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Le 03 02 2022 :Haïkus et Tonkas (68)
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Le 02 02 2022 :Haïkus et Tonkas (67)
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Le 01 02 2022 : Haïkus et Tonkas (66)
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Le 31 01 2022 : Haïkus et Tonkas (65)
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Le 30 01 2022 : Haïkus et Tonkas (64)
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Le 28 01 2022 : Haïkus et Tonkas (62)
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Le 27 01 2022 : Haïkus et Tonkas (61)
Le 26 01 2022 : Haïkus et Tonkas (60)
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Le 25 01 2022 : Haïkus et tankas (59)
Le 22 01 2022 : Haïkus et tankas (56)
Le 21 01 2022 : Haïkus et tankas (55)
de voir mourir ceux qu’on aime
des amours graciles
aux compagnons de carême
qui nous proposaient leurs billes
derrière les chalutiers
les goélands chantent
avec des cris éraillés
et des accents d’épouvante
Le 20 01 2022 : Haïkus et tankas (54)
Dans les cimetières
celles qui désespèrent
ne reviennent guère
Le champ de colza
déversera l’or volé
au soleil distrait
sur les versants d’apparat
quand l’été prochain viendra
Les années nous brisent
sans pitié elles nous privent
des derniers plaisirs
dont nous pourrions nous saisir
notre ultime cigarette
Ne perds pas ton temps
à tâcher de deviner
dans le ciel enluminé
où vont à chaque printemps
les milliers d’oiseaux migrants
Les mains sur sa face
l’homme retient ses sanglots
il pense à la grâce
du pays quitté trop tôt
que jamais le temps n’efface
Sur le banc public
peint en couleur basilic
les jeunes s’embrassent
les plus âgés se délassent
doucement au temps qui passe
Les trépidations
des moteurs de chars d’assaut
secouent les maisons
les humains et les oiseaux
et crient l’abomination
Aux coins de ses yeux
de longues rides profondes
qu’un ruisseau inonde
en un combat douloureux
il renonce aux jours heureux
Un être fourbu
au bout du chemin de terre
lève la poussière
Le 19 01 2022 : Haïkus et tankas (53)
Le 18 01 2022 : Haïkus et tankas (52)
Le 17 01 2022 : Haïkus et tankas (51)
Le 16 01 2022 : Haïkus et tankas (50)
Le 15 01 2022 : Haïkus et tankas (49)
Le 13 01 2022 : Haïkus et tankas (47)
Le 12 01 2022 : Haïkus et tankas (46)
Le 11 01 2022 : La route de l’espoir (8)
Le 11 01 2022 : Haïkus et tankas (45)
Le 10 01 2022 : La route de l’espoir (7)
Le 10 01 2022 : Haïkus et tankas (44)
Le 09 01 2021 : La route de l’espoir (6)
Le 09 01 2022 : Haïkus et tankas (43)
Le 08 01 2022 : les réveillons.
Le 08 01 2022 : Haïkus (42)
Les carpes du lac
à la surface de l’eau
gobent les daphnies
le 07 01 2022 : Une haine noire (2) Polar
Le 07 01 2022 : Haïkus (41)
Le 06 01 2022: Une haine noire (1) polar
En ce petit matin de décembre 1920, la mère de Constant Chabanel rendit cette âme qu’on lui avait tant contestée. Elle venait de compter ses quarante ans et son fils ressentit sa disparition comme une nouvelle page blanche sur laquelle il lui revenait d’écrire une autre histoire, plus juste, moins cruelle. Dans les collines autour des Saint-Nazaire-en Royans, dans les vallées où la Bourne avait creusé son lit avec sa force de torrent libéré des crêtes du Vercors, la nature s’était enfouie sous une épaisse couche de neige. Le nez à la fenêtre, il observait dehors le rideau de flocons qui battait au vent. Cela lui évoqua les draps que Paule mettait à sécher sur les fils, en été et il ferma les yeux pour garder cette image en lui. Un tableau qui datait des jours lointains, d’avant la guerre, de sa petite enfance, alors qu’il ignorait encore tout, un spectacle qu’il lui faudrait oublier vite pour ne conserver en lui que l’essentiel : la haine, la haine noire dirigée contre ce monde inhumain qui s’était acharné sur la défunte de ce jour. Il ne versa pas une seule larme, il ne lui restait plus de chagrin où puiser. Il avait trop cédé à la tristesse, à la colère, durant ses vingt années passées dans cette ferme. Il s’était trop apitoyé devant le malheur de sa mère. Aujourd’hui, ce qu’il voulait, c’était se dépouiller de toute cette faiblesse, ces regrets et cette sensibilité qui lui collaient à la peau tels des vêtements mouillés dans lesquels il ne se reconnaissait plus. Ne garder que la haine aigüe, aussi pure qu’une dague avec laquelle ou achève le sanglier traqué, un acier pour clouer les chouettes aux portes des granges, pour frapper sans faillir, pour se planter dans le cœur des malfaisants. Durant ces sept longs jours d’agonie, Paule lui avait rappelé son calvaire et il l’avait écoutée goulûment, comme un qui s’abreuve avant d’entreprendre un long voyage sur des terres arides. Il connaissait certains passages, il en apprenait d’autres que la pauvre femme lui avait cachés pour le ménager. Il n’avait pas eu besoin de prendre des notes. Tout s’inscrivait dans sa mémoire en lettres de feu, il était désormais marqué au fer rouge et rien ne le débarrasserait de ces stigmates, rien que l’accomplissement de sa tâche. Il avait tenu sa main déjà décharnée dans la sienne pour assister à son départ qu’elle voulait retarder encore un peu, le temps de parcourir le journal de sa vie, en entier. Mais peut-être s’était-elle préparée à le quitter depuis longtemps, depuis toujours sans doute. Avait-elle enfin décidé de renoncer à vivre quand tout était préférable à son existence faite de mépris et d’exclusion ? Elle avait résisté jusqu’à ce dernier jour de cette semaine de souffrance pour lui léguer son martyre en héritage. Après… Il n’y aurait plus d’après après ce regard épouvanté qui s’accrocha à lui. Et voilà tout, eut-elle la force de prononcer encore. Il posa ses doigts sur les paupières de la seule femme qu’il ait jamais aimée, il lui prit les doigts qu’elle avait crispés sur l’édredon et les croisa sur sa poitrine. Il ne chercha pas de rosaire, il savait que le tiroir du meuble de chevet n’en contenait pas, pas plus que de crucifix suspendu au-dessus du lit. Depuis longtemps, c’était la guerre sans merci entre Dieu et Paule Chabanel, une détestation réciproque. Il coupa une mèche de ses cheveux qu’il lia avec un fil de coton avant de les nouer à l’annulaire gauche de sa mère, bien au creux de ses paumes jointes. Il préleva de même une boucle blonde de la morte. Il la glissa dans un carré de papier qu’il rangea dans une poche de son portefeuille. Alors, il tira les volets de la chambre, il ouvrit la fenêtre et il laissa entrer le froid des montagnes. Il quitta la pièce plongée dans le noir sans allumer de bougie. Il savait que sa mère ne l’aurait pas souhaité. Elle avait vécu vingt années dans le noir intérieur et extérieur et s’en était accommodée.
Le 06 01 2022 : Haïkus (40)
Le 05 01 2022 : La route de l’espoir (5)
Le 05 01 2022 : Haïkus (39)
Le 04 01 2022: Les petits vieux n'ont pas dit leur dernier mot (4)
Le 04 01 2022 : Haïkus (38)
mais nul ne le fait
Le 03 01 2022 : La vie merveilleuse de Goldwyn (4)
_ Olivier n’est pas fou ! Il est seulement bloqué au premier stade de son évolution. On ne passe pas un bébé sous un jet glacé ! Pourquoi n’essayez-vous pas les électrochocs, tant que vous y êtes. Il paraît qu’aux USA, on remet ainsi en place les plus excités en deux secondes. Je l’ai vu dans Vol au-dessus d’un nid de coucou.
_ Dis donc, petit morveux, tu ne prétends pas m’apprendre mon travail ?
_ Votre travail ? Vous l’avez appris dans un abattoir !
Le 02 01 2022 : Le rêve éphémère (3)
Ce matin, je me suis rendue chez les Braud pour prendre des nouvelles du Firmin qui est parti un peu avant toi. J’y ai vu la mère qui semblait embarrassée de me répondre. Elle se tordait les bras sans prononcer un seul mot. Que pouvait-elle me conseiller sinon de me montrer courageuse et patiente ? Son fils lui écrit chaque semaine, parfois plusieurs lettres, il n’a pas encore vu le feu. Comme il se débrouille bien à la forge, ils l’ont muté à l’arrière, dans un atelier de réparation de l’armement. Vois-tu, toi aussi tu aurais dû déclarer que tu savais battre les socs, les essieux de charrue et les fers de pioche. L’armée n’a que faire des paysans, elle les ignore. C’est normal, les états-majors ne s’intéressent qu’à la mort, l’acier qui déchire les chairs, qui crache les obus. Notre voisin est chargé de retaper et d’entretenir les armes, les fusils, les canons et autres engins qui tuent. À l’occasion, pour ne pas perdre la main, il pose les fers aux chevaux des galonnés. Comment assimiler un outil de paysan à une machine à exterminer, un araire à un canon mobile ? Il est bien tombé, il connaît maintenant des cuistots et il mange avec eux, il ne manque de rien, il ne se plaint pas. Ceux qui préparent la tambouille sont les premiers servis, ils se gardent les meilleurs morceaux de viande, les plus beaux légumes. Ils profitent des menus réservés aux officiers. Quand elle me donnait des nouvelles de son garçon, les yeux de la brave femme brillaient de bonheur mais quand elle a vu les miens baignés de larmes, elle s’est tue. Je comprends sa gêne cependant j’aurais tant aimé que ton ami sache où tu as été versé pour que je puisse me renseigner sur toi plus précisément… car tu n’aurais pas oublié notre adresse, n’est-ce pas ? Alors pourquoi ce silence désespérant ? Je recense toutes les éventualités : chargé d’une mission d’espionnage, tu es terré en quelque endroit, anonyme, tu te dissimules en terrain étranger pour observer le mouvement des troupes ennemies. Tu es blessé aux mains, à la tête, traumatisé et tu te reposes dans un hôpital en arrière des lignes, tu me feras une belle et longue lettre dès que tu auras recouvré des forces. Tel que je te sais, tu n’auras pas osé solliciter l’un de tes camarades de chambrée pour tenir la plume. Ce que tu as à me dire ne peut pas être confié à d’autres que moi. Cela ne concerne que toi et moi, c’est de nos secrets qu’il s’agit.
La maman de Firmin m’a autorisée à revenir la voir autant que je le voudrais. Elle m’a promis de questionner régulièrement son fils à ton sujet, on ne sait jamais, il se pourrait qu’un jour ou l’autre quelque chose lui vienne aux oreilles ou même qu’il te voie revenir au campement. Elle m’a assuré que les gradés ne cessent pas de déplacer les soldats, ils les remplacent par de nouvelles recrues pour leur permettre de récupérer un peu de forces. Il est bien sûr un peu trop tôt pour obtenir une permission. Il faut contenir la poussée allemande et garder les hommes prêts à parer toute manœuvre offensive ennemie. Seuls sont récompensés ceux qui ont accompli un acte de bravoure exceptionnel, ceux qui ont risqué leur vie pour sauver les autres. Je préfère que tu te tiennes tranquille, que tu penses à moi et à ton enfant que je porte. Ne fais pas le brave, je t’aimerai sans titre de gloire. Nous avons besoin de toi, bien vivant et nous n’avons que faire d’un héros. Je t’en prie, mon aimé, reviens-moi car, chaque jour mon espoir s’épuise davantage comme une bête restée trop longtemps sous le joug. J’ignore combien de temps je pourrai tenir et quelle femme je serai à ton retour. Mes cheveux auront sans doute blanchi prématurément à force de nuits sans sommeil. D’habitude, en évoquant l’amour, on songe aux bouquets de roses, aux serments qui font battre le cœur, au sentiment de vivre intensément. Aimer rend jeune, dit-on mais moi, cela me vieillit car je m’étiole sans toi. J’ignorais que l’on pouvait souffrir autant à force d’aimer. Dieu merci, je garde en moi le souvenir précis de ton visage, de ton sourire, de tes mains qui détiennent la clé de mes mystères. Tu ne me quittes pas, jamais. Quand je me lève avant le jour, je fais ma toilette et dans le miroir, je te vois derrière moi. Tu poses sur moi un regard attendri. Si je baisse les yeux, je peux sentir tes doigts courir sur mon épaule et ton index frôler l’arête de ma joue. Et plus tard, en prenant mon café, installée à la table, en face de la porte, je te cherche au loin, sur le sentier de notre ferme. Tu n’y es pas et c’est comme si je recevais un coup au ventre. La douleur me fait serrer les paupières et quand je les ouvre enfin, tu te dresses là, dans l’embrasure et le soleil encore rouge dessine une aura autour de toi. Je ne distingue de toi que cette silhouette sombre nimbée de lumière, je la reconnais et je me demande si elle est réelle ou si, à force de te vouloir près de moi, je ne t’invente pas aussi intensément qu’un rêve familier. Je sais que mon imagination m’abuse car si tu te présentais à moi, tu ne resterais pas sur le seuil, tu te précipiterais vers moi, tu me pendrais la taille et tu me hisserais jusqu’à tes lèvres pour me couvrir de baisers. Alors je retombe dans la désespérante réalité de femme seule. Je me répète ce mot : Seule, seule. Un bref sifflement de vipère, vif comme une flèche traversant l’espace pour me percer le cœur. Et le venin se répand en moi, j’étouffe, je voudrais pleurer, mais je n’ai plus de larmes. Mon aimé, je n’ai plus de larmes pour te pleurer. Alors, tu le vois bien, tu dois me revenir très vite, sans attendre. Si tu n’en as pas la possibilité, jette-toi sur une feuille de papier, écris moi pour me dire que tu es bien vivant et que tu m’aimes toujours. Mon Dieu ! Que cette guerre ne détruise pas le trésor de tendresse que tu as en toi…
Le 02 01 2022 : Haïkus (37)
Le 01 01 2022 : Les petits vieux n’ont pas dit leur dernier mot (3)
Ce doit être encore l'effet de l'alcool que j'ai bu hier, j'ai l'impression qu'on m'a bourré le crâne de barbe à papa. Je ne parviens pas à m'arracher à mon sommeil tranquille. Je suis couché sur le côté, engourdi, presque bien. Je ne dors plus vraiment mais je ne suis pas encore éveillé. Je cherche à me rappeler ce que j'ai ingurgité, du whisky, du vin? Ce n'est pas l'alcool, c'est une sorte de narcotique. Pourquoi m'aurait-on endormi? Une anesthésie générale avec cette impression de remonter le courant à la nage. Je sors d'un sommeil comateux. Une douleur sourde paralyse mon bras gauche. Non, pas une douleur, un engourdissement, une étreinte. On m'a opéré, j'ai dû me casser un bras en tombant. On m’a endormi en secret pour m’enlever un organe pour leur trafic. Ils prélèvent des organes sur les résidents pour les vendre à des nababs. C’est ainsi qu’ils se payent des vacances au soleil. C’est ainsi qu’ils reviennent en septembre bronzés comme de meubles anciens passés au brou de noix.
Le 02 01 2022 : Haïkus (37)
Le 01 01 2022 : Haïkus (36)
Le 31 12 2021 : Ce qu’il est interdit de dire à une dame :
Sachez Mesdames que je compatis, et, en tant qu’homme, j’entends souvent des questions aussi stupides et blessantes.
Le 31 12 2021 : Haïkus (35)
Le 30 12 2021 : La vie merveilleuse de Goldwyn (4)
Le 30 12 2021 : Haïkus (34)
Le 29 12 2021 : Haïkus (33)
Le 28 12 2021 : L’héritage maudit :
Ses parents s’appelaient Ducon et ils le prénommèrent Bernard… Bernard Ducon, c’est un sacré héritage pour un enfant innocent. Dès l’école maternelle, sa vie fut un enfer. Pas besoin d’être grand clerc ou psychologue pour imaginer ce qu’il dut supporter, les moqueries, les brimades, les cheveux tirés, les coups de pieds dans le cartable, les livres volés, les cahiers souillés. Eh, Ducon, qu’est-ce que tu as encore perdu ? On ne respecte pas quelqu’un qui s’appelle Ducon, un nom d’abruti, assurément.
Il voua une rancune tenace à ses parents qui n’y pouvaient rien et le comprenaient d’autant mieux qu’ils avaient souffert de la même malédiction.
Le 28 12 2021 : Haïkus (32)
Je n’ai jamais vu d’homme dans ma famille, pas de grand-père, pas de papa, pas de tonton ni de grand frère. Une lignée d’amazones.
Le 27 12 2021 : Haïkus (31)
Le 26 12 2021 : Les petits vieux n’ont pas dit leur dernier mot (extrait City éditions)
_ Merci, Maria, je me suis lavé avec un gant.
_ Depuis quand ne t'es-tu pas douché?
_ Je me suis douché hier.
Un jour, je l’étranglerai, c’est certain. Un jour, je l’assommerai avec ma canne jusqu’à lui éclater la pastèque qui lui sert de crâne. Un jour, alors qu’elle sera penchée à la fenêtre à espionner ce qui se passe en bas, je lui saisirai les chevilles et je la ferai basculer dans le vide. Un jour… Je ne suis pas à court d’idées sur les moyens de me débarrasser de ce poison.
Le 26 12 2021 : Haïkus (30)
Le 25 12 2021: Haïkus (29)
Le 25 12 2021 : Le rêve éphémère (extrait 2)
Tu pensais être de retour avant les moissons, tu en aurais mis ta main au feu et quand j’émettais des doutes, tu partais d’un éclat de rire comme si j’avais dit une énorme bêtise. J’aurais tant voulu me tromper, pourtant ce matin, nous voilà à passer la faux, papa et moi. Un vieil homme et une femme enceinte pour exécuter ce travail qui te revenait de droit. Ce n’est pas une tâche pour les anciens ni pour les épouses fécondées mais pour les jeunes hommes pleins de force tels que toi. Maman marchait derrière nous pour lier les gerbes d’avoine pour les bêtes. Je savais que ma mère ne pourrait pas bouger ce soir, les reins brisés. De même, mon père sera incapable de se relever de sa chaise après le souper. Leur douleur me faisait mal autant que le sentiment de culpabilité. Ils nous ont rejoints dans notre ferme pour finir leurs jours près de nous, pas pour que nous les mettions au labeur. Quand tu étais à la maison, tu t’insurgeais quand papa prenait la pioche ou soulevait un sac de blé. Tu lui arrachais l’outil ou la charge des mains : N’en avez-vous pas assez fait ? Voulez-vous donc vous rompre le dos et finir dans un lit, sans bouger, comme une poule couveuse ? C’est cela que vous cherchez ? Il souriait devant ton affection outragée et il t’obéissait car c’était dans l’ordre des choses. Et aujourd’hui, que fais-tu, sinon nous abandonner à ce pénible labeur que tu aurais accompli comme rien ?
Je me rappelle l’année 1913, à la même époque, quand tu me faisais encore la cour et que tu nous aidais à la récolte dans notre métairie. Nous avancions entre les vagues mouvantes des tiges blondes, une mer dorée s’ouvrait devant nos pas et tu te balançais comme une barque sur les flots. Je te suivais pour étaler les épis. Régulièrement, tu jetais l’ancre pour t’abreuver à la bouteille ou pour passer le mouchoir sur ton visage ruisselant. Les perles de sueur posaient une couronne de soleil à ton front. Tu jetais au ciel un regard plein de défi et tu reprenais ton pas tranquille. Que je t’aimais.
alors, d’un amour paisible et assuré qu’aucune peur ne venait taler, j’avais confiance en toi, en ta toute-puissance. Tu étais capable de toutes les prouesses et le monde te servait. Rien ne t’atteignait et rien ne pouvait ébrécher le diamant de notre amour. Alors, je ne pensais jamais à l’accident, au fer rouillé qui blesse la chair et pervertit le sang, à la maladie qui te clouerait dans un fauteuil, et encore moins à une guerre qui t’emporterait loin de notre nid. Alors qu’aujourd’hui, je tremble continûment, pour mes parents que l’âge affecte de jour en jour, pour cet enfant qui dort en moi et que je nourris dans la crainte de ne pas pouvoir l’accompagner à terme, pour toi que j’imagine dans un enfer de feu et de chairs broyées, mort peut-être. Je regrette de ne pas t’avoir assez répété mon amour, de ne pas avoir assez joui de toi quand je le pouvais encore, de ne pas t’avoir assez observé pour me rassasier de ton image, de ne pas t’avoir assez écouté chanter ou parler ou rire. Tous ces instants magiques perdus. Vois-tu, mon Joseph, je garde au cœur l’amertume d’avoir laissé passer ces mille petits bonheurs sans songer qu’un jour, je devrais apprendre à m’en priver.
Nous progressions dans les blés depuis les premières lueurs du jour. Au début, notre ombre restait sagement derrière nous, puis vers midi, elle se réduisait à une chaîne entravant nos pieds. Avant la nuit, elle rampait de tout son long devant nous, forme brune de sang sur laquelle nous marchions à chaque pas. Et quand nous nous arrêtions pour reprendre un peu le rythme de notre respiration, c’était comme si nous nous tenions devant notre propre cadavre sombre gisant, la tête vers l’ouest.
Il a tant cherché
les chemins de son enfance
qu’il s’y est perdu
Et ce jour viendra
où nous devrons nous quitter
pour le grand voyage
Ouvre-moi tes bras
pour que j’y fasse mon nid
mon port mon abri
Il suffit d’un signe
d’un battement de paupières
et le soleil brille
Jamais ne nous quittent
les amours mortes survivent
aux assauts du temps-là
Il tourne le dos
il est parti trop longtemps
pour combler le vide
Les mots restent vains
je tiens ta main dans la mienne
mon enfant ma reine
Un cœur en dérive
c’est une âme en perdition
c’est un bateau ivre
Fillette tu rêves
d’un puissant prince charmant
ce n’est qu’un passant
Le poisson d’argent
se glissait dans le courant
sur son ventre blanc
Un chant dans la nuit
s’élevait jusqu’aux étoiles
pour chanter l’amour
Le 24 12 2021 : Le rêve éphémère (extrait 1)
Le 23 12 2021 : Salut Tito.
C’était à la fin des années 60, je travaillais dans un important bureau d’études avec des dizaines d’autres dessinateurs en béton armé. Nous travaillions pour des projets répartis dans le monde, un peu partout, de grandes marques françaises construisaient des usines, des ponts, des équipements et notre bureau devait recourir aux nombreux intérimaires afin de mener à bien tous les projets. Parmi eux, les dessinateurs de Yougoslaves étaient appréciés pour leurs capacités. Dans leur pays, il n’existait pas d’école de dessin de béton armé, on enseignait les plans techniques dans la filière architecture. Aussi le travail des Yougoslaves se reconnaissait au premier coup d’œil, la présentation était impeccable, l’écriture penchée était calligraphiée. Dans mon groupe, trois dessinateurs des Balkans travaillaient ensemble : un Bosniaque, un Serbe et un Croate se côtoyaient en bonne intelligence. Chaque matin, penchés sur la planche à dessin de l’un ou de l’autre, ils menaient un étrange conciliabule. Ils choisissaient des chevaux qui participaient au prochain tiercé à Vincennes ou à Auteuil. Ils pariaient ensemble et je voyais des billets de banque et des tickets circuler de main en main. Parfois même, ils partaient à dix-huit heures et prenaient un verre au café PMU, près du métro de La Défense. Göran, l’un des trois, le Croate, aimait bien échanger quelques mots avec moi. Il me parlait de Makarska-riviera, une plage en face de l’île de Brac. Il me décrivait la barrière d’îles, toutes différentes, qui protégeait ce lieu des habituelles tempêtes de l’Adriatique. Les pins-parasols avançaient leur ombre jusqu’au bord de l’eau cristalline où il suffisait de casser un oursin pour attirer des bouquets de poissons multicolores. Il ne tarissait pas de descriptions si alléchantes que, lorsqu’il me dit qu’une de ses cousines y tenait une pension de famille où des Allemands aimaient passer leurs vacances, je m’empressai d’y retenir une chambre. Le dépaysement était au rendez-vous dans cette république marquée par l’emprise de Tito. Des portraits du président détesté ornaient chaque commerce, les boutiques étaient vides, les pompes à essence très rares, la route côtière très meurtrière car elle surplombait la falaise et les lieux d’accidents mortels étaient marqués par une petite veilleuse et un bouquet de fleurs. Des enfants misérables nous tendaient des asperges sauvages et des tortues. Les autobus fonçaient comme des déments car les chauffeurs étaient payés au tour. Plus d’une fois je dus m’arc-bouter sur le frein pour éviter une collision. Le trajet ne fut que péripéties et frayeurs et une fois arrivés sur les lieux, je décidai de ne plus utiliser mon véhicule que pour de courtes sorties dans les alentours, à Split ou à Dubrovnik.
Le 22 12 2021 : Le grain de sable.
Le 22 12 2021 : Haïkus (26)
La table de noces
une nappe préparée
souillée par le vin
Un éclair d’acier
a traversé le berger
au milieu du front
La chanson s’envole
par-dessus les toits de paille
vers l’été joyeux
Le petit matin
réveille tous les espoirs
d’une vie meilleure
Le poison du mal
se glisse dans les esprits
en haine de l’autre
La pierre a roulé
jusqu’au fond de la vallée
comme un fruit tombé
Vois le grand soleil
qui réchauffe ton vieux corps
te brûle les yeux
Le petit chat blanc
roule la balle de laine
jusqu’au bas des marches
Soleil du matin
glisse tes doigts de lumière
entre les volets
Sur le carrelage
une fourmi minuscule
commence un voyage
Les rides dessinent
des milliers de graffitis
sur sa peau tannée
Le 21 12 2021 : Le monde enchanté de Cora
Le 21 12 2021 : Haïkus (25)
Tu as beau vouloir
tout ne t’est pas accordé
quand tu le désires
Pourquoi s’entêter
à remonter le courant
la mort est au bout
Sagesse des livres
que l’on peut abandonner
jamais ne s’imposent
Avant de les voir
tu respires leur odeur
de fleurs du printemps
Cadeau de la vie
les fous-rires des enfants
comme du cristal
Le chien à mes pieds
son lourd regard attendri
qu’attend-il de moi
Le voilier au loin
se profile à l’horizon
la fin d’un voyage
La grand-mère avance
avec ses pas de fourmi
tant de choses à faire
Elle a oublié
ce qu’elle faisait hier
ses amours survivent
une bûche se consume
comme notre vie
et partir sur le chemin
découvrir le monde
Le 20 12 2021 : La vie merveilleuse de Goldwyn (extrait 3)
Le 20 12 2021 : Haïkus (24)
Quand Marie dansait
tous les hommes arrêtaient
leurs vaines querelles
Tous ces livres lus
qu’on a trop vite oubliés
mais qui nous ont faits
Dans la brume épaisse
des fantômes déambulent
sans nous remarquer
Homme infortuné
qui ne reverra jamais
le sol d’où il vient
L’enfant ne peut pas
se rappeler la raison
de son gros chagrin
Douce demoiselle
qui lèves tes yeux au ciel
à quoi rêves-tu
Le pinson jaloux
le ruisseau dans les roseaux
chante mieux que lui
Le troupeau avachi
regarde filer les trains
sur les rails au loin
L’eau de la montagne
dévale dans les moraines
roule les silex
Vivre par tes yeux
ne voir que ce que tu vois
le ciel toujours bleu
Le 19 12 2021 : La route de l’espoir (extrait) :
Le 19 12 2021 : Haïkus (23)
Où vont les étoiles
quand le soleil se réveille
elles ont mis les voiles
L’abricot trop mûr
se détache du fruitier
pour nourrir le sol
Le vent joue dans l’arbre
une musique sacrée
comme sur un orgue
Montre rouge gorge
à tous le feux du printemps
ton beau cœur de braise
Il a dit ses fautes
dans le réduit sanctifié
d’un confessionnal
Mais qui jugera
tous ces monstres qui nous jugent
et qui nous sanctionnent
Il faudrait garder
cette innocence sacrée
acquise en naissant
Malheureuse autruche
pourvue d’ailes inutiles
et qui ne peut voler
Comme un édredon
les nuages enveloppent
nos rêves frileux
Le pas du cheval
qui tire le corbillard
scande la douleur
Un éclair d’acier
déchire le noir linceul
d’une nuit d’été
Le 18 12 2021 : La sœur de misère :
Quelques
jours après le 11 septembre 2001 de sinistre mémoire, paraissait
mon recueil de témoignages Immigrés en Val-d’Oise que la
plupart des libraires refusèrent d’exposer dans leur vitrine.
Malheureuse coïncidence de dates car j’appris beaucoup en écrivant
cet ouvrage qui me permit de découvrir des personnages attachants et
des destins exemplaires. Des hommes et des femmes (surtout des
femmes) se confièrent à nous en toute sincérité. Je dis nous
car mon épouse m’accompagna dans cette démarche et sa présence
providentielle me fut d’une aide précieuse car je la plaçai en
face de mon interlocuteur et c’est à elle qu’on racontait,
rassuré par son bienveillant regard féminin. Je pus ainsi connaître
des représentants de tous les continents, des êtres déchirés par
l’histoire : une Argentine suppliciée par les militaires au
pouvoir, des femmes qui avaient fui le Maghreb et sa misère, des
Africaines, une Arménienne rescapée du grand génocide, un Chinois,
un Portugais, un Croate, un panel d’individus qui me persuadèrent
qu’on ne quitte jamais son pays natal sans une raison vitale. Ces
êtres amputés d’une partie de leur vie me parlèrent, d’abord
réticents car peu habitués à ce qu’on s’intéresse à eux,
puis plus assurés comme s’ils se déchargeaient d’un fardeau.
Dans la rue obscure
un chat noir très nonchalant
cherche une aventure
Un trait de vapeur
derrière un avion de ligne
sépare le ciel
Une femme seule
qui s’enfuit éperdument
de quoi a-t-elle peur
La barque dérive
éprise de liberté
au fil du courant
Une maman chante
un air afin que s’endorme
son enfant repu
Un vol d’oies sauvages
sur la toile d’un ciel gris-bleu
dessine un triangle
Un paon fait la roue
l’enchantement se fracasse
quand il pousse un cri
L’enfant fatigué
abandonne la poursuite
d’un brin dans le vent
Sa tête posée
sur l’épaule de l’amant
ses rêves l’emportent
Un phasme immobile
imagine un grand banquet
de proies capturées
Quand tu me regardes
je ne devine jamais
ce qui te tourmente
Le 17 12 2021 : Les petits vieux n’ont pas dit leur dernier mot. (extrait, City-éditions)
Sa démarche altière
plus noble qu’un grand lys blanc
maîtrise le temps
Le chien fait semblant
de s’endormir sous la table
où traînent des miettes
L’étrave éventrait
la vague qui s’enroulait
dans son col d’embruns
La voix de leur maître
entrave la liberté
des enfants rêveurs
Poussés par le vent
les nuages vont couvrir
l’œil d’un soleil rouge
Des milliers de vagues
viennent frapper la falaise
chacune est unique
Le bel oiseau vert
surveille le trou dans l’arbre
où dort un insecte
Les yeux du vieil homme
savent lire dans le cœur
de celui qui ment
La feuille rougie
se détache du rameau
pour son grand voyage
Le héron perché
sur un pied dans le courant
guette son repas
Tels une comète
tes précieux cheveux dorés
flottent dans le ciel
Le 15 12 2021 : Un papa joueur
Les larmes versées
ne servent à rien hélas
qu’à brûler les plaies
La tortue terrestre
ne craint pas de recevoir
l’orage de grêle
Seul le prétentieux
croit parvenir un matin
à savoir pourquoi
Honte à l’homme abject
qui use de son pouvoir
pour souiller les femmes
Rien n’est plus magique
rien n’est plus mystérieux
qu’un frisson d’amour
Entre mes dix doigts
passent les portraits sépia
d’aïeux inconnus
Il pleut des étoiles
quand la tête renversée
tu ris comme un ange
Qui saura jamais
l’univers où nous irons
pour nous le décrire
Jamais le rivage
ne veut rendre à l’océan
la vague alanguie
Le nid fabriqué
dans la fourche de deux branches
abrite des vies
Pars si tu le veux
à cent lieues de ta maison
mais ne l’oublie pas
Le 14 12 2021 : Des ombres dans la ville.
Pendant des années, chaque matin j’ai pris les trains de banlieue pour me rendre au travail et en revenir le soir. Je ne pouvais pas toujours me livrer à la lecture, mon occupation favorite, car un mal à l’oreille intérieure me provoquait des vertiges quand j’étais obligé de rester debout dans le wagon bondé. Aussi, dans le balancement du train, accroché à un point d’appui, je n’avais rien d’autre à faire qu’à assister au spectacle de la vie. On en apprend beaucoup sur la nature humaine en regardant autour de soi. Des dizaines d’histoires s’entremêlaient, des amitiés, des idylles, des antipathies se nouaient et se défaisaient de mois en mois. Les murmures, les œillades, les effleurements de la main, les mouvements d’épaules et des jambes étaient plus éloquents que toute déclaration. En voici un exemple parmi tant d’autres :
Le 14 12 2021 : Haïkus (18)
La fleur a poussé
dans l’anfractuosité
au flanc du volcan
Nous mettrons le cap
vers de lointains archipels
ta main dans la mienne
Le blanc goéland
traverse les horizons
pour l’amour de toi
Le rameau bercé
par le vent sur les nuages
écrit ton prénom
Une fleur portée
par le flot de la rivière
sèmera ses graines
Il passe sa vie
à rassembler les morceaux
de lui dispersés
Plus j’avance en âge
et plus j’aime le silence
glacé des tombeaux
Sur un frêle esquif
elle affronte la tempête
pour elle et l’enfant
Ils ont du courage
ces petits vers de terre
qui meurent debout
Combien de malheurs
sont nés d’une rose offerte
en preuve d’amour
Le ruisseau têtu
finit toujours par creuser
la plus dure roche
Je me dis souvent
que six doigts à chaque main
nous aideraient bien
Le 13 12 2021 : Le menuisier.
Un jour du début du mois de juillet, le menuisier ferma son atelier et pour ne plus reparaître. Je me suis demandé s’il avait gardé une sépulture pour lui. J’ai pensé aussi que s’il partait, ses chances de récupérer ses doigts se réduisaient à zéro.
Sur l’herbe jeté
un poisson vivant encore
qui se noie dans l’air
La dernière pomme
sur une branche accrochée
un festin de vers
Mon regard posé
sur le rond de ton épaule
plus chaud qu’un baiser
Laisse aller l’oiseau
porté par le vent côtier
il sait où il va
La craie pousse un cri
quand sur le grand tableau noir
se meurt un enfant
Ce mal qui nous tue
tant de secrets étouffants
souillent nos familles
Les oies en automne
s’envolent vers le soleil
franchissent des mers
Il ne reste rien
de tous les feux d’artifice
que l’odeur de souffre
Ne rejette pas-de-chance
la merveilleuse innocence
le fleur de l’enfance
Le matin gourmand
au réveil se satisfait
d’un croissant de lune
Je ne peux pas dire
ces rêves qui survivront
quand je partirai
Le 12 12 2021 : L’amour d’un pépère.
Le 11 12 2021 : Le vieil ami perdu:
Le 11 12 2021 : Haïkus (15)
Derrière le voile
soyeux de ses longs cheveux
elle ferme ses yeux
On dirait la danse
de quelque fée des forêts
qui marche sur l’eau
Que veut-il enfin
l’océan part et revient
sans se décider
L’écran noir et blanc
projetait sur nos visages
des lueurs blafardes
Chacun de tes pas
sème l’or dans tes cheveux
couleur de blés mûrs
Le vieil homme pleure
depuis des mois et des ans
pas un seul sourire
Au pied d’une croix
une femme se désole
le Christ ne voit rien
Derrière le nuage
se cache un autre nuage
déguisé en ours
L’amour fait fleurir
un coquelicot carmin
sur ta bouche aimée
Un enfant sautille
de l’enfer au paradis
qu’il n’atteint jamais
Une brume épaisse
rampe au sol honteusement
comme un chien coupable
Le 10 12 2021 : Le portrait.
Le 10 12 2021 : Haïkus (14).
et une odeur de printemps
s’invite chez moi
Un gorille en cage
en moi croit reconnaître
un lointain ancêtre
Dans le grouillement
de l’immense humanité
tant de solitudes
Trop de grands garçons
imaginent des voyages
sur des mers rêvées
Moi le ciel entier
moi le vent et les tempêtes
au bout de la terre
L’enfant dans son lit
ignore tout de la vie
qu’il devra subir
Chacun lui disait
toujours ce qu’il devait faire
sans jamais l’entendre
Le pas des armées
fait taire les chants d’oiseaux
qui ont peur du bruit
Un doigt dans la bouche
sans attendre sa chanson
bébé dormira
Il voulait la joie
s’enivrer de vin nouveau
avec ses amis
Sa main dans la mienne
je suis le maître du monde
avec mon enfant
L’arbre arraché
l’an dernier par la tempête
nourrit mille vies
Le 09 12 2021 : Le cerf-volant.
Tous les ans à la période de Pâques, les enfants du quartier grimpaient sur la montagnette, ce tertre d’argile qui bordait la voie ferrée, juste après les docks. C’est là que nous allions chercher de la glaise pour modeler des animaux hideux que nous offrions aux parents pour les fêtes des mères ou des pères. C’est là aussi que nous ramassions des silex que nous déposions sur les rails en attendant un train. Au passage de la locomotive, une gerbe d’étincelles accompagnait l’explosion du caillou. C’était notre feu d’artifice.
Le 09 12 2021 : Haïkus (13)
Les trousseaux de clés
ne cessent pas de tinter
la nuit en prison
Le flop d’une pierre
dessine des ronds dans l’eau
peut-être un poisson
Quand le canon tonne
comme un enfant le soldat
murmure Maman
Les feuilles frissonnent
j’en remplirais ma chemise
pour les réchauffer
Un éclair d’argent
se glisse dans les blés mûrs
le serpent s’enfuit
La voix cristalline
s’élève de la fenêtre
une femme chante
Mes pas dans la neige
accompagnent le torrent
jusqu’à la rivière
La porte a claqué
comme une gifle assénée
à l’homme cruel
Un enfant couché
devant une cheminée
il dort il est bien
Il ne peut parler
de ce souvenir ancien
qui le blesse encore
L’homme et son enfant
regardent le ciel bleu
où flotte un nuage
Il trempe le fil
dans le cours d’une rivière
il pêche le temps
La lettre d’amour
abandonnée sur un banc
se confie au vent
La terrible tempête
s’abattra demain encore
sur les blés qui lèvent
Il lui parle d’amour
elle pour le remercier
lui donne un baiser
Les paupières closes
ses mains tendues devant
il rêve de nuit
Dans l’air immobile
le sifflet d’un train au loin
traverse l’été
Il pose sa bêche
pour éponger son visage
d’un revers de manche
Elle s’arrache aux vagues
coiffée de l’or scintillant
d’un soleil couchant
Dans la malle en bois
un portrait entre deux pages
d’un cahier jauni
Six brins de lavande
rassemblés par un ruban
sur le lit nuptial
Son pied délicat
s’offre à la caresse
d’un ruisseau limpide
Le 08 12 2021 : La route de l’espoir (2)
Heureux sont les arbres
dont le racine profonde
sait où vont les morts
Ne dis pas je t’aime
si tu ne le ressens pas
tu peux en souffrir
Il n’est aucune âme
qui vive dans les nuages
une maison vide
Le ruisseau emporte
la feuille tombée de l’arbre
qui veut voir la mer
Le vent sans relâche
use les sommets de pierre
sur nous le temps passe
Le marin sait-il
s’il verra enfin le port
sa vie c’est la mort
L’école est la cage
où l’on voulait l’enfermer
lui la mer l’appelle
Le temps a écrit
son histoire sur la peau
de ce beau vieillard
Les femmes trompées
traînent leurs genoux en sang
jusqu’en haut du mont
Lune ronde et rousse
tourne comme une toupie
jouet pour les anges
Va si tu le dois
par la terre ou par la mer
chercher ton destin
Le 07 12 2021 : Le monde enchanté de Cora
Un jour, j’ai eu besoin de son extrait de naissance pour remplir un formulaire officiel. J’ai ainsi appris qu’elle avait été confiée à Mamou dès sa naissance. Elle n’est pas sa fille. J’ai compris pourquoi elle semblait si peu attachée à celle qui l’avait élevée. Elle ne reconnaît que les liens du sang.
Le 06 12 2021 : L’homme blessé.
Le 06 12 2021 : Haïkus (10)
Il a aimé l’ancolie
piquée sur ton cœur
l’ombre d’amis disparus
des parents aimés
sur le chemin de cailloux
décompte le temps
ne plus attendre d’amour
pour fleurir nos vies
pousse ses cris de dément
c’est jour de naufrage
appuyée sur notre épaule
vient guider nos pas
va cueillant de fleur en fleur
des baisers volés
le soleil d’une caresse
pour chasser sa peur
à l’hirondelle égarée
par les vents contraires
une femme à sa fenêtre
te fera un signe
protège tes rêves grandioses
de partir au loin
Le 05 12 2021 : haïkus (9) :
jette des gerbes d’argent
de papillons blancs
quand les armes enfin se taisent
l’oiseau chante enfin
couvre le noir des labours
sous le ciel d’hiver
Le 05 12 2012 : La route de l’espoir (extrait) :
Nous sommes restés là, immobiles, avec la pénible impression de nous retrouver dans un cauchemar. Puis nous sommes allés nous réfugier dans l’habitation. Devant la porte du hangar, la forme allongée de notre chien roux faisait obstacle. Son flanc était ouvert par un coup de baïonnette, une entaille profonde d’où s’échappait sa vie en une coulée grasse qui se perdait dans le sol. Nous nous sommes précipités dans l’habitation. S’insinuant par la fenêtre, un faisceau de lumière jouait avec l’air où virevoltait une myriade de particules d’argent. Sur l’épaisse table de bois, posé comme un sabre, le soleil éclairait des miettes de pain, nos trois bols maculés par des lambeaux de peau du lait, un couteau où deux mouches se gavaient des restes de confiture de cerise. Une image d’un bonheur qui nous savions déjà éphémère. Nous aurions voulu croire que rien ne s’était passé, nous n’étions pas envahis, rien n’avait changé. Un matin comme les autres, dans un pays où il faisait bon vivre. Ces déflagrations au loin retentissaient comme un banal orage de printemps.
vers le Sud. Alors, nous distinguâmes leurs gardiens qui tournaient comme des frelons autour de leurs victimes en déroute. Des Allemands, dix fois moins nombreux, pressaient les perdants dans le dos ou les obligeaient à se hâter en les frappant avec leurs crosses. Ceux qui tombaient étaient vivement relevés avec une brutalité inutile car les captifs peinaient trop pour se rebeller. Où auraient-ils cherché asile ? De là où nous nous tenions, nous devinions le fardeau de leur honte, de leur lassitude. Il ne restait de ces combattants que de misérables fantômes écrasés par les cieux en flammes. L’ensemble formait une fresque d’ombres chinoises animées sur un rideau écarlate, spectacle étrange de l’anéantissement de notre peuple.
Le 04 12 2021 : La déchirure :
Depuis plusieurs jours, les voitures partaient en direction de la mer. Sur leur toit, ficelés, des ballots, des valises bringuebalantes, des paquets, des vies rassemblées à la hâte. Dans la ville, çà et là, des rafales s’égrenaient. Des gens mouraient sur les trottoirs, le massacre entrait dans les maisons. Deux mondes s’opposaient : le premier exultait, le second s’effondrait. La dernière page de notre histoire dans ce pays s’écrivait.
Il faut partir, dit mon père comme s’il nous ordonnait d’aller acheter le pain.
Comment partir ? Sur la route d’Oran, on égorgeait à chaque carrefour. Nous ne disposions pas de téléphone, j’ignore comment s’est débrouillé mon père pour réunir les informations. La camionnette d’un maraîcher s’est arrêtée devant la maison. Nous y avons chargé trois valises et quelques sacs, la musette que papa utilisait quand il allait chasser. Mes parents avec les quatre gosses hébétés. Nous avons fermé les portes et laissé les clés au propriétaire.
Un convoi militaire remontait l’avenue, des véhicules civils s’intercalaient dans la file de camions bâchés. Des soldats assis sur le plateau tenaient leur fusil serré entre leurs genoux. Ils nous effleuraient d’un regard indifférent. Ils savaient que notre destin ne les concernait plus. Ils savaient que bientôt, tout cela allait finir et qu’ils allaient pouvoir retourner en métropole.
Nous avons quitté la ville. Tout au long de la route, la liesse des nouveaux maîtres de cette patrie : des drapeaux verts et blancs brandis à bout de bras, des youyous, des insultes, des cris de haine. On nous jetait des pierres. Réellement, nous étions des chiens.
Nous avons roulé plus d’une heure pour atteindre le port d’Oran que la fumée âcre des réservoirs d’essence en feu rendait inaccessibles. Impossible d’embarquer. La camionnette de notre ami nous conduisit alors à l’aéroport où une foule compacte patientait dans un silence marmoréen. Des femmes vêtues de noir, des enfants immobiles, sages pour une fois, des hommes démunis qui livraient leur famille au hasard. Nous avons dormi dans les blés piétinés, puis incendiés, couchés sur des couvertures souillées de poussière. Nous avons progressé pendant une semaine de baraque en tôle en terrain vague. Le long des grillages de clôture, des klaxons et des fusils saluaient notre départ.
J’étais l’aîné de la fratrie, la charge de trouver de quoi manger et de récolter des informations me revenait. Une rumeur d’embarquement provoquait brusquement une vague désespérée. Fausse nouvelle, on revenait à nos valises, harassés, résignés. Nous avions perdu, nous n’avions plus rien à réclamer ni à exiger. Des coulées de sueur noire sur la face de chacun, sur les enfants, sur les adultes, un seul robinet qui gouttait parcimonieusement, nous suffoquions dans la chaleur de juillet.
Finalement la fin du calvaire, notre Caravelle s’envola vers la première destination qu’on nous imposa. Les rapatriés (nous dûmes endosser ce nouveau qualificatif qui nous désigna dans notre propre pays) étaient largués d’office à partir de la Méditerranée vers le Nord, à mesure que nous remplissions cette France inconnue.
Dans la nuit d’Orly, je dis adieu à mon enfance, une vie nouvelle et hostile attendait notre famille. Nous avions encore de nombreuses batailles à mener, des défaites et des petites victoires. Une déchirure à jamais ouverte.
Le 04 12 2021 : Haïkus (8).
Le 03 12 2021 : Les amants terribles.
Le 03 12 2021 :Haïkus (7)
sur ma main vient se poser
messager de paix.
La source murmure
une douce confession
d’amour délicat
Son chapeau de feutre
dissimule son regard
d’où nous vient cet homme
Un chaton tout doux
veut se frotter à ma jambe
caresse échangée
Le soleil décore
la soie de tes longs cheveux
d’une couronne d’or
Au petit matin
comme un ruisseau libéré
un rire enfantin
L’horizon blessé
allongé au bout du monde
maculé de sang
Non rien ni personne
ne pourra nous justifier
la haine présente
L’enfant sur le port
comme un joyeux sémaphore
agite ses bras
La perle de givre
se balance sur la branche
mais quand fondra-t-elle
La chanson de l’homme
qui traverse la vallée
guide le troupeau
Le 02 12 2021 : La vie merveilleuse de Goldwyn:
Le 02.12.2021 : Haïkus (6)
L’étendard frissonne
le soldat au garde-à-vous
rêve de batailles
Ce n’est pas la mer
qui appelle l’homme au lointain
mais l’espoir d’une île
Ma main sur la joue
d’un enfant désespéré
réveille un sourire
La nuit de tes yeux
donne vie à des diamants
pareils au bonheur
La robe légère
qui s’agite dans le vent
capture un espoir
L’étoile filante
est-ce l’âme d’un oiseau
quittant cette vie
Le grand tableau vert
n’intéresse pas l’enfant
rêvant d’aventures
Le ruisseau d’argent
sinue parmi les cailloux
il cherche la mer
Le clairon de guerre
fracasse l’humanité
l’espoir d’un printemps
Longer au hasard
un chemin de douane
dominer le monde
L’oiseau rouge et vert
tresse des colliers de fleurs
qu’il offre aux nuages
Le 30 11 2021 : Des nœuds dans la tête.
Voilà la triste vie d’Antoine : des regrets, des remords, des milliers de questions sans réponse. Voilà sa hantise. Qu’aurais-je fait si ceci au lieu de cela ? Quel serait mon destin si j’avais frappé à cette porte et non pas à cette autre ? Il se demandait sans trêve s’il avait fait le bon choix bien qu’il restât persuadé qu’il s’était toujours trompé. Si peu sûr de lui qu’un jour, il décida de ne pas suivre son instinct naturel et de refuser systématiquement la solution qui s’imposait d’abord à son esprit après une longue analyse. Évidemment, cette méthode se révéla désastreuse et lui occasionna une longue série de déconvenues. Il se sentait maudit, persécuté par le sort. Il n’osait plus la moindre initiative, il ne décidait plus rien, il laissa faire le hasard mais le hasard, contrairement à l’adage, ne fait pas toujours bien les choses. Il fallait en finir, et vite !
Le 30 11 2021 : Haïkus (5) zz
Le 29 11 2021 : Haïkou (4) ZZ
Le 29 11 2021 : La chute d’un roi.
En classe, il n’avait même pas à demander, les exercices lui étaient transmis de main en main, dans la discrétion, il ne lui restait plus qu’à retranscrire. Il ne remerciait même pas, il ne donnait rien en échange. C’était naturel. Une autorité naturelle.
Il obtint ainsi son baccalauréat, sa licence en économie, il réussit sa première embauche dans une grande banque sans avoir à parler, tant sa présence impressionnait le directeur du personnel qui l’évaluait. Il se contenta de fixer le directeur des ressources humaines en hochant la tête avec un air pénétré et l’affaire était conclue.
Il mena sa carrière de la même façon, exerçant son pouvoir sans violence sur les membres du service qu’il dirigeait.
Il épousa une jeune fille de bonne famille qui lui confia sa vie, sa fortune, et qui fit preuve d’un attachement absolu. Et pourtant, Léo n’était pas un époux exigeant, il ne braillait pas, ne râlait pas sans cesse, mais son emprise s’exerçait en douceur.
On lui vouait une affection qui, parfois, était aussi lourde que des chaînes d’acier. Mais que pouvait-on lui reprocher ? Objectivement rien. Il n’avait jamais rien exigé de son épouse. Elle ressentait souvent une sorte d’humiliation de subir cet esclavage affectif qui gommait sa personnalité. Elle aurait voulu s’abandonner à la colère, à pousser un cri immotivé, comme ceux des enfants dans leur berceau. Elle se retenait, on l’aurait prise pour une folle, une capricieuse, alors elle se taisait. Ils menèrent leur vie ensemble, sans écart d’aucune manière, paisible, trop paisible peut-être.
À soixante-dix ans, un mal sournois emporta la docile épouse, sans doute usée d’avoir trop rongé son frein. Léo dut apprendre la solitude. Vieux et affaibli, il impressionnait moins son entourage. Le roi-lion devait s’effacer. Dans la maison de retraite qu’il avait intégrée, les gens désabusés se souciaient moins de lui, ils le prenaient pour un prétentieux et ne se gênaient pas pour le lui dire et le lui répéter. Seul, lui qui avait toujours eu une petite cour fervente autour de lui, commença à redouter la déchéance. Il s’enferma dans sa chambre qu’il ne quitta pratiquement plus. Il ne marchait plus, ne sortait plus pour se dégourdir les jambes et le cerveau. Il avait de même perdu le goût de lire. Il ankylosa ses muscles et ses méninges.
Un matin, il chuta en descendant de son lit, il se brisa le col du fémur et dut s’aliter définitivement. Il prit alors conscience de sa fin prochaine. Une révolte intérieure le bouleversa. Non, pas lui, pas Léo, il était impossible qu’il meure comme tout le monde. Il décida de se battre, de faire reculer l’autre, avec sa faux.
Il jeta ses dernières forces dans la résistance, le personnel soignant loua son courage, sa volonté. Il se remit à manger, il parvint même à se tenir debout, à marcher en s’agrippant à la rampe, à la ligne de vie accrochée au mur du couloir, il accomplissait des longueurs, des allers et retours inutiles qui ne menaient à rien.
Un matin de décembre, il tomba à genoux. Comme Cyrano de Bergerac frappé par une bûche, il se battit contre la Camarde, le dos appuyé au mur, la canne brandie.
Ses yeux lançaient des éclairs, sa gorge poussait des rugissements terrifiants. Il connut enfin sa seule défaite. Il abdiqua devant la mort, sans panache, humblement.
L’ai-je dit ? Il se nommait Ledoux, en un mot, Léo Ledoux. Dérisoire, n’est-ce pas ?
Sur l’épaule jeté,
l’ample manteau de brume,
les pieds maculés
de terre et d’écume,
il va de son pas lent ,
son regard porté au loin,
toujours droit devant,
le temps ne compte point.
Il a cru partir, pour fuir
des jours monotones
qui s’égrènent sans finir
sans été, que l’automne.
Il a couru le monde,
erré sur les océans
les îles de la Sonde
les montagnes des Balkans.
Jamais deux nuits dans la même couche,
deux baisers sur les mêmes lèvres,
deux serments sur la même bouche
parti quand le jour se lève.
À chacune de ses étapes
plus de colère et de rage
les regrets, le remords qui frappe,
les rencontres de passage.
Alors, il rentre à la maison,
au pays qui l’a vu naître
il a choisi la saison
du printemps pour reparaître.
Son cœur bat plus fortement
il devine que tout a changé.
Il sait qu’ici plus personne ne l’attend.
Ici, quelqu’un a tout fermé,
plus de vie, plus de parents
pourquoi avait-il jeté la clé
quand il se sentait conquérant
en se lançant sur les sentiers ?
Sa main sur son visage
essuie la sueur
qui coule dans le sillage
de ses rides. Il a peur.
Tout cela pour rien,
Il n’aura rien appris
au bout de son chemin
que l’âge nous habille de gris.
Le 27 11 2021 : Fabulette horticole.
De soigner son jardin,
Inlassablement, les géraniums,
Le thym, l’oseille, le romarin,
Et les rosiers dont se délectaient par mystère
Les pucerons, les orties, les lierres.
À peine avait-il fini l’ouvrage,
Que s’annonçait un nouveau ravage,
Les pissenlits menaient une guerre sans partage
Aux tulipes, aux jonquilles, aux narcisses,
Aux gueules de loup et aux lys.
Le pauvre homme pensait ne jamais en venir à bout,
Il s’usait à lutter contre tout.
La fatigue m’emportera avant que je finisse
Mon Dieu, détruisez ces vermines qui m’envahissent.
Alors le Père éternel ému pointa son doigt
Sur le carré de terre et de bois qui, comme il se doit
Et en un instant il en chassa toute vie animale
Minérale ou végétale.
Plus de fleurs, plus de légumes, plus de nuisibles,
Le sol mort, la désolation monochrome,
Partout la peste brune et monotone.
Attendez, implora le jardinier, c’est trop sévère,
Voilà que maintenant je n’ai plus rien à faire,
Et mon domaine et trop triste, on dirait un cimetière.
Le Seigneur ne revient jamais en arrière
Ce qui est fait est fait, bien ou mal, tant pis, pas de regret.
Alors le vieillard, désolé, jeta ses outils aux déchets.
Il termina sa vie dans l’oisiveté avilissante,
Contrit, malheureux, à pleurer sur le cadavre de ses plantes.
Le 27 11 2021 : Un ami rêvé.
Les aléas de la vie ne lui ont jamais laissé le temps de forger une amitié assez solide qui l’aurait accompagné depuis l’enfance. La guerre qui l’a propulsé hors de son pays natal, comme elle a éparpillé aux quatre vents tous les adolescents qu’il avait côtoyés depuis seize ans. C’est à cet âge que l’on a le plus besoin d’aide et de compagnie, il nous faut un pareil, un frère jumeau, un tuteur qui nous empêche de tomber dans la tempête. Un ami avec qui les mots sont inutiles, superflus, dérisoires. On s’en passe.
Et pourtant, que n’aurait-il donné pour le trouver, celui qui aurait parlé son langage, celui avec qui un seul regard aurait suffi à se comprendre, il avait les bras assez grands pour le serrer sur sa poitrine à jamais, assez de tristesse en lui pour inventer des histoires drôles, des fous-rires, des rêves de voyages fantastiques. Il a cru l’avoir déniché : ce Joël qui alla bêtement s’encastrer sous un camion dans la nuit froide d’une ville de garnison de la Sarthe. Le sort brutal a coupé les ailes de cette amitié. Il perdait cet ami rêvé.
Aujourd’hui, il se dit que si la vie n’a pas été simple, elle aurait pu être pire. Certes, il n’a pas eu cette belle amitié qu’il a souvent décrite dans ses romans. Il ne l’a pas vécue, mais il l’a imaginée avec tant de force qu’elle lui semble réelle. Les deux pièces d’un serre-livre tiennent le volume en équilibre, ainsi l’amour et l’amitié nous maintiennent debout. L’amour est là, il marche un peu de guingois, mais il avance. C’est une chance.
Quel que soit notre âge
Jamais nous ne nous départirons
Des rêves et des illusions
La tête dans les nuages.
Notre peau se ride comme l’écorce
Du vieux chêne de notre enfance
Où nous accrochions une balance
Pour nous envoler avec force.
Notre mémoire s’essouffle
Nous devenons craintifs
Nos élans sont poussifs
Et notre cœur s’emmitoufle.
Nous marchons au bord d’une falaise
Bousculés par le vent glacé
Nous dominons notre passé
Et surmontons le malaise.
Nous réveillons nos vieux rêves
Que nous pensions éteints
Une robe à fleurs nous revient
Une chanson s’élève à nos lèvres.
Un vieil air mélancolique et désuet
Qui nous parle d’amour et d’espoir
Et vient dissiper le noir
Qui voulait affluer.
Et nous sentons en nous
Le rêveur ressuscité
par tant de projets habité
Et rempli de rêves fous.
Le vieillard ne renonce pas
Aux audaces du Petit-Poucet
Rêveur qui voulait le monde repousser
Avant de céder au trépas.
Ce n’est plus le sang
Qui irrigue ses veines
Mais des songes qui reviennent
Nous brûler en passant.
Le 26 11 2021 : Les amoureux.
la tête pleine
de serments,
de serrements
Ils s’aimaient,
ils semaient
des je t’aime toujours nouveaux
dans du papier cadeau.
Ils se disaient sans toi
pas de ciel, pas de toit,
une vie en enfer,
le froid, toujours l’hiver.
Ils s’offraient des caresses,
des nuits d’ivresse,
des délices
des baisers au goût de fraise et de réglisse
et des fleurs inventées
des vallées enchantées,
des mers, des océans,
des miles et des cents,
des escales dans les îles
des poissons qui filent
sur la crête des vagues
des alliances et des bagues
en or de matins ensoleillés
de plumes d’oreillers.
Ils avaient à peine vingt ans
et leur vie droit devant.
Le 25 11 2021 : L’embellie.
Ils s’apprivoisèrent, ils apprirent à se parler, ils se rendirent rapidement indispensables l’un à l’autre, ils se détournèrent peu à peu de leur constante introspection. Avec leurs deux solitudes, ils se composèrent une nouvelle histoire. Ils quittèrent l’hôpital le même jour. Chacun retourna chez ses parents. Mais sans le savoir, sans même se l’avouer, ils s’aimaient. La première semaine de séparation fut terrible. Ils décidèrent d’emménager ensemble. C’était comme si deux noyés retrouvaient l’air de la surface. Ce ne fut pas toujours facile entre ces deux écorchés de la vie mais le couple tint bon. Ils se montrèrent cap’ de construire leur vie à deux. Ils n’étaient plus Joël et Béatrice, pour tous leurs nouveaux amis, ils étaient devenus Jobé et cela leur convenait, d’être unis dans le même surnom.
Le 24 11 2021 : La jeune fille de la gare de l’Est.
Le 23 11 2021 : Les livres.
Le 22 11 2021 : Haïkus (3).
Le 20 11 2021 : Lettre à un absent.
En revenant du marché, mon père s’installe à table pour lire le journal qu’il vient d’acheter. Il mouille son index et tourne les pages soigneusement pour ne pas les froisser. C’est ce respect de l’écrit qu’ont ceux qui ont appris à lire seuls. Il cherche les nouvelles du front qu’il décortique longuement, mais on n’y dit jamais rien d’important, rien de précis sinon qu’on ne doit pas douter de notre vaillante armée. On évoque le courage de nos soldats, l’avancée irrésistible de nos troupes, les bombardements ridicules que les Allemands font subir aux civils de ce côté-ci de la frontière. Il semble que leurs projectiles ratent systématiquement leurs cibles, que les artilleurs ennemis sont des incapables, des maladroits abrutis par le schnaps et qu’ils n’envoient sur nos lignes que des gamelles vides, alors que nos canonniers brillent par leur précision. Leurs tirs ne se perdent pas dans les champs, ils frappent les lignes ennemies avec une précision diabolique qui sème la panique dans les rangs allemands. À croire que les obus contournent les obstacles, les bosquets et les collines pour mieux les atteindre. Voilà quelles âneries on nous donne en pâture avec des termes si grandiloquents que c’en est ridicule.
Moi, je devine que quelque chose ou quelqu’un t’empêche de m’adresser un signe. Pas forcément un malheur, je ne veux pas penser à cela, je me l’interdis. Je ne veux envisager qu’un fâcheux concours de circonstances. Le fait est que quelque impossibilité t’a égaré dans un de ces labyrinthes où l’armée a le don de conduire ses soldats : les règlements absurdes, l’art de compliquer ce qui paraît simple, les hiérarchies qui régissent tout sans rien savoir de la réalité de la situation et s’arrangent pour régler en deux semaines un problème qui ne nécessiterait pas plus de cinq minutes partout ailleurs dans le pays. Un sac de courrier tombé du camion, une estafette tuée pendant le transport des lettres. Dans l’univers des troupes, tout est embrouillé, tout est réglementé, même la façon de marcher, de manger, de chanter, de se saluer ou de s’exprimer, comme si tout ce que nous avons appris de la vie devait être oublié, reconsidéré et enseigné selon les usages militaires. Comme si les canons avaient jamais apporté de solution durable !
C’est l’incertitude qui me meurtrit, l’ignorance de l’endroit où l’on t’a jeté, vivant sûrement, je le sais, mais blessé peut-être. L’euphorie qui régnait dans la presse jusqu’à hier commence déjà à s’estomper. Les communiqués officiels sont triomphants mais parfois, un journaliste scrupuleux se pose des questions. Ils ont compris qu’il est vain de nous mentir indéfiniment. J’ai lu que l’ennemi déverse des tonnes d’acier sur nos positions. Il nous veut du mal, c’est le jeu de la guerre, il faut détruire l’adversaire, cependant pourquoi anéantir la population civile en bombardant les agglomérations ? Pourquoi supprimer tous les hommes ? Ne suffirait-il pas d’imposer sa supériorité stratégique pour obtenir la fin des hostilités ? Que les épaules de l’autre touchent le sol pour mettre un terme à l’horreur, c’est fini, on se serre la main et on se sépare rapidement pour profiter d’une paix éternelle. Il y a mieux à faire que de se quereller pour satisfaire les monarques au pouvoir ! Labourer, semer, sarcler , faire pousser le blé et l’avoine, élever des bêtes, construire des maisons, fabriquer des outils pour alléger la peine des gens, voilà ce qui doit occuper l’humanité. Et toi, mon pauvre amour, que fais-tu dans le tumulte des batailles ? Ta présence était-elle vraiment indispensable, là-bas en ce lieu que j’ignore alors que tu as grandement ta place auprès de moi et de ton enfant qui germe dans mon ventre ? La France ne peut-elle pas remporter de victoire sans toi ?
Si tu m’avais écoutée, je t’aurais caché jusqu’à la fin de la guerre, je ne voulais pas que cette misérable affaire qui ne concernait que les princes t’arrache à moi. Pendant une semaine, j’ai imaginé des repaires dans la montagne où tu te serais réfugié. Je t’aurais chaque jour apporté de quoi survivre, de la nourriture, de l’eau, des vêtements chauds pour l’hiver. Les gendarmes n’y auraient vu que du feu car j’ai appris à marcher en menant les chèvres dans les ravines. J’y connais chaque gouffre, chaque grotte, chaque source. Tu ne voulais pas l’admettre. Tu me ressassais que tu me comprenais, mais que je ne pouvais pas te demander cela. Chacun est responsable de son destin et aussi de celui des autres. On ne vit pas que pour soi. On doit aider et protéger son prochain. À la fin du conflit, il me faudra bien sortir du trou où tu veux me planquer, comment alors me présenter aux autres, à ceux qui auront perdu un fils, un père, un frère ? J’arguais que ta mort ne leur aurait rien rapporté. J’avançais qu’une croix de plus au cimetière ne change pas le cours l’histoire et qu’au contraire, la France avait plus besoin de bras que de monuments aux morts pour reconstruire ce que les armes avaient détruit. Les maisons, les ponts, les routes, les écoles, les cultures. Les médailles ne remplacent pas le pain dans les vitrines des boulangeries. Elles ne remplissent pas les estomacs creux. Hélas, la logique des femmes ne parvient jamais à convaincre celle des mâles. Mes raisons que je pensais imparables te faisaient sourire. Tu me regardais comme si j’étais une fillette capricieuse. Ta main peignait tendrement mes cheveux, tu secouais doucement la tête, plein d’indulgence pour me faire admettre que ce que j’exigeais de toi était impossible. En me donnant satisfaction, tu te serais perdu, tu aurais bafoué ton honneur, tes parents, ta famille dont je fais désormais partie. Cher amour, je ne voulais quand même pas te transformer en paria. Cela ne rimait à rien de te rendre malheureux en te contraignant à fuir tes obligations. Alors, je t’ai laissé agir selon ta volonté. Quand les hommes partent se battre pour accrocher des breloques à leur poitrine, les femmes, elles, ne gagnent que des rides et des cheveux blancs. Voilà nos médailles. Elles sont plus voyantes qu’un ruban glissé dans une boutonnière. Dans le grand théâtre de l’humanité, chacun doit tenir son rôle. Toi, tu représentes la mort, la tienne et celle des Allemands. Moi, je m’en tiens à la vie que la nature m’a dévolue, je veille sur ton existence, sur la mienne, sur celle de notre bébé qui naîtra bientôt et je n’ai que mes larmes à opposer au massacre.
Le 18 11 2021 : Jeu de mains.
Dans l’espace de rencontre, il y a deux chaises, une table, un coffre plein de Lego et de voitures Majorette, des livres cartonnés, des cahiers à colorier et des feutres secs. L’enfant est assis sur le coin de sa chaise, une fesse appuyée, l’autre dans le vide, comme s’il se préparait à bondir hors de la pièce. Il a dix ans à peine, il préférerait être partout ailleurs, sauf ici. En face de lui, une femme vieillie prématurément. Elle tente de tenir la main du gosse serrée dans la sienne. Elle a peur de trop serrer ces petits doigts dans sa paume, mais elle sait que si elle relâche son étreinte, le gosse retirera aussitôt sa main captive. Elle voudrait bien la garder encore un peu dans sa paume.
Le 17 11 2021 : Paule Chabanel.
En ce petit matin de décembre 1920, la mère de Constant Chabanel rendit cette âme qu’on lui avait tant contestée. Elle venait de compter ses quarante ans et son fils ressentit sa disparition comme une nouvelle page blanche sur laquelle il lui revenait d’écrire une autre histoire, plus juste, moins cruelle. Dans les collines autour des Saint-Nazaire-en Royans, dans les vallées où la Bourne avait creusé son lit avec sa force de torrent libéré des crêtes du Vercors, la nature s’était enfouie sous une épaisse couche de neige. Le nez à la fenêtre, il observait dehors le rideau de flocons qui battait au vent. Cela lui évoqua les draps que Paule mettait à sécher sur les fils, en été et il ferma les yeux pour garder cette image en lui. Un tableau qui datait des jours lointains, d’avant la guerre, de sa petite enfance, alors qu’il ignorait encore tout, un spectacle qu’il lui faudrait oublier vite pour ne conserver en lui que l’essentiel : la haine, la haine noire dirigée contre ce monde inhumain qui s’était acharné sur la défunte de ce jour. Il ne versa pas une seule larme, il ne lui restait plus de chagrin où puiser. Il avait trop cédé à la tristesse, à la colère, durant ses vingt années passées dans cette ferme. Il s’était trop apitoyé devant le malheur de sa mère. Aujourd’hui, ce qu’il voulait, c’était se dépouiller de toute cette faiblesse, ces regrets et cette sensibilité qui lui collaient à la peau tels des vêtements mouillés dans lesquels il ne se reconnaissait plus. Ne garder que la haine aiguë, aussi pure qu’une dague avec laquelle ou achève le sanglier traqué, un acier pour clouer les chouettes aux portes des granges, pour frapper sans faillir, pour se planter dans le cœur des malfaisants. Durant ces sept longs jours d’agonie, Paule lui avait rappelé son calvaire et il l’avait écoutée goulûment, comme un qui s’abreuve avant d’entreprendre un long voyage sur des terres arides. Il connaissait certains passages, il en apprenait d’autres que la pauvre femme lui avait cachés pour le ménager. Il n’avait pas eu besoin de prendre des notes. Tout s’inscrivait dans sa mémoire en lettres de feu, il était désormais marqué au fer rouge et rien ne le débarrasserait de ces stigmates, rien que l’accomplissement de sa tâche. Il avait tenu sa main déjà décharnée dans la sienne pour assister à son départ qu’elle voulait retarder encore un peu, le temps de parcourir le journal de sa vie, en entier. Mais peut-être s’était-elle préparée à le quitter depuis longtemps, depuis toujours sans doute. Avait-elle enfin décidé de renoncer à vivre quand tout était préférable à son existence faite de mépris et d’exclusion ? Elle avait résisté jusqu’à ce dernier jour de cette semaine de souffrance pour lui léguer son martyre en héritage. Après… Il n’y aurait plus d’après après ce regard épouvanté qui s’accrocha à lui. Et voilà tout, eut-elle la force de prononcer encore. Il posa ses doigts sur les paupières de la seule femme qu’il ait jamais aimée, il lui prit les doigts qu’elle avait crispés sur l’édredon et les croisa sur sa poitrine. Il ne chercha pas de rosaire, il savait que le tiroir du meuble de chevet n’en contenait pas, pas plus que de crucifix suspendu au-dessus du lit. Depuis longtemps, c’était la guerre sans merci entre Dieu et Paule Chabanel, une détestation réciproque. Il coupa une mèche de ses cheveux qu’il lia avec un fil de coton avant de les nouer à l’annulaire gauche de sa mère, bien au creux de ses paumes jointes. Il préleva de même une boucle blonde de la morte. Il la glissa dans un carré de papier qu’il rangea dans une poche de son portefeuille. Alors, il tira les volets de la chambre, il ouvrit la fenêtre et il laissa entrer le froid des montagnes. Il quitta la pièce plongée dans le noir sans allumer de bougie. Il savait que sa mère ne l’aurait pas souhaité. Elle avait vécu vingt années dans le noir intérieur et extérieur et s’en était accommodée.
Il enfila sa veste de cuir dont il releva le col sur ses joues et se jeta dans la tempête. Le vent arrachait au chemin de grosses plaques de neige qui s’envolaient comme une écume sur la surface de l’eau, au pied des cascades. Il reconnaissait le chemin jalonné de bouquets de branches sèches, de noisetiers où s’accrochaient des paquets de ouate blanche secoués par la bourrasque, de renflements du sol qui ressemblaient à des bêtes tapies, d’un bout de barrière délabrée qu’il aurait fallu changer au printemps. Penché en avant, le front pénétrant les tourbillons épais comme l’étrave d’un navire, il parvint essoufflé sur le seuil de la ferme voisine, à cent mètres de chez lui. De ses poings gelés, il cogna sur le battant et la douleur lui arracha un cri. La vieille Marguerite Jamet entrouvrit à peine pour empêcher au froid d’envahir la maison. Ça y est, c’est fini, dit simplement Constant. Bien, j’enfile un manteau et j’arrive, répondit-elle avant de refermer la porte. Le jeune homme s’en revint lentement chez lui. Désemparé, il tourna trois ou quatre fois autour de la table où traînaient une tranche de pain et les deux bols du petit déjeuner. L’un d’eux, celui de Paule Chabanel était encore plein de café au lait qu’elle n’avait pas eu la force de boire.
Il débarrassa et plongea les tasses dans un baquet d’eau tiède pour les laver plus tard. Il répartit une demi-douzaine de verres et une bouteille de gnôle. Sans un coup d’œil pour le corps allongé sur le lit, il installa deux chaises de part et d’autre du lit et alluma enfin une veilleuse. Pour les visiteurs, pas pour lui, ni pour sa maman. La flamme vacillante jetait des ombres sur le profil opalin de Paule Chabanel. Il remarqua alors que son nez semblait déjà presque transparent. Il s’assit un instant, les mains coincées entre ses genoux et se plongea dans la contemplation de la dépouille. Elle semblait enfin presque apaisée, libérée de toute souffrance. Libérée de la souillure d’une maternité sans être mariée, impardonnable à la fin du siècle dernier.
Le 15 11 2021 : Une vie de chef. Tirée du recueil Le bateau sur la falaise. Ed. An tu all ar mor 2004. Jean-Louis Serrano.
Près d’un grand magasin de disques, une porte métallique ferme le local vide-ordures d’une copropriété. Antoine détient la clé. C’est son appartement, il y vit, il s’y cache, il y dort. En échange, il sort les poubelles. Lors de la fête de l’immeuble, Antoine s’occupe aussi du barbecue. Il est chargé de griller les sardines...
Le 14 11 2021 : L’épreuve. Tirée du recueil Le bateau sur la falaise. Ed. An tu all ar mor 2004. Jean-Louis.
L’idée lui traversa l’esprit: comment avait-il réussi à entrer là-dedans? Ils avaient dû construire le bathyscaphe autour de lui. Une porte devait être ménagée avec une serrure à l’extérieur.
Le 12 11 2021 : Mon frère Goldwyn (2)
Notre immeuble possède un jardin qu’il faut traverser pour accéder au chemin de halage qui se prélasse sous les bouleaux, les saules et les ormes. Au bout de ce petit parc d’une trentaine de mètres de profondeur, le promoteur a fait installer une grille métallique avec un soubassement en pierre brute de quatre-vingts centimètres de haut. Souvent, quand il est nerveux, j’y accompagne Goldwyn qui a toujours besoin de se calmer. Dès le matin, mon plus grand travail est de veiller à ce que son couvercle ne pète pas sous la pression. Il s’assoit sur le muret et regarde passer les péniches ou les bateaux de plaisance qui glissent sur les eaux vertes du canal. Les embarcations doivent parfois attendre l’éclusier qui officie un peu plus loin, en aval. Parfois les mariniers nous adressent des signes et mon frère imite le sémaphore frénétiquement en grommelant de plaisir. Il ne craint pas les gens qui se tiennent à plus de vingt mètres de lui. Rien ne le menace, à cette distance.
Je me tiens à côté de lui, il s’inquiète, il se penche en avant, il scrute la rivière à droite et à gauche. Il attend une barque qui tarde à venir. Ses pieds remuent sans cesse, ses talons cognent le mur, toc-toc-toc-toc. Je pose ma main sur ses genoux pour qu’il cesse. Il s’arrête dix secondes. Dès que je relâche ma pression, il recommence de plus belle. Il finira par se blesser. Toc-toc-toc. Je me lève pour l’inviter à marcher un peu mais il a jeté l’ancre sur ce fichu mur. Je n’insiste pas, rien ne l’arrachera de son poste d’observation. Depuis le temps, je le saurais si c’était aussi facile. Il me faudra déployer des ruses de sioux pour le persuader et je n’ai pas envie de le contrarier. Tant pis pour lui. Il frappe le mur avec la même obstination qu’il cogne sur son tambour quand nous sommes chez nous. Sauf que là, ce n’est pas une boite en plastique mais un ouvrage en maçonnerie, avec un crépi aux grains acérés qui lui mordent la chair à chaque aller-retour de ses pieds. L’arrière de ses chaussettes blanches commence à se teindre de rouge. Calme-toi, Goldwyn, je t’en prie. Il ne me jette même pas un coup d’œil. Toc-toc-toc. D’un balayage du coude sur ma gorge, il me repousse contre la grille car je gêne sa vue. Arrête ça immédiatement ! Vois dans quel état tu t’es mis ! Oh ! Je te parle ! Avec ma jambe, je fais obstacle au mouvement perpétuel des siennes. Il consent à me regarder enfin. Je lui montre ses talons sanguinolents dans l’espoir de le figer dans la stupéfaction. Le résultat est contraire à mes attentes. Il ne supporte pas la moindre blessure, il doit craindre de se vider par une griffure. Une crue de désespoir inonde ses paupières et ses joues, il éclate en sanglots. Je devrais dire il explose car ses pleurs tiennent plus de la corne de brume que de l’aria . Son cri déferle dans le lit du cours d’eau comme le mascaret ou la grande marée au Mont-Saint-Michel, à la vitesse d’un cheval au galop. Il terrorise les ablettes, les perches se réfugient sous les algues couchées et les barges amarrées ruent pour s’enfuir. Je ne sais plus comment éviter qu’il ne me fracasse contre la grille du jardin en se débattant. Ne gueule pas comme ça ! Tais-toi bon sang ! Ferme-la pour l’amour de Dieu ! Mais ni Dieu ni diable ne peuvent m’aider. Un miracle se produit pourtant. Un ronronnement léger nous parvient du Nord. Intrigué, mon frère oublie de hurler. Il se met debout et avance vers le canal. Au loin en amont se profile une petite péniche de tourisme. Elle glisse vers nous. Goldwyn sourit si béatement qu’un filet de bave coule aux commissures de ses lèvres. Sur le pont de l’embarcation, toute une famille prend le soleil. Le père est à la barre, déguisé en capitaine de corvette, une casquette à visière de plastique bleu et une ancre dorée sur son front, en short blanc et marinière, solidement campé sur ses pieds écartés, le regard porté au loin vers les côtes du Brésil. La mère n’est vêtue que d’un bikini couleur chair dont elle a baissé les bretelles sur ses hanches, elle est allongée sur un transat au milieu du pont et ses cheveux blonds accrochent la lumière. Une fillette de treize ans nous fait face, accoudée au bastingage. Elle aussi porte un maillot rayé. En nous apercevant elle se saisit de sa casquette rouge et agite son bras au-dessus-de sa tête : Youyou ! Youyou ! Goldwyn se précipite en avant, prêt à plonger pour l’étreindre et j’ai juste le temps de le retenir par la ceinture de son pantalon. Il se lance alors dans une danse du feu des indiens Navajos, avec la légèreté d’un pachyderme. Miraculeusement, il est trop ému pour songer à chanter. Youyou ! Youyou ! répète la gamine, inconsciente d’avoir échappé à la terreur de sa vie. Le bateau dérive lentement vers l’écluse, porté par le courant. Mon frère grommelle, il geint piteusement, il se sent crucifié, écartelé, je redoute l’incident. Ils sont partis, rentrons. Il refuse, il ne veut pas bouger, il souhaite rester là, il voudrait s’enfoncer dans la terre comme un arbre et prendre racine. Ils repasseront demain. Tu la reverras demain, nous serons là, je te le promets. Il s’assure que son rêve a bien disparu dans la courbe, derrière le rideau de saules. Il attend un bon moment. Il se tait, ne hurle pas, ne se blesse pas les talons, je ne le brusque pas. Il souffre tant qu’il en oublie de gueuler. Il finit par se lasser et, de lui-même, soudain il m’entraîne vers le jardin et l’appartement. Maman est dans son fauteuil, elle lit un bouquin de la taille d’un parpaing. Elle affectionne particulièrement les gros pavés qui l’occupent longtemps. Elle remarque que son Olivier se déplace en boitant.
_ Qu’est-ce que tu lui as encore fait ? Que lui est-il arrivé ?
Je hausse les épaules. Elle est persuadée que je passe mon temps à martyriser mon frère, que je suis l’unique responsable de tous les malheurs du monde. Elle insiste :
_ As-tu vu ses pieds ? Tu l’as traîné dans les graviers, n’est-ce pas ?
Je préfère le silence. Elle se met à chouiner avec petits cris aigus de souris. Elle renifle doucement. Qui ne la connaît pas pourrait croire qu’elle étouffe un fou-rire. Je m’étonne qu’une femme si retenue ait donné la vie à un énergumène capable de brailler comme Goldwyn. On dit tel père, tel fils, mais mon frère ne ressemble ni à son père, ni à sa mère, pour ce qui est de la discrétion. Je n’ai jamais vu papa pleurer, il s’esquive toujours dans sa chambre avant de céder aux larmes. Je le sais car plus d’une fois, je l’ai entendu tousser derrière sa porte. À la maison, personne n’échappe à la tristesse ni à la colère. Pour Goldwyn, la rage et le désespoir s’expriment de la même façon : par des cris qui plongent le quartier dans l’épouvante et la désolation, si bien qu’on ne sait pas distinguer s’il est furieux à force de trop souffrir, ou s’il souffre car il ne peut pas retenir sa rage. C’est un grand mystère. Dans un film documentaire sur la dernière guerre mondiale, j’ai assisté à une alerte avant une attaque aérienne. Eh bien les hurlements de mon frère tiennent un peu de tout cela réuni : la sirène qui jette les malheureux dans les abris, les stridences des avions Stuka et les explosions des bombes tombées du ciel.
Quant à moi, j’ai adopté l’attitude de mon père : le salut dans la retraite car Goldwyn ne supporte pas de me voir triste. Dans cette baraque, je suis souvent poussé à bout et souvent je ne peux pas retenir mes larmes de frustration. Ça le bouleverse tellement qu’il ne se contrôle plus. Aussi, quand je sens venir la crise, je m’enferme dans les toilettes ou bien je m’enfouis sous les coussins du canapé et je fais mine de dormir ou je m’enfuis dans le jardin en suppliant le ciel pour qu’il ne me suive pas. J’ai mille raisons de sombrer quand je vois l’état de délabrement de la famille, l’indifférence de maman, le détachement ou l’impatience de papa, leur incapacité à trouver une solution, l’extravagante particularité de mon frère et la charge écrasante qui m’est dévolue. Je ne suis qu’un enfant, après tout ! On ne va pas me fusiller si je pleure de temps à autre, je n’ai que quinze ans, quand même !
Le 10 11 2021 : Des enfants.
Bourg-de-Péage dans la Drôme. Quatre fillettes assises sur un banc devant leur récent immeuble de trois étages : un pâté de constructions sur la route de Pizançon, les dernières bâtisses de la ville, juste avant la clinique de La Parisière qui empruntera son nom au nouveau quartier. On y travaillait le cuir, comme à Romans, sa voisine réputée pour être la capitale de la chaussure. À Bourg-de-Péage, beaucoup vivent encore de cette industrie : les artisans servent les grandes marques de Romans-sur-Isère, Jourdan, Fenestrier, Arnoux, Salamander, toutes ces grandes enseignes disparues aujourd’hui. Pour construire la chapellerie Mossant, on avait même déplacé des centaines de tombes avec le cimetière sur la côte de la Maladière où, dans un passé lointain, on avait soigné des lépreux.
Nos gamines ne se souciaient pas que des véhicules, elles observaient aussi les passants, les garçons qui venaient chercher le pain ou la pogne dans une des nombreuses boulangeries du bourg. Elle regardaient de loin le jeune qu’elles avaient surnommé John parce qu’il portait toujours le même pull de laine jaune. Dès qu’elles l’apercevaient, elles étaient prises d’un fou rire irrépressible. Les heures passaient ainsi, jusqu’au soir où les parents venaient les rejoindre pour prendre le frais.
L’été, les adolescentes allaient se baigner dans la piscine proche, attenante à l’école privée qui avait remplacé l’ancien couvent des Maristes. Elles plongeaient et replongeaient pour aller rechercher un caillou blanc au fond du bassin. Elles se jetaient debout du haut du plongeoir en se bouchant le nez entre deux doigts. Elles n’enviaient pas les autres filles qui partaient sur la Côte-d’Azur. Plus tard, pour le plus grand plaisir des gosses, on aménagea un minigolf près de la piscine.
Après, il y eut la crise de la chaussure. Les usines fermèrent une à une. On délocalisa pour l’Italie, puis le Maghreb et la Turquie. Beaucoup d’habitants changèrent de département, seuls les retraités restèrent, ou ceux qui étaient mis en préretraite. Les jeunes partirent pour Lyon, Marseille ou d’autres capitales régionales. Bourg-de-Péage devint une ville-étape aux Portes du Vercors, pour Villard-de-Lans. Nos fillettes grandirent et se dispersèrent dans le pays. Elles se revoyaient par hasard, devant la porte de l’immeuble où vivait encore leur maman. Elles se souriaient, gênées, et venait le fatal Tu te souviens ? Le temps béni où on se contentait d’un rien.
Le 09 11 2021 : Le soleil .
Avant l’affaire, je ne craignais pas le soleil, je le regardais en face depuis ma naissance. Je le défiais du regard, il ne m’a jamais fait baisser les yeux. Je m’amusais à le provoquer dès le matin. Je mettais mon réveil à sonner pour le surprendre aux premières heures du jour. Vous me croirez si vous voulez, mais il arrivait que je le fasse rougir. C’était bien, je me sentais fort, invincible. Ce n’est pas le soleil qui m’a terrassé, mais cette attaque qui m’a frappé par derrière sur le crâne. Je suis tombé à genoux, j’ai cherché vainement un point où m’appuyer et j’ai alors senti pour la première fois les rayons du soleil qui brûlaient mes pupilles, comme s’il y introduisait la pointe d’une lame. Après, pendant de longs mois, j’ai serré les paupières, j’ai porté des lunettes sombres, de celles qu’on chausse pour faire du ski, quand la lumière est trop violente. J’ai appris à ne sortir que la nuit, je baissais la tête quand j’approchais d’un réverbère. Il devait être près de minuit quand un flic a eu la mauvaise idée de vouloir contrôler mes papiers. Ils étaient deux, ils sont arrivés à ma hauteur en riant, ils se disaient qu’ils allaient passer un bon moment avec moi. Que voulez-vous qu’ils fassent d’autre, les flics, dans la rue déserte, au beau milieu de la nuit ? J’ai obtempéré, je ne voulais pas d’histoire. Plus vite ! A aboyé le plus vieux et comme je ne devais pas être assez rapide à son avis, il a mis sa lampe sous mon nez. Ça a fait une terrible déflagration dans ma tête. Un fracas, comme lorsqu’un immeuble s’effondre. J’ai toussé comme les rescapés des Tours jumelles, le 11 septembre. Et puis j’ai poussé le flic de toutes mes forces pour éloigner de moi le faisceau de lumière. Il a basculé sur la chaussée, au bas du trottoir. Ça a fait un drôle de clac, bref, sec, comme une pastèque qui éclate. Les bras du second flic m’ont ceinturé les bras. Je ne comprenais pas pourquoi il me serrait autant. Je ne voulais pas m’enfuir, je voulais simplement éteindre la lumière qui me lacérait les méninges. Je me suis retrouvé au commissariat, j’ai répondu à leurs questions pendant quarante-huit heures d’affilée. Je les ai implorés de ne pas diriger sur moi leur lampe de bureau, comme on le voit dans tous les films noirs, quand la police travaille un suspect pour le faire parler. Moi, je ne voulais pas leur cacher le moindre détail. Mais que pouvais-je avouer ? Ils pensaient que je n’avais pas la conscience tranquille, que j’avais commis un crime ou un cambriolage, ou je ne sais quoi. Je ne pouvais leur répondre que je ne supportais pas la lumière vive. Au terme de la garde à vue, avant de me transférer en réclusion préventive, je crois qu’ils m’ont compris mais ils étaient énervés car leur collègue s’était tué en tombant.
Chaque jour, un gardien vient me proposer de sortir pour la promenade dans la cour. Je refuse, je suis bien au mitard, je ne veux pas m’exposer au soleil. Je suis bien dans leur cachot. Je ne risque rien, loin du soleil. J’y passerais bien le reste de mon existence.
Le 08 11 2021 : Haïkus (2).
La branche alanguie
attend l’oiseau messager
d’un nouvel été.
du spectacle des étoiles
du chant de la mer
lave notre humanité
de tous ses péchés.
du laboureur fatigué
l’aide à se dresser.
le miel de ton sourire
et de ton regard.
Je veux terminer ma vie
comme dans un rêve.
Un jupon léger
frissonne et soupire d’aise
sous les doigts du vent.
sur un chemin de misère
hanté par les haines.
Le 07 11 2021 : Une mamie de cœur.
Les jours et les semaines étaient interminables mais les années défilèrent plus vite qu’un train à grande vitesse. Quand elle réalisa, elle avait l’âge d’être grand-mère, trop vieille pour adopter, elle resta avec ce manque douloureux de la maternité.
À soixante ans, elle fut contrainte à laisser sa place à une plus jeune. Elle s’enferma chez elle. Dieu ! Que son deux pièces lui semblait immense, et silencieux ! Elle passait ses journées à errer comme dans un purgatoire ou à regarder la télévision. C’est là qu’elle découvrit l’existence d’une association : les grands-parents de cœur. Elle s’y inscrivit aussitôt et remplit les formalités requises. Elle allait enfin pouvoir donner son trop-plein d’affection à un enfant qui en avait besoin. Elle déposa son dossier et attendit impatiemment l’appel qui la délivrerait de sa douleur. Elle n’eut pas à patienter longtemps. Elle reçut le coup de fil un samedi, juste après Questions pour un champion. Une voix juvénile la tira de sa torpeur. Son interlocutrice se présenta comme une femme seule élevant son enfant. Rejetée par un amant inconséquent, elle travaillait comme secrétaire intérimaire. Elle ne gagnait pas assez pour confier sa petite à une nounou.
Martine fut ébranlée par la détresse de cette maman qui faisait face avec beaucoup de courage. Elle ressentit la morsure des remords devant cette abnégation dont elle-même n’avait pas su faire preuve en abandonnant son enfant.
Clarisse souleva alors les draps qui protégeaient sa petite et Martine sut alors qu’elle allait élever ce petit être, qu’elle allait l’aimer de toutes ses forces et que cette rencontre allait pulvériser leurs trois solitudes.
Le 06 11 2021 : Haïkus (1).
tricotant ses arabesques
danse avec le temps.
sur le ciel noir de l’hiver
sculpte des nuages.
il ne voit que l’horizon
bleu comme un poison.
au cœur de l’été
implore une ondée
La mère attendrie
se nourrit du grand sourire
de l’enfant repu.
vacille comme son pas
il sait son futur.
joue à imiter la vague
qui vient et revient.
qui habite dans les nues
et vit de voyages.
sur une toile assoupie
dessine un visage.
marche comme un automate
soldat sacrifié.
Le 05 11 2021 : Le fiancé d’Odette.
Dans cette contrée, on ouvrait toujours sa porte à celui qui se trouvait dans le besoin. Tous logés à la même enseigne, dans la même cour de locataires, les enfants étaient surveillés par toutes les mamans du voisinage. Quand l’une d’elles était malade, une autre se chargeait de préparer les repas et d’effectuer le ménage chez la mère indisponible. Cela se faisait naturellement, sans avoir à le demander.
Le 04 11 02021 : La rage de Pépère.
Pépère n’était pas un fainéant, il avait toujours travaillé dur. Poser des rideaux roulants métalliques n’est pas une sinécure. Il s’agit de manipuler des charges lourdes, dans des lieux exigus et souvent encombrés comme des boutiques ou des ateliers. Il n’aimait pas installer ces fermetures dans Paris, à cause de la circulation des piétons pressés qui n’hésitaient pas à se glisser sous l’échelle pour doubler la file des passants. Il devait supporter leurs remarques acerbes, les contractuelles promptes à dégainer leur carnet de papillons. Comment faire autrement que de garer sa camionnette à cheval sur le trottoir et la chaussée ? Il devait bien garder ses outils à proximité de son chantier ! Parfois, il tombait sur un agent compréhensif mais souvent il devait affronter une tête de mule qui lui assénait l’argument fatal : Je ne veux pas le savoir, vous dégagez un point c’est tout.
N.B : Cette histoire n’est pas inventée, elle est réelle.
Le 03 11 2021 : La famille de Paulo.
Quand nous lui demandions de nous dire qui était cette belle demoiselle aux grands yeux rêveurs, il nous expliquait la vie de cette cousine qu’il avait côtoyée pendant son enfance et sa jeunesse, avant de se perdre de vue. Elle avait épousé un Canadien qui l’avait emportée dans son pays de neige. Elle lui avait envoyé un faire-part pour la naissance de son garçon, ils avaient échangé quelques lettres puis plus rien, le silence. C’est la vie. Son époux était-il jaloux ou les ans avaient-il estompé leur belle amitié ? Montréal, ce n’est pas la porte à côté, c’est loin, il faut franchir l’océan, on ne peut pas y aller tous les ans, il faut le comprendre.
Un mois plus tard, Paulo prit sa retraite anticipée et quitta la ville sans laisser d’adresse. Nous, ses amis, nous l’avons cherché en vain. Un brocanteur a vidé son appartement. Sa galerie de fantômes rêvés a peut-être échoué chez un autre malheureux.
Le 02 11 2021 : La Toussaint.
Le 31 10 2021 : Après la messe :
Le dimanche matin, après la messe, les gamins du quartier se retrouvaient chez Monsieur Donat. Monsieur Donat était un vieux garçon, un célibataire qui commençait à être très vieux. Il avait fait la guerre de 14-18, il en possédait des preuves dispersées un peu partout dans sa maison qui nous était ouverte jusqu’à midi. Sur un fauteuil un casque de poilu et, accroché au dossier, un sabre dans son étui métallique et sa ceinture de cavalerie. Sur la tablette du bahut, un boîtier de daguerréotype et une collection de plaquettes de verre couleur sépia qu’il ne prêtait qu’aux plus grands. Pendant des années, je suis passé devant ces trésors avec envie. Ceux qui étaient autorisés à les compulser sortaient sidérés de cet exercice, silencieux, incapables de décrire aux autres ce qu’ils avaient vu.
Quelle tristesse de n’avoir pas d’enfant, pour lui qui ne se sentait bien qu’entouré de gosses. Il voyait bien un neveu qui passait une fois par mois, le fils de sa sœur qui, elle, ne se montrait jamais. Notre ami nous recevait avec faste. Il avait pris soin d’aligner autour de la table les bouteilles de limonade et de sirops. De même, il avait sorti un billard français et un billard anglais, un jeu de quilles, un flipper mécanique et un magnétophone à bande pour nous enregistrer, il nous permettait aussi de choisir les livres dans sa bibliothèque bien fournie. Il guidait notre initiation en nous confiant La Guerre des boutons, Zazie dans le métro, La Jument verte, mais aussi les œuvres de Marcel Pagnol, La Gloire de mon père, Le Château de ma mère, ainsi que L’Adieu aux armes et Le Vieil homme et la mer d’Ernest Heminway. Ce fut mes premières lectures, les plus importantes.
Il suffisait de demander pour obtenir de lui qu’il nous passe des films de Laurel et Hardy, de Charlie Chaplin, de Beaucitron , de l’imperturbable Buster Keaton ou de Harold Loyd. Il complétait sa médiathèque au fil des semaines. C’est ainsi que nous découvrîmes Yves Montand, Edith Piaf, Serge Gainsbourg et son poignant Poinçonneur des Lilas. Mais aussi Pierre et le loup dit par un certain Gérard Philipe à la voix envoûtante. Et bien sûr les chansons d’Ouvrard, Dario Moreno, Henry Genes et son Facteur de Santa-Cruz. Et tant d’autres dont nous étions moins friands, tels que Tino Rossi, André Claveau, ou Luis Mariano. On n’avait encore jamais entendu les swings américains ni les premiers rocks.
Monsieur Donat portait une moustache grisonnante à la Charlot… ou à la mode d’Hitler, c’est selon. Régulièrement, il se teignait les poils en roux, ce qui lui donnait un aspect assez étrange dont il s’accommodait pourtant. Toujours vêtu d’un pyjama rayé, il ne lâchait jamais son verre de vin rouge qu’il traînait de pièce en pièce et qu’il vidait en une matinée.
Arriva enfin le jour où il consentit à me montrer des plaques de verre. Il me confronta alors à la dure réalité de la guerre, la grande guerre, la belle, l’atroce, pas celle qui s’était terminée dix ans plus tôt. Des cadavres en décomposition émergeaient de la boue, des morts accrochés aux chevaux de frise, des trous d’obus remplis d’eau où flottaient de malheureux soldats. Je ne pouvais pas détacher mes yeux de ces photos jaunâtres, bistres ou verdâtres. C’est de là que me vint ce dégoût et cette méfiance des adultes.
Monsieur Donat, à la belle saison, nous ouvrait son jardin sur la rive de la Mekerra. Il nous cueillait des nèfles, des figues, du raisin, des roses que nous rapportions à nos mamans et l’hiver, nous chargeait de bouquets de lilas.
Ma sœur qui avait une jolie voix chantait devant le micro et Monsieur Donat tenta le diable et me proposa de m’enregistrer. Dès les premières paroles du premier couplet, il se coucha su le magnétophone comme si celui-ci allait exploser. Stop ! Stop ! Hurla-t-il les yeux emplis de frayeur. Je compris que j’étais définitivement exclu du monde de la variété.
À la fin des années 50, il nous offrit d’emménager dans un grand appartement de trois pièces et cuisine que le précédent locataire venait de libérer. Pour ma famille, c’était un vrai paradis car jusque-là, nous vivions à six dans deux pièces.
Malheureusement, la guerre civile nous chassa de cette maison, de ce pays et nous éloigna de Monsieur Donat qui refusa les 10.000 francs CFA du loyer que voulait lui verser mon père : Je sais que vous ne possédez rien d’autre, vous en avez plus besoin que moi.
Nous avons laissé derrière nous ce vieux bonhomme qui m’avait tant appris. Je n’ai plus jamais assisté à la messe du dimanche, peut-être parce que je ne pouvais plus retrouver Monsieur Donat, ses sirops, ses livres, ses jeux, son jardin avec sa fontaine, tout cela était perdu avec mon enfance. Envolé.
Le 30 10 2021 : La coulée verte René-Dumont :
S’il est une belle promenade dans Paris, c’est bien celle-là qui permet au flâneur d’enjamber le 12ème arrondissement de Paris sur un viaduc de presque cinq kilomètres. Sur une passerelle perchée à une dizaine de mètres on domine le quartier, protégé par une végétation accueillante et intime. On longe les façades des vieux bâtiments de Paris, on découvre les caryatides, les statues insoupçonnées qui couronnent le commissariat central situé au 80 de l’avenue Daumesnil.
C’est la vie qui s’écoule comme un sang noir.
Dans le RER, on s‘efforce de penser à la coulée verte comme à un petit Éden.
Le 27 10 2021 : Monsieur Gravier.
Ainsi se nommait le premier instituteur de l’école Marceau, il dirigeait le cours préparatoire, il nous enseignait les bases de tout ce qui nous servirait pendant le reste de notre vie. Comme nous, il portait un tablier gris, tenu à la taille par une ceinture de cuir qu’il n’utilisait pas pour nous battre, contrairement à la plupart de ses collègues. La règle de chêne qu’il brandissait au premier chahut ne frappa jamais de doigts. Quand les murmures enflaient, il croisait les bras sur sa poitrine, nous observait avec ostentation, et le silence s’imposait aussitôt.
Monsieur Gravier avait établi ses rites, la matinée commençait toujours par le bulletin météorologique. Tour à tour, chaque jour, nous transcrivions sur une demi-page un parapluie, un soleil ardent, un nuage vaporeux ou un cumulus gris, selon le ciel. Un arbre penché par la bise ou un roseau dressé indiquait la puissance du vent, un seau gradué montrait la pluviométrie, et un thermomètre nous renseignait sur la température du jour.
Monsieur Gravier ne se bornait pas à un programme défini par le ministère, tout était prétexte à apprendre. Sans le savoir, nous abordâmes même la philosophie quand, pour commencer la classe, après nous avoir fait épeler notre nom et notre prénom, il nous déclara que nous connaîtrions sûrement le prochain siècle qu’il ne verrait probablement pas. Il avait connu la première guerre mondiale et avait survécu à la seconde. Il était né en 1915, comme mon père. Il nous souhaita une longue vie paisible, un métier intéressant. Il nous recommanda de garder toujours notre curiosité qui, selon lui, n’était pas un vilain défaut mais une qualité majeure pour connaître le monde.
Il nous apprit de même l’utilité des guerres qui, paradoxalement, favorisaient le progrès. Affligé, il constatait que, sans les conflits armés, les transports ne seraient pas ce qu’ils étaient, comme la médecine et la chirurgie, la recherche sur la résistance des matériaux, les ouvrages d’art, les fortifications et les barrages.
Mais aucune réponse, aucune,
À ses longs appels anxieux !
Il nous fallait, pour souligner l’extrême détresse de la mère, nous effondrer dans un fracas sur l’estrade de bois, avant de conclure par le poignant :
Et le cou tendu vers les cieux,
Folle d’amour et de rancune,
La biche brame au clair de lune.
Je l’ai retrouvé avec plaisir en cours moyen où il nous prépara au collège et au lycée avec la même compétence. Il se démarqua de ses collègues dont beaucoup se comportaient comme des sauvages. Monsieur Gravier, je me rappelle son nom comme une pierre blanche dans ma carrière d’élève.
Le 24 10 2021 : L’emprise.
Est-on né, a-t-on aimé, a-t-on rêvé pour vivre un tel enfer ? Elle avait été séduite immédiatement, immédiatement tombée dans ses filets. Il semblait si fort, si certain de lui. Je te protégerai, promis, juré, avait-il déclaré. Auprès de lui, rien de fâcheux ne pouvait lui arriver. Il décida qu’elle devait l’accompagner pour le reste de sa vie. Ils emménagèrent dans un appartement parisien, près du périphérique, Porte d’Italie. Cela lui allait bien : Porte d’Italie, c’était presque l’Italie. Dans sa tête encore tendre d’adolescente rêveuse, elle pensait que dans le Sud de la capitale, tout le monde chanterait Ô sole moi dès le matin. Elle était enthousiaste, heureuse.
Elle s’apprêtait à entamer une belle histoire, une longue romance au son des mandolines. Pour couronner cette passion naissante, elle parla de mariage, ce fut l’occasion d’assister à sa première grosse colère : Mais qu’est-ce qui t’arrive ? Tu n’as plus confiance en moi ? Qu’est-ce que t’apporterait un passage devant le maire ? Il ne vivra pas chez nous pour vérifier que nous ne nous sommes pas trompés ! Si tu doutes de mes sentiments et de mes promesses, autant se séparer avant d’aller plus loin ! Hurla-t-il, désespéré. Elle regretta aussitôt ses paroles. Elle l’avait blessé, il ne supportait pas ce soupçon. Elle se mordit les lèvres, elle présenta ses excuses, elle s’était montrée désinvolte, vexante. Elle l’avait meurtri. Aurait-elle supporté pareille injure proférée par lui ? Sans doute pas. Profondément coupable, elle sanglota, elle implora et lui, superbe et généreux la réconforta. Fais quand même plus attention, nous ne devons pas nous comporter de cette façon.
Elle acheta une belle daurade qu’elle s’employa à vider, à nettoyer et accommoder avec du fenouil, comme elle l’avait vu sur un site de cuisine. Comme elle n’était pas encore experte, elle prit un peu de retard et le plat n’était pas encore enfourné quand il rentra. Aussitôt, il se mit à crier, ça puait, c’était insupportable, elle était vraiment une bonne à rien, mauvaise à tout. Menaçant, il marcha sur elle, armé d’une canne d’ivoire qui décorait le porte parapluie de l’entrée. Elle recula jusqu’à s’adosser au plan de travail. Elle souffrait encore des coups de pieds dans le ventre qu’il lui avait administrés la veille pour la punir d’avoir laissé un faux-pli sur sa chemise. Derrière elle, sa main se posa sur le manche du couteau effilé et s’en saisit.
Ils levèrent le bras en même temps. Mon petit ne connaîtra pas son papa, pensa-t-elle sans tristesse. Elle frappa avant lui, sans colère, sans peur, parce que c’était la seule chose à faire en cet instant précis. Il s’effondra à ses pieds. Elle posa sa semelle sur la poitrine de son compagnon, elle prit la pause du chasseur qui vient d’abattre un grand fauve dans un safari.
Libérée de l’emprise, elle sourit pour la première fois depuis longtemps, la conscience tranquille. Elle venait de sauver l’enfant qu’elle portait.
Le 21 10 2021 : Ceux qui partent et ceux qui restent.
Mais nos dérisoires victoires ne forment pas l’écume de notre existence. L’essentiel est la galerie de portraits accrochés aux murs du dédale : des parents que nous chérissions et qui sont partis douloureusement ou sur la pointe des pieds, comme ils ont vécu. Le rectangle clair laissé sur le papier peint les rappelle à notre esprit, leurs visages tentent de percer la brume du temps. Spectres imprécis, ils hantent nos nuits sans sommeil, nous cherchons leurs noms, leurs prénoms et nous nous nous sentons coupables de les avoir presque oubliés. Ils avaient tant compté pour nous, ces amis que nous serrions sur notre cœur pour nous rassurer, ces parents qui nous apaisaient quand les canons tonnaient, ces maîtres qui nous enseignaient la beauté d’une œuvre, la grandeur d’une destinée imaginée, le sens de la vie, la force et la fragilité humaine. Nous gardons encore l’odeur de la craie dans la classe du cours élémentaire, mais comment s’appelait cet instituteur qui nous insufflait sa passion de l’Histoire ?
Alors, la question cruelle s’impose à nous : que deviendrons nous dans le cœur de nos êtres chers, de nos enfants, de nos parents ? Sans doute rejoindrons-nous l’armée en déroute, le bataillon des ombres du passé. Nous aussi, nous partirons, nous céderons la place aux jeunes et ce n’est que justice, c’est dans l’ordre des choses pour la survie de noter espèce.
Le 20 10 2021 : Une maman merveilleuse.
Johan ne cachait pas sa joie en présentant ses trois amies à sa maman. Une rousse prénommée Emma, une blonde qu’on appelait Julie et la brune Clara. Habillées sans ostentation, avec goût, toutes trois ravissantes, fréquentaient la faculté de médecine et les bancs des mêmes amphithéâtres. Elles ne portaient pas ces affreux jeans délabrés ni ces amples chemises qui battent aux quatre vents dans nos rues. Pas non plus de mèches violettes, ni de tatouages agressifs, ni d’anneaux dans le nez ou les lobes, ni de clous sur les lèvres. Non, ces jeunes filles s’appliquaient à une discrétion aujourd’hui si rare qu’elle sautait aux yeux.
Le jeune homme désigna sa mère et expliqua qu’il avait toujours entretenu avec elle une relation très spéciale. Selon lui, elle comprenait son garçon au premier regard, il n’avait pas besoin de parler, elle savait, elle ressentait ce qu’il voulait dire, ce qui le préoccupait. Elle lisait en lui comme dans un livre ouvert. Impossible de lui dissimuler quelque chose, impossible de lui mentir, au point que c’en était parfois effrayant. Par plaisanterie, il la surnommait parfois l’œil de Dieu.
Ils étaient très proches et il appréciait cet accord parfait qui, une fois admis, simplifiait leurs rapports. Cela provenait sans doute du fait qu’ils s’étaient retrouvés seuls après la désertion du père, alors que Johan n’avait que quatre ans. Elle était tout ce qu’il possédait, son modèle, son soutien, son seul amour.
Le 19 10 2021 : Les voiles .
Les voiles gonflées de rêves,
Le navire file vers le large,
Attiré par une fièvre
De grèves et de plages
Où des belles alanguies
Tressent des fleurs sauvages
Aux fragrances inouïes.
Leurs chants parlent de ciels et de rivages
De caravelles, de voyages,
D’épouses chagrines
De veuves sans visage,
Jalouses de l’océan
Qui emporte leur amour
Et laisse un trou béant :
Un puits, un vide tout autour.
Le bateau galope sur les vagues
Que l’étrave ouvre à grands coups
Comme une dague
Maniée par un guerrier fou.
Le marin défie la mer,
Il affronte la mort
Dans un combat amer
D’où nul ne sort
Vivant,
Il ne se retourne pas .
L’aventurier va droit devant,
Là où le mènent ses pas.
Dans son sillage scintille l’écume
Rougie par le soleil couchant,
Pour une éternité posthume.
Le 18 10 2021 : La Friteuse.
Drôle de surnom que l’on avait donné à Isabelle alors que son prénom était si joli. Pourtant, il suffisait de la rencontrer pour admettre qu’elle méritait bien cette étiquette. Sa grande chance était aussi son grand malheur. On ne pouvait pas lui trouver de sobriquet plus adapté : le nature l’avait dotée d’immenses yeux bleus qui semblaient occuper tout son visage. L’infortuné garçon qui croisait son regard était cuit sur place, il tombait immédiatement amoureux d’elle, cuit, brûlé, cramé. Incapable de penser à autre chose. Il était frit par la splendeur de ses iris.
Impossible pour elle d’avoir une amie car espérant trouver un prétendant parmi la nuée de garçons qui rôdaient dans ses parages, celle qui s’en approchait comprenait rapidement que c’était une mauvaise idée. La friteuse anéantissait tous les espoirs, elle ne laissait aucune miette à personne. La jalousie ne provoquait pas d’amitié chez les filles de son âge, mais la jalousie. Aucune ne pouvait prétendre supporter la comparaison. Autour de la Friteuse, le monde se consumait, il ne restait que des cendres… et une jalousie tenace. Le bleu profond de ses yeux rendait jalouses les filles, les mères, les mers et les océans.
La Friteuse n’avait jamais retenu de prétendant, elle n’en avait jamais choisi un parmi les garçons carbonisés qui hantaient son chemin. Elle semait le malheur. Pas de confidente imprudente qui lui aurait présenté son petit ami, celle-ci se tenait à distance et aucune fille n’aurait couru le risque, la folie de mettre en présence son fiancé et la terribele Friteuse. Cette fatalité n’était pas sans conséquence pour la belle condamnée à la plus grande solitude. Le vide se créait autour d’elle, devant, derrière partout. La file devant la caisse du supermarché s’éclaircissait dès qu’elle s’en approchait, personne ne choisissait les banc voisin du lycée. Chez elle, la belle Isabelle pleurait à chaudes larmes, des larmes de feu qui lui brûlaient les joues, qui lui dévastaient le cœur. Infortunée Friteuse condamnée à l’ascèse, au célibat. Sans époux, sans enfant, sans amie, elle voyait se profiler un avenir bien morose. Et les choses ne s’arrangeaient pas car, à la sortie de l’adolescence, le bouton s’était transformée en superbe fleur. On n’admirait plus seulement les bijoux de ses yeux mais aussi l’ensemble de son visage. Devant son miroir, elle se désespérait chaque matin et, bien souvent, elle se saisit des ciseaux pour se crever un œil. Elle en était rendue à ce point de détresse qu’elle ne supportait plus sa propre image. Ha ! Que n’aurait-elle pas donné pour être moins parfaite ! Elle suppliait le ciel de lui infliger une taie, un strabisme, des yeux ternes, n’importe quelle tare qui la rendît plus humaine.
Prétextant une allergie au soleil, elle porta d’épaisses lunettes sombres mais au lieu de décourager les hommes, son stratagème attisait leur curiosité fébrile. Que dissimulaient ces verres fumés ?
Elle traîna sa douleur et son extrême solitude pendant des années. À la quarantaine, dans la pleine beauté de sa maturité, elle décida de tenter un ultime essai. Elle lut que dans un pays défavorisé du centre de l’Europe, on pratiquait un commerce interdit partout ailleurs. On prélevait des organes chez les plus misérables pour les transplanter. De riches clients pouvaient acheter un rein, un poumon, un organe. Les yeux étaient très recherchés, pour des raisons médicales ou esthétiques.
La Friteuse se porta volontaire pour l’opération. On lui raconta que ses yeux seraient aussitôt greffés dans les orbites d’une fillette aveugle de naissance. C’était sans danger. En outre, elle toucherait une somme rondelette qui lui permettrait de se payer un chien d’aveugle qui la guiderait, la protégerait et lui tiendrait compagnie.
Elle accepta, non pas pour l’argent ou pour le chien, mais simplement pour devenir une vraie femme, accessible aux autres.
Son histoire fut relayée par plusieurs chaînes d’information, ce qui ne manqua pas de lui attirer une foule de journalistes, de chercheurs en tout genre. Une maison d’édition lui acheta son histoire, lui procura un auteur qui s’installa auprès d’elle, se lia d’amitié sincère et l’accompagna jusqu’à la fin de sa vie. De nos jours la notoriété, étant plus éphémère que la cécité, on l’oublia très vite et plus personne ne l’appela La Friteuse. Elle avait perdu la vue mais retrouva son joli prénom : Isabelle
Le 17 10 2021 : Le mauvais sort.
Adrien et Capucine s’aimaient, ils se reconnurent au premier regard et décidèrent très vite de vivre ensemble, de se marier aussitôt et de fonder un foyer. En observant leur cercle de connaissances, ils constataient qu’ils formaient un couple privilégié. Ils se sentaient même parfois un peu coupables quand, dans une soirée, ils assistaient à l’un de ces accrochages favorisés par l’abus d’alcool. Ils entendaient des paroles qui blessent, qui meurtrissent, des mots qu’on ne devrait pas prononcer en public, qu’on devrait garder pour soi, qui enveniment et ne soulagent en rien. Ils échangeaient alors un regard ému : Heureusement, nous ne ressemblons pas à ça, n’est-ce pas ?
À la hâte, ils avaient emménagé dans un immeuble récent du XVème arrondissement de la capitale. Ils s’y sentaient bien, sauf au moment de payer le loyer. Adrien était seul à travailler car Capucine tenait à passer l’agrégation pour devenir professeur d’histoire. Elle était encore étudiante. Ils pensèrent à acheter quelque chose, conscients que la location ne pourrait pas constituer une solution définitive. Ils avaient l’impression de jeter l’argent pas les fenêtres, en pure perte. Il fallait tenir le coup encore un an, avant le diplôme. Les parents d’Adrien proposèrent de les aider en attendant.
Les jeunes amoureux acceptèrent à contre cœur mais la réalité des choses leur fit admettre que c’était le seul moyen de réaliser leur projet. Heureusement, Adrien avait trouvé un poste gratifiant dans un cabinet d’expertise comptable. Capucine décida de prendre un emploi à temps partiel dans une boutique de mode.
Cela aurait pu lui convenir si ce magasin n’avait été géré par une harpie, un poison acariâtre qui passait sa mauvaise humeur sur ses deux malheureuses vendeuses. Capucine avait un besoin impérieux de cet appoint d’argent. Adrien lui conseillait la patience mais c’était plus facile à dire qu’à faire. Elle se refusait à décevoir son époux et tendait l’échine aux brimades. Après trois mois de remarques acerbes, de reproches constants devant les clientes, de vexations sadiques et injustifiées, son moral sombra.
Une émission télévisée lui apprit les bienfaits apportés par la compagnie d’un chien, les labradors étaient recommandés pour leur docilité. Un labrador femelle précisa le médecin consulté. Cela s’avérait indispensable si elle ne voulait pas entrer dans le cycle dangereux des anxiolytiques, des calmants, des somnifères destructeurs à la longue.
Ils trouvèrent l’animal adéquat à la SPA, une bête docile qu’elle baptisa du prénom de sa patronne honnie : Marthe. Ce qui lui permettait de se défouler en rentrant le soir. Bien sûr, sans violence, mais les mots qu’elle prononçait la soulageait : Ici, sale bête ! Approche un peu, vermine, que je te coupe les oreilles. Marthe, si tu ne m’obéis pas, je te débiterai en morceaux pour te donner aux corbeaux. Elle disait ces horreurs avec une voix douce et la pauvre chienne agitait la queue, réjouie. C’était la dérisoire revanche de Blandine sur la brutalité de son bourreau.
Un jour, Adrien annonça qu’il serait bon pour eux d’inviter son directeur et son épouse, pour marquer sa toute récente promotion.
Chez un traiteur renommé, ils commandèrent des plats élaborés. Foie gras, bisque de homard et d’écrevisses, cuissot de chevreuil etc. Ils tenaient à réussir cette petite réception du samedi soir. Ils avaient préparé soigneusement la table pour ce dîner: nappe blanche brodée, assortiment de vins blancs et rouges, champagne, pain de campagne doré et croustillant, plateau de six fromages choisis chez un affineur, un chandelier d’argent prêté par les parents.
À vingt heures précises, on sonna à la porte. Capucine se précipita pour ouvrir, suivie par la chienne qui aboyait, alertée par l’anxiété de sa maîtresse. Au pied, bourrique ! Couchée, Marthe, mais ce n’est pas possible, animal stupide, au panier ! Elle le dit sans crier, comme d’habitude. Elle ouvrit la porte. Le patron d’Adrien entra, le visage dissimulé derrière un énorme bouquet de roses blanches. Derrière lui, les lèvres pincées, la patronne de Capucine contenait difficilement une colère froide. Je vous présente Marthe, mon épouse, dit-il avant d’ajouter : Ma chérie, je te présente Adrien et Capucine, sa femme.
Adrien déploya des trésors de bonne volonté et d’obstination pour conserver son emploi. Dans l’urgence, Capucine trouva un poste de surveillante dans un collège professionnel. Il leur fallut un peu plus de temps que prévu pour verser l’acompte d’un appartement situé sur les bords de Seine, à Courbevoie, en face de l’Île de la Jatte.
Capucine obtint son agrégation. Trois ans plus tard, la naissance d’une adorable petite Pervenche les récompensa de leur persévérance. Un bébé sur lequel Marthe, la chienne veilla jalousement. Le mauvais sort avait été définitivement conjuré.
Le 16 10 2021 : L’instant suspendu.
Juin 1962, il flottait dans l’air une atmosphère de fin du monde. J’avais quinze ans à peine, dans cette ville déserte écrasée par un soleil de tous les diables, je ne me rappelle pas ce que je faisais dans la rue en ce début d’après-midi alors que tout le monde s’adonnait à la sieste. Pas un piéton, seulement de rares voitures, des Traction-avant, de grosses Citroën noires transportant des valises et des matelas sur le toit liés par des cordes. Elles remontaient l’avenue Marcel Cerdan vers Oran. Chez moi, on ne parlait pas de partir en métropole, nous pensions finir notre vie sur la terre qui nous avait vu naître. Nous ne connaissions rien d’autre. Nous savions que nous allions devoir affronter un ou deux mois d’épreuves difficiles, de déchaînements de haine. Mais nous étions quand même optimistes, pourquoi nous extermineraient-ils alors que nous apprêtions à leur offrir le pays sur un plateau ?
Certains se livraient à la politique de la terre brûlée et incendiaient les infrastructures pour qu’ils n’aient rien. En cela, ce début d’été les aidait. La chaleur brûlait le goudron d’où remontaient des fumerolles frémissantes pareilles à des rideaux liquides, les oiseaux se terraient dans l’ombre des platanes, l’eau jetée sur l’asphalte s’évaporait aussitôt.
Je longeais les murs pour échapper à la suffocation. J’imagine que j’étais pressé de rentrer chez moi. Depuis un mois, le lycée avait fermé à cause des attentats. Le proviseur avait jugé qu’il n’avait pas le droit d’exposer ses élèves après qu’un mitraillage avait endeuillé la sortie des cours.
Au loin, devant moi, un garçon indigène venait à ma rencontre. Il devait avoir mon âge, il était vêtu d’un pantalon de méchante toile bleue et d’une chemise ouverte sur sa poitrine imberbe. Un béret noir sur son crâne rasé, chaussé d’espadrilles sales, un ouvrier de ferme venu voir l’un des siens dans le village nègre. Que faisait-il dans le quartier européen, en pleine ségrégation ? Savait-il qu’à tout moment un fusil pouvait pointer à une fenêtre pour l’abattre comme un chien ? Il ne pouvait pas l’ignorer. Chacun chez soi, c’était la règle pour économiser des vies. Le temps de la cohabitation fraternelle avait disparu depuis des années. L’ère de l’exécution sommaire des innocents régnait de part et d’autre.
J’avais peur, comme il devait trembler aussi. Raisonnablement, il devait craindre plus que moi car il n’était pas sur son territoire, il s’était aventuré sur le nôtre. En dépit de mon envie, je ne pouvais pas rebrousser chemin et détaler en sens inverse. Non, pour ne pas éveiller en lui le réflexe du prédateur, je ne devais pas lui montrer cette frayeur qui asséchait ma gorge et entravait mon pas. Non, il fallait que j’avance vers lui comme s’il n’existait pas, comme s’il était transparent. Je glissai ma main dans ma poche pour lui laisser croire que je tenais un couteau, un pistolet, un rasoir, une arme pareille à celle qu’il serrait aussi dans les plis de ses vêtements.
Il était arrivé à dix mètres de moi, je distinguai son visage blême, des yeux écarquillés par la peur. Peur pour lui, peur de ce qu’il s’apprêtait à commettre ?
En deux secondes, je pensai à mon père, ma mère, ma sœur et mes deux petits frères. Je pensai surtout à maman et à la drôle de vie pas drôle du tout qu’elle avait endurée. Dans quel état sera-t-elle dans une heure ?
Quand nous nous trouvâmes l’un en face de l’autre, bien déterminés à ne pas céder un pouce de l’ombre de la façade, je pus voir ses yeux noirs écarquillés sous ses longs cils bruns qui lui donnaient une douceur presque féminine. Il ne souriait pas, n’exprimait rien, immobile, seul son poing frémissait au fond de sa poche. J’attendais le rasoir qui allait en surgir et me frapper comme une attaque d’épervier pour me jeter à terre, la gorge tranchée.
Lentement, je lui présentai ma paume vide. Son sourcil se haussa, étonné. À son tour, il me tendit sa main ouverte. Tout comme moi, il était persuadé que nous étions trop jeunes pour mourir exsangues, sans rien avoir prouvé, rien entrepris dans ce nouveau pays ni ailleurs dans le vaste monde. Il s’écarta de moi, en crabe pour ne pas me quitter du regard, et continua son chemin.
Souvent, les jours d’été, je pense à lui et j’imagine ce qu’il est devenu : peut-être un paysan installé dans une ferme abandonnée par les rapatriés, ou peut-être aussi une cadavre allongé sur le trottoir désert ?
Et moi, que suis-je devenu ? J’ai fait ce que j’ai pu, j’ai subi ce que le cours de l’Histoire de France m’a imposé. Je vis, je survis. Depuis ce jour de juin 1962, je suis un rescapé. D’autres ont eu moins de chance. Quinze jours plus tard, pendant la semaine de l’indépendance trois-mille de mes compatriotes périrent égorgés ou jetés au fond d’un puits ou d’une ravine. Qui en a parlé ? Trois-mille Samuel Paty. Trois-mille victimes inutiles d’une guerre stupide.
Le 15 10 2021 : La dure lutte.
L’année dernière, à cette date, on me transportait à l’hôpital, je ne tenais plus sur mes jambes, je voyais le monde à l’envers, la fenêtre avait glissé au plafond, horizontale, mon lit était posé sur le côté, vertical et je me demandais comment je pouvais rester suspendu dans cette position incongrue. Contre mon gré, mon épouse avait appelé le SAMU . Deux jours auparavant, le médecin de famille appelé avait diagnostiqué une crise d’otolithes, un dérèglement de l’oreille interne aux effets plus spectaculaires que dangereux.
Après une longue journée d’attente aux urgences surchargées, un neurologue soupçonna un AVC et me fit passer un scanner et une I.R.M. Je fus admis en chambre dans son service pour me nourrir par sonde nasale pendant cinq semaines. On ne m’administrait aucun remède car l’AVC cavernome ne se soigne pas, on le surveille, sans pouvoir agir. On vit sous l'épée de Damoclès Si le nœud de vaisseaux sanguins en cause ne se trouve pas trop loin dans le cerveau, on peut l’opérer. Ce n’était pas mon cas. Je voyais trouble, je n’avais plus conscience du temps qui passait, je survivais dans un état semi-comateux. Je voyais l’inquiétude du personnel soignant qui redoutait la fausse route des rares aliments liquides que j’absorbais. J’avais perdu quinze kilos.
Ensuite, on me plaça en maison de rééducation pour tout réapprendre : la station debout, la marche, la déglutition, un semblant d’équilibre.
Une chaîne bienveillante se forma autour de moi. Quand je trébuchais, on m’encourageait. Je m’exerçais à empiler des cubes, à glisser des clous dans des trous, à jouer aux quilles. À trois mètres de distance, la boule partait de travers, je recommençais, plus je m’acharnais et plus je ratais la cible. C’était le temps du désespoir.
La menace de la covid me tenait éloigné de ma famille qui ne pouvait pas me rendre visite. Dans le hall commun hanté par des ombres qui revenaient de leur enfer, deux demi-heures par semaine, je voyais mon épouse. Elle notait mes progrès. Je pouvais me déplacer en fauteuil roulant, puis je m’appuyais sur un déambulateur, puis, grâce aux kinésithérapeutes, je me déplaçais à l’aide d’une simple canne de randonnée. S’il m’arrivait souvent de tituber, jamais je ne chutai. J’en ai parcouru, des longueurs de couloir dès sept heures du matin.
Cette épreuve me fit prendre conscience de ma fragilité et de la force de mon couple que le temps n’avait pas entamé en plus de cinquante ans. Quand je désespérais de me remettre un jour, mon aimée m’enjoignait de me battre, de lutter encore et encore. Nous sommes ensemble et, si tu dois partir, je partirai avec toi, nous resterons ensemble. Je m’en suis bien tiré. Je communique sans trop de mal. Dans la rue, des inconnus qui remarquent ma démarche hésitante proposent de m’aider, spontanément. Cela me fait chaud au cœur.
Après cinq mois d’absence, je retrouvai ma maison et mon épouse. La guerre n’est pas finie, je dois encore me battre. Cela progresse avec une lenteur déroutante. J’erre entre espoir et résignation, je serai handicapé encore longtemps. Je me répète que j’ai eu de la chance, malgré tout. Qu’un AVC pris en charge avec deux jours de retard aurait pu me terrasser. Je vis, je n’ai pas perdu la mémoire, je peux lire, écrire, me déplacer à pied ou en voiture. Je mène une existence conforme à mes soixante-quinze ans. Je m’adapte à mon âge : je dois renoncer au jardinage, au bricolage. Je délègue mes tâches aux autres.
Pendant cette dernière année, j’ai perdu quelques amis chers, un parent très proche que j’aimais comme un frère, mais je respire, je m’émerveille d’être vivant, la vie est bien plus belle quand on a failli la perdre, l’océan ne vieillit pas, le rire d’un enfant me réjouit toujours autant, le monde est beau, la vie est belle. Cette épreuve m’a appris à faire le tri. Tout ne revêt pas la même importance.
L’humanité est ce qu’elle est, ma colère et ma consternation ne pourront rien y changer. Je suis désormais prêt à céder ma place à cette jeunesse qui me presse en avant. Le monde change de visage, il n’a plus rien à voir avec celui de mon enfance.
Je pousse mes volets chaque matin, heureux du cadeau que me fait la vie en me maintenant vaille que vaille, dans la grande ronde du monde.
Le 14 10 2021 : L’étrange enfant.
À trente ans, Béatrice savait ce qu’elle voulait et qu’elle ne voulait pas. C’était net dans sa tête. Elle considérait qu’elle ne pourrait pas réussir sa vie sans avoir d’enfant, d’enfant bien à elle, pas un enfant adopté. Cependant, avec la même conviction, elle ne voulait absolument pas d’un homme. Elle projetait de faire un bébé sans rien devoir à personne sinon à la médecine. Pas de type dont elle devrait prendre soin comme d’un gosse, car, il est bien connu et prouvé que les mâles n’évoluent guère après dix ans, ils restent de grands gosses toute leur vie, avec une incapacité de raisonnement d’adolescent en crise, une immaturité et un égoïsme chroniques.
Elle était prête à tout pour réaliser son rêve : à franchir des frontières, à investir les économies d’une décennie de travail comme secrétaire de direction dans une compagnie d’assurance parisienne. Elle avait compilé une importante documentation sur tous les aspects de la maternité. Le choix de l’horoscope: de première importance. Elle repoussait l’idée d’avoir un enfant capricieux, indolent, paresseux, égocentrique, tyrannique avec son entourage, borné. L’étude minutieuse des caractéristiques des signes zodiacaux et des ascendants la dirigea sur le choix du Lion. Les enfants Lion seraient équilibrés et ambitieux sans être fats, bienveillants sans être crédules, ils savent se défendre, sont honnêtes et travailleurs, ils ont un goût pour l’ordre, l’organisation et la famille. Si les livres disaient vrai, une telle progéniture offrirait une possibilité de bonheur.
Une fois déterminée, tout se déroula très vite, elle prit contact avec une clinique en Espagne, la qualité des prestations justifiait les prix très abordables. Tout se déroula sans surprise et la Fécondation in vitro ne fut qu’une formalité.
Cette clinique collaborait avec des médecins français pour le suivi de la grossesse. Deux mois plus tard, elle passa la première échographie qui ne révélait rien d’inquiétant, l’embryon se développait bien. Le bébé n’était pas dans une position favorable à la détermination de son sexe mais il n’y avait rien d’alarmant.
Le ventre de Béatrice s’arrondissait régulièrement et, à l’approche de son troisième mois, elle ne pouvait plus dissimuler son état. Et son mal-être commença. Sa santé n’intéressait plus ses amies. Ce qu’elles voulaient, c’était passer leur main sur son bedon, toucher ses formes, deviner un tressaillement. Il a bougé le pied, il s’est retourné, ce sera un footballeur, ma parole. Aucune ne lui demandait si elle dormait bien, si elle se nourrissait correctement, si elle ne souffrait pas de nausées. Rien de tout cela ne les préoccupait. Elle avait l’impression qu’en grandissant, son enfant prenait toute la place, toute sa place. Elle ne comptait plus, elle disparaissait. Comme si elle se ratatinait. On ne la voyait plus. Et de fait, elle se mit à maigrir considérablement, ses joues se creusèrent, on eût dit un spectre, les yeux creusés, cernés épouvantablement. Elle commença à ressentir de terribles douleurs aux entrailles. Elle avait la sensation que son fœtus la dévorait de l’intérieur. Aux abords du quatrième mois sa souffrance était intolérable, elle perdit les eaux et appela une ambulance qui la transporta à la maternité. Elle passa une radiographie puis une échographie et l’angoisse des opérateurs se lisait sur leurs visages. Ils refusaient de répondre à ses demandes d’explications. Nous ne pouvons rien vous dire, le docteur viendra vous voir dès qu’il aura pris connaissance des résultats.
Elle avait trop mal pour insister, son petit la déchirait, lui déchiquetait les organes. Une infirmière vint lui annoncer que l’enfant se présentait mal, qu’on se préparait à lui pratiquer une césarienne sous anesthésie pour lui éviter le supplice d’un accouchement inhabituel.
Une heure plus tard, en ouvrant les yeux, elle demanda son enfant. On lui expliqua que c’était impossible, que le bébé n’avait pas survécu. Qu’il présentait de lourdes tares, qu’il n’avait rien d’humain.
Cette fois-ci, la jeune femme tint tête. Elle voulait absolument savoir. On n’avait pas pas le droit de lui cacher son dossier. On tenta de la dissuader mais elle fit tant et si bien que le responsable du service vint la trouver. C’est inexplicable, nous n’avons jamais été confrontés à un tel cas. C’est inconnu dans la documentation médicale. Aussi étrange que ça puisse paraître, c’est pourtant la vérité : vous avez accouché d’un bébé lion, un lionceau mort-né. Je ne sais pas comment cela s’est produit, sans doute une erreur pendant la F.I.V. mais c’est difficile à prouver, normalement le mélange des espèces est génétiquement impossible. Cette grossesse n’aurait pas dû se développer jusqu’au terme. Surtout un bébé lion.
Et ce fut votre cauchemar, murmura le chirurgien...et maintenant, nous allons devoir réparer les dégâts importants que vos viscères ont subis.
Le 13 10 2021 : Un instant de béatitude.
Ils étaient là, face à face, elle au-dessus de lui, penchée sur lui pour le protéger d’un insoupçonnable danger car quand on aime, on a toujours peur pour l’autre. Lui était couché sur le dos, nu comme au premier jour. Il attendait un geste doux, une caresse. Ses bras et ses jambes battaient l’air pour y voler un mot sucré comme on cueille une fleur portée par le vent. Elle le trouvait beau, le plus beau du monde, la merveille. Pour une maman, son bébé est sans discussion une merveille qui lavera l’univers de ses péchés.
Il avait le front assez large pour abriter tous les rêves, toutes les ambitions. Sa bouche rosée et humide était comme ces galets qui bordent les sources qui abreuvent les papillons. Elle y déposa un baiser en offrande à la nature.
Elle fit glisser doucement sa paume sur la peau diaphane. L’enfant s’immobilisa immédiatement, surpris par cette délicieuse sensation qui lui semblait plus douce que l’aile d’un ange. Une brise de fin d’été, au lever du jour.
Elle laissa courir son doigt le long des plis en creux sur son coude, sur la jointure de son aine, sur son cou potelet. Elle observait l’effet de ses câlins sur les yeux écarquillés de l’enfant. Un regard bleu de nuit, immense comme un ciel de juin. Un regard assoiffé de découvertes, prêt à envisager les grands voyages, à déployer les voiles, à traquer les aventures. Elle trembla à l’idée de le perdre. Les mamans craignent toujours cette épreuve, le départ de leur petit. Elles pensent toujours mon petit même s’il leur faut se hisser sur la pointe des orteils pour poser un baiser sur leur joue.
Par jeu, il frotta la plante de ses pieds sur la bouche maternelle. Elle s’en saisit pour respirer leur parfum de lait et de lavande, une odeur d’Ostie, de brise marine, de pain frais, de pomme. Elle fit semblant de le croquer et d’y planter les dents. Les mamans dévoreraient volontiers leur enfant, si elles ne se retenaient pas. Le bébé poussa un petit cri de surprise qui se termina par un éclat de rire saccadé. Elle recommença son geste de morsure qui déclencha aussitôt la même cascade de joie. Elle se mit à rire aussi et refit sa pantomime qui répéta le même,effet. Elle aurait répété son jeu encore et encore, jusqu’à la fin des temps car pour une maman, entendre les rires de son enfant est la plus belle récompense que la vie peut lui offrir.
Elle coucha sa joue sur le petit ventre rond et ferma les yeux. Il se calma aussitôt, alors, elle le prit dans ses bras et l’amena doucement sur sa poitrine où il chercha goulûment le sein qu’il téta, les paupières baissées. Puis son rythme s’apaisa lentement, repu. Il s’endormit. Un filet de lait coulait du coin de ses lèvres. Instant magique pour lui et pour elle. Dans un élan de tendresse, pour qu’il ne prenne pas froid, elle le serra contre elle. Les mamans redoutent toujours le rhume sournois. Elle déposa ses lèvres contre le cou du nourrisson, à l’endroit le plus tiède, le plus douillet et y laissa l’empreinte d’une fleur d’un rose de nacre. Elle tira la couverture sur le bébé et s’abandonna à la douce somnolence qui la gagnait. Le bonheur, la certitude de savourer un bonheur accompli. Michel Ange aurait aimé les prendre pour modèle de ses nombreuses Piéta car toutes les mères ressemblent à Marie et leurs enfants sont fils de Dieu.
Le 12 10 2021 : La confession. Chapitre (2)
Le lendemain, après une nuit paisible passée allongé derrière un pilier de la chapelle, je m’installai dans le confessionnal, impatient d’y retrouver le jeune abbé. Je fus surpris de découvrir à mes pieds, sous le banc un petit panier de jonc tressé contenant une bouteille thermos remplie de café au lait chaud, un morceau de fromage, deux épaisses tranches de pain campagnard et une pomme rouge qui embaumait le réduit. Sans attendre davantage, je m’attaquai à ce petit déjeuner providentiel que j’inscrivis dans ma mémoire comme l’un des meilleurs qu’il me fut donné de déguster.
Mon confesseur devait me guetter dans l’ombre car il vint se glisser dans sa loge dès que je terminai mon repas. Je perçus un frôlement de tissu, un soupir et j’attendais quelque phrase rituelle, quand il me surprit par un : Avez-vous bien dormi au moins ? Suivi aussitôt par un déroutant : Êtes-vous certain de croire en Dieu ? Je n’avais pas envie de mentir à un homme qui s’était montré assez empathique pour sangloter en écoutant mon histoire. Vous savez, dis-je, j’aime autant ne pas avoir à faire à Lui car il ne m’a jamais témoigné la moindre bienveillance. Au contraire, il m’a persécuté sans pitié, il s’est amusé à me torturer dès ma naissance. Je préfère qu’il m’ignore et ne se mêle pas de ma vie. Votre Bon-Dieu n’est pas bon du tout.
Il soupira longuement et murmura si bas que je ne savais pas si sa remarque s’adressait à moi ou à lui-même : C’est que nous ne l’avons pas beaucoup ménagé, nous, ses enfants. Il laissa passer un grand pan de silence et me demanda comme s’il se jetait du haut d’une falaise : Voulez-vous me confesser… pour me récompenser de vous avoir écouté hier. Je réclame votre attention aujourd’hui.
Et il me raconta son histoire, au début trébuchant à chaque phrase comme s’il cherchait le chemin sous ses pas. Puis son verbe s’écoula plus régulièrement. Une existence conforme à tant d’autres. Il était un enfant sage, aimant ses parents et particulièrement sa maman très pieuse qui, doucement, le persuada d’entrer en séminaire. Il obéit sans contrainte car il aimait son prochain et voulait se rendre utile à la communauté chrétienne. Pendant sa dernière année d’études au lycée, il fit la connaissance de Marie, une élève de sa classe. Ils s’aimèrent aussitôt et il ne la dissuada pas lorsqu’elle parla de mariage et de fonder une famille. Lui, gardait en tête sa mission apostolique. Il se sentait envahi par la grâce, le Père lui avait tendu la main, il voulait s’engager auprès de Lui pour Le servir aveuglément. Cependant, il voulait ne pas déclarer sa vocation à la jeune fille qui l’attendait. Au moment de rejoindre le séminaire, il fut bien obligé de lui avouer que sa voie était ailleurs. En l’entendant, elle entra dans une fureur folle. Elle le traita de félon, de sournois, de cruel inconséquent. Elle lui confia qu’elle attendait un enfant de lui. Il lui répondit que malheureusement, il avait déjà donné son âme au Seigneur et ne voulait pas se parjurer.
Leurs routes se séparèrent. Il apprit par un ami commun qu’elle avait accouché d’un petit garçon qui portait son prénom, et qu’elle avait abandonné l’enfant d’un méchant comme il l’avait abandonnée à son mauvais sort.
En confession, vous m’avez révélé combien une décision telle que la mienne pouvait créer de malheur. Ce que vous m’avez décrit m’a heurté. J’ai pensé à ce petit que je ne connais pas et n’ai pas voulu connaître alors que je me suis passionné pour la vie d’inconnus. Folie que la mienne ! Je vous demande pardon, je me bats le cœur, je suis mortifié. Vous, ma victime, pardonnez-moi, comme vous pardonneriez à votre père.
_ Je ne pardonnerai jamais à mon père d’avoir rejeté l’amour de ma mère et le mien. J’excuse ma maman car je sais qu’une mère ne peut pas délaisser son enfant, tandis qu’un homme est capable de tout ! Il est capable de préférer un mythe à un bébé sans défense, de le vouer à la rue, à la violence, à la solitude, Non, je ne vous donnerai pas l’absolution, je ne vous dirai pas allez en paix.Pas de rédemption pour vous, mon père.
Je quittai le confessionnal en courant. Tandis que j’atteignais la porte de la chapelle, une longue plainte se répercuta sous les voûtes, un hurlement de bête blessée, à en faire trembler les vitraux qui montraient la Passion du Christ sur le Mont-des-Oliviers. Je ne fis pas demi-tour. Que cet homme de Dieu aille au Diable !
Le 11 10 2021 : La confession. Chapitre (1)
Fallait-il être épuisé pour affronter la faune du Refuge ? J’espérais que par miracle, la faune du lieu se serait assagie. J’avais passé la journée à décharger des camions près du Pont de Saint-Ouen et la soirée à déambuler dans les rues hostiles en attendant l’ouverture de l’asile. Impatient de me jeter sur une paillasse, j’étais passé deux ou trois fois devant la file serrée où de pauvres bougres aussi crevés que moi allaient pouvoir poser leur sac quelques heures. Je scrutai les visages plus marqués que les murs d’une prison, tâchant d’y reconnaître un avec qui j’avais eu maille à partir. Mais au bout de quelques années de pratique de la rue, tous les gens se ressemblent. Ils portent le même masque violacé, peint par la faim, la soif, la peur et la haine. J’avais fini par entrer, sans illusion, après avoir avalé deux ou trois gorgées de vin acide pour me donner du courage. J’en avais besoin pour affronter les démons du Refuge, ces ombres qui se glissent entre les lits de camp pour vous voler le peu que vous possédez : une veste élimée, vos papiers d’identité, les photos racornies que vous gardez précieusement entre la peau et la chaussette, vos chaussures délabrées. Tout ce que vous détenez les intéresse au plus haut point, ils sont prêts à vous trancher la gorge pendant votre sommeil. Ici, la vie n’a de valeur que si vous avez quelque bien, elle ne vaut plus rien quand vos poches sont vides.
J’avais donc passé la nuit à me castagner avec un sale type plus misérable que moi. S’il avait pu vendre mon sang, il m’aurait saigné sans hésitation. Au petit matin, je me suis retrouvé sur le trottoir, faible, titubant, sans but précis, à la recherche d’un banc, d’un taillis où me dissimuler une heure ou deux.
Une chapelle m’attira irrésistiblement. La lueur opaline de la nef, le silence figé, l’alignement des prie-Dieu, les rais de lumière chargés de paillettes avaient quelque chose d’irréel et de mystérieux. Le rideau du confessionnal m’invitait à m’y réfugier. Les lieux étaient déserts, pas la moindre âme dans les travées. J’avais tant besoin de m’assoupir une heure ou deux… Je me glissai dans l’édicule et m’adossai à la paroi de bois après avoir tiré la tenture. Je m’endormis aussitôt dans la bonne odeur de bois ciré et d’encens. Ici, je ne risquais rien.
Le 10 10 2021 : Retour aux sources.
Juan avait quitté l’Espagne natale en pleine guerre civile. Son père avait tiré le mauvais numéro et devait partir combattre dans les rangs du général Franco, or cela, il ne le voulait à aucun prix. D’abord parce qu’il avait une famille nombreuse, dix enfants ne s’élèvent pas sans papa, pas en Andalousie, dans un village perdu au Sud de Grenade.
Juan était le sixième de la fratrie. Il n’était pas encore jeune homme quand, avec ses frères et ses sœurs, son père et sa mère, un vieux mulet et une charrette, il embarqua sur un chalutier près de Gibraltar pour échouer au Maroc, alors protectorat de la France. De là, il passa la frontière, et traversa l’Algérie jusqu’à Tlemcen où toute la famille trouva du travail de commis dans une ferme. À cette époque, les patrons embauchaient femme et enfants dans les exploitations. Les parents devinrent commis, ils étaient vaillants, sérieux et prirent en charge la vie de la propriété, ils dirigèrent les ouvriers indigènes et firent prospérer ces terres à l’écart de tout. Juan apprit donc l’arabe qu’il parlait couramment alors que jamais il n’apprit le Français. Un à un, les enfants quittèrent la ferme pour se disperser en Algérie et au Maroc. Juan ne vit pas l’utilité de se faire naturaliser Français, comme il en avait le droit. Pourquoi aurait-il changer sa carte d’identité alors qu’il était incapable d’entretenir le début d’une conversation dans la langue du pays d’accueil ? Le peu qu’il possédait, il l’avait gagné seul, sans aucune aide de l’État. La sécurité sociale, les allocations familiales n’existaient pas dans ces contrées. Alors, autant rester Espagnol.
Juan se maria à Adela, une descendante d’Espagnols, Dieu sait d’où elle venait, ils eurent trois filles et deux garçons dont l’aîné périt écrasé par un tombereau de foin qui s’était renversé sur lui. A Quarante ans, Juan manifesta le désir de devenir son propre maître. Il acheta quelques vaches et se construisit seul une maison à Béni-Saf, un petit port situé près de la frontière marocaine. Il vendait du lait et les fromages que son épouse moulait dans des tresses d’alfa. Ils vécurent heureux jusqu’à la révolte et les assassinats perpétrés par le Front de Libération Nationale. En juillet 1962, avec un million d’autres rapatriés, ils refirent leur vie, une nouvelle fois, en Seine-et-Oise, à Bonnières-sur-Seine, près de Mantes-la-Jolie et avec Adela, ils habitèrent tantôt chez Adèle, ma mère, ou chez sa sœur Marie.
Trop âgé pour travailler, Juan et Adela passaient leurs journées à jardiner, à jouer aux cartes avec leur gendre Camille et à parler de leur enfance en Espagne. Juan évoquait avec nostalgie son village idéalisé par le temps, sa place immense au centre de laquelle une élégante fontaine distribuait son eau aux habitants. Juan embellissait ses souvenirs de jour en jour et son paradis perdu le blessait toujours plus.
Il se désolait de mourir sans revoir son village, son puits au milieu, ses façades blanches, son ciel toujours bleu, son odeur d’agrumes. Camille décida de l’accompagner pour son dernier pèlerinage. Un été, il conduisit ses beaux-parents en Andalousie, jusqu’au hameau de leurs rêves… Un trop long voyage pour une immense désillusion. Les maisons n’étaient plus qu’un amas de ruines désertes, les toits étaient effondrés et, au milieu d’une minuscule placette ne restait plus qu’un tas de pierres, adieu le jet d’eau, adieu l’humanité, adieu les chansons des fenêtres. Juan se mit à pleurer comme un qui vient de perdre la plus belle partie de sa vie. Il répétait : impossible, ça n’a pas changé à ce point, tout est devenu si petit, misérable. Camille lui expliqua qu’aux yeux d’un enfant, tout semble plus grand.
Juan fut soudain pressé de retrouver son jardin de Bonnières-sur-Seine, avec ses nuages, ses cerisiers, des rangs de carottes, de salades et d’oignons, ses légumes qui n’avaient pas le goût de ceux de là-bas mais qu’il appréciait car c’était lui qui les avait cultivés.
Le 09 10 2021 : Le petit chef.
Il ne payait pourtant pas de mine. Il n’avait ni la carrure, ni la voix pour imposer sa loi autour de lui. Pourtant, il effrayait le personnel de son entreprise, en dépit de sa petite taille, sa calvitie, sa petite voix de fausset. On devinait une constante colère, une impatience qui bouillaient en lui, prêtes à éclater à tout moment, pour un oui ou un non.
Son autorité naturelle venue on ne sait d’où l’avait porté au poste de cadre dans le service de contrôle de la qualité. Effectivement, il contrôlait et corrigeait tout, la production des pièces, le temps de fabrication, la docilité des ouvriers et de leurs chefs d’équipe. Il évaluait non seulement leur savoir-faire, mais aussi leur tempérament, leur aptitude à comprendre rapidement, à obéir, à tenir leur place au sein de l’organisation de l’usine. Aucune tête ne devait dépasser : tous au même niveau, tous efficaces, tous silencieux. Les cabochards étaient exclus immédiatement, comme ceux qui posaient des questions, qui cherchaient à savoir le pourquoi et le comment : On ne te demande pas de comprendre, seulement d’exécuter le travail qu’on t’a assigné.
Le soir, quand il retrouvait son foyer, chacun devait son soumettre à sa dictature : c’était ainsi et pas autrement. Si tu n’est pas content, fais ta valise, bon débarras, un fainéant de moins à nourrir, je ne vais pas te courir après.
Sa pauvre épouse restait avec lui, une modeste fille qui avait quitté l’école après le certificat d’études. Il l’avait éblouie avec son assurance, son goût pour l’ouvrage bien fait, avec son ambition et même sa brutalité constante dans ses rapports humains. Elle n’avait pas envie de discuter ses ordres, elle obéissait simplement, sagement, sans se plaindre. D’ailleurs, de quoi se serait elle récriée ? Bernard lui avait toujours était fidèle, il lui confiait chaque semaine la juste somme d’argent nécessaire à l’entretien du ménage, elle n’avait rien à réfléchir ni à réclamer. Elle avait vite compris qu’il n’aimait pas les chicaneries, les doléances, les pleurnicheries, aussi, elle lui épargnait tout cela. C’est pour cela qu’il ne l’avait jamais menacée de la congédier. Il la gardait près d’elle, il savait aussi, de temps en temps, lui témoigner un peu de tendresse. Elle aurait voulu que cela durât encore longtemps mais le sort s’en mêla pour son plus grand malheur.
Un matin d’hiver, dans l’usine, une caisse de pièces métallique glissa de dessus la pile et tomba sur la tête de Bernard qui se tenait là, malencontreusement. Le paquet pesait plus d’un quintal. Les gens accoururent pour le secourir mais un secouriste déclara qu’il ne fallait surtout pas tenter de soulever la charge avant d’appeler les pompiers. Le risque de l’hémorragie était supérieur à l’espoir de le sauver. Un cariste se proposa de le délivrer avec une lève-palette. Le garçon était connu pour sa dextérité, mais personne n’osait tenter que que ce fût. S’il se réveille estropié, il nous passera un de ces savons dont nous nous souviendrons toute notre vie. Donc on l’abandonna prudemment à son sort, en laissant à d’autres la responsabilité d’intervenir pour le dégager de sa mort certaine. Les pompiers arrivèrent trois quarts d’heure plus tard, à cause de la mauvaise circulation sur le périphérique. Il était trop tard.
Aux funérailles de Bernard, la société fit livrer une gerbe, pas bien grosse car beaucoup s’abstinrent de participer. Seul le directeur présenta ses condoléances. Quand on fait le vide autour de soi à cause de son caractère de chien, il ne faut pas s’étonner de finir seul comme un chien.
Dès le lendemain, à l’heure du casse-croûte, chacun semblait préoccupé. Cette caisse, elle n’a pas pu dégringoler par l’opération du Saint-Esprit, il a bien fallu que quelqu’un l’aide une peu.
Et pourquoi pas ? C’était justement au Saint-Esprit quz l’on devait cet accident auquel chacun rêvait depuis longtemps.
Le 08 10 2021 : L’oiseau de malheur.
Dans le peuple des oiseaux, jusqu’à son apparition, tout tournait à peu près rond. Les petits s’entendaient avec les les grands, les uns se nourrissaient de graines, d’autres préféraient dévorer d’autres espèces de volatiles dépourvus de serres, moins belliqueux, plus dociles. C’était la loi de la nature établie depuis des millénaires, une règle que tous connaissaient et, avec le temps, avaient appris à accepter.
Jusqu’au jour où, sorti on ne sait d’où, un drôle de spécimen à tête d’opossum qui clamait dans la canopée qu’il fallait entièrement revoir le système sous peine de voir à brève échéance la destruction des bêtes endémiques. Il faut absolument se débarrasser des perruches, criait-il à qui voulait l’entendre ainsi qu’à ceux qui auraient préféré se boucher les oreilles. Mais il était impossible d’y échapper, l’oiseau de mauvaise augure débordait d’énergie, il surgissait de chaque arbre, de chaque fourré, partout en même temps. Son programme simplissime, à force d’être seriné, finissait par convaincre une grande partie des animaux à plumes. Les perruches venues des îles créaient un tapage insupportable, trop chamarrées, trop envahissantes, elles détruisaient les œufs des merles, des pies, des mouettes, des moineaux et il ne fallait pas être grand clerc pour deviner que, rapidement, elles finiraient par s’accaparer le royaume. Leurs couleurs de leurs parures n’étaient pas celles du commun des oiseaux, leur voix éraillée était disgracieuse, ce qui prouvait leur manque de goût, leur ignorance crasse de tout ce qui faisait la richesse des habitants des nuages. Il fallait s’en débarrasser.
Comme il semblait détenir la solution de tous les maux, quand on lui demandait comment il pensait pouvoir lutter contre ces trop nombreuses inondations qui dévastaient les champs, les forêts, les haies, emportaient les nids et les abris, il n’avait qu’une réponse : chassez les perruches et vous retrouverez la paix et l’harmonie.
À force de n’entendre qu’un seul argument, la moitié des oiseaux finirent pas le croire, ils se reconnaissaient à leur aile tendue au-dessus de leur tête, c’était leur signe de ralliement. L’autre moitié les observait, perplexe, s’interrogeant sur l’évolution de cette hystérie qui gagnait comme une lèpre. Ils dirent qu’aucune perruche n’avait jamais décoré leur blason, qu’ils n’en connaissaient aucune intimement, que cette affaire ne les concernaient pas.
Entre les deux tendances, quelques sages murmuraient qu’il fallait voir et écouter les opinions du héraut, qu’il avait peut-être raison, que ses arguments semblaient bien étayés, que sa rhétorique tenait la route et qu’il fallait bien que quelqu’un ait le courage de faire le ménage. Les envahisseurs devaient être renvoyés sur leurs terres d’origine, en Afrique ou en Asie, sous peine de leur céder la place. Quelques extrémistes évoquèrent l’urgence d’une solution plus radicale : faire la chasse aux parasites, les exterminer s’ils refusaient de quitter le pays.
Quand on fait appel à la violence, il se trouve toujours des individus prêts à obéir. Les prédateurs naturels, les rapaces, les corvidés, les hérons et les coucous s’unirent pour piller les nids, pour éradiquer le fléau décrit par l’annonceur de malheur.
Le bel équilibre naturel vola en éclats. Les cadavres jonchaient le sol, au pied des arbres. L’air était empuanti par la chair putréfiée.
Il faut achever le travail commencé, ordonnait le malfaisant. L’injonction était simple, elle occultait les autres urgences, elle concentrait l’énergie générale. Dans la confusion, d’autres espèces indigènes pâtirent de la haine qui se propageait comme un incendie. Tous les oiseaux au plumage coloré se confondaient. Les chardonnerets, les verdiers, les geais, les houppettes, les guêpiers et les martins-pêcheurs subirent l’extermination systématique.
Les couleurs qui voletaient dans les frondaisons disparurent. Le monde devint terne, triste, uniforme, silencieux. On pointa alors du doigt le gourou de l’ostracisme. Ceux-là mêmes qui l’acclamaient voulurent le juger illico pour se donner bonne conscience. Alors, harcelé à son tour, il se terra dans un trou et ne se montra plus. Il disparut, seul, honni dans l’Histoire du peuple des cieux.
Le 07 10 2021 : Les gens qui s’aiment.
Et puis les accrochages se multiplient, peut-être motivés par des petites trahisons, des déceptions. Le Prince charmant se néglige, il ne prête aucune attention à sa façon de se vêtir. Il oublie tout, les anniversaires, les jours de passage des poubelles, les échéances des factures. La Princesse se laisse aller, elle dégringole doucement de son trône, ses humeurs deviennent énervantes, on dirait qu’elle prend plaisir à titiller son compagnon. Elle s’arrange toujours pour créer un motif de dispute, le bruit et la fureur.
On approche du point de non-retour quand les algarades se font devant les amis, en public, dans la file de la caisse du supermarché, au restaurant, à propos de tout et de rien. On se demande : Mais pourquoi restent-ils ensemble ? Que sont-ils devenus ? Ça ne doit pas être facile pour leurs enfants. Quel exemple leur donnent-ils ?
Heureusement, quand l’âge a usé les dents, on ne se mord plus, on se comprend mieux. Pendant les longues nuits d’insomnie dans des lits séparés, on se dit que ce n’est pas si grave, que l’autre n’est pas aussi détestable qu’on le pensait, qu’il y a toujours du bon en chacun. Et on devient plus tolérant, plus bienveillant. L’amour s’est transformé en tendresse, tout n’est pas perdu, alors on accorde ses pas, on se soutient et quand l’un part, l’autre est perdu : Il était quand même gentil, il faut le reconnaître . Ou bien : C’était une bonne épouse, fidèle et une bonne mère. Je n’aurais pas pu trouver de meilleure compagne. Et bizarrement, on oublie les années de guerre, la mémoire ne garde que le meilleur, le plus beau, le plus précieux. Il ne reste rien des terribles tempêtes. C’est cela la vie, c’est cela l’amour. Il dure toujours… avec des petites crises, des petites pannes, les automnes et les hivers ne tuent pas, ils permettent à la nature de reconstituer ses forces.
Le 06 10 2021 : L’amour qui guérit tout.
Paule
et le docteur Philippe avaient entretenu une grande passion cachée
qui dura des décennies. C’est lui qui avait soigné ses blessures
depuis toujours. Comme elle était de constitution délicate, elle
était devenue la patiente la plus fidèle du praticien. Il avait mis
au monde les trois enfants qu’elle eut avec Joseph, un brave
artisan maçon du bourg qui s’efforça toujours de la rendre
heureuse, qui lui construisit une grande maison sur le flanc d’une
colline verdoyante, face à la montagne, qui planta des arbres dans
son jardin afin qu’elle puisse se délecter de fruits frais et
fortifiants. Mais ce fut avec le docteur qu’un jour de mélancolie,
elle croqua la pomme défendue. Il jouissait d’une solide
réputation de compétence et de probité, elle passait dans le bourg
pour une épouse et mère sérieuse. Elle affirmait qu’elle n’avait
rien à reprocher à son mari, il lui disait qu’en bon chrétien il
n’était pas prêt à détruire son foyer. Il respectait trop sa
femme et chérissait trop ses deux filles pour faire leur malheur.
Leur relation aurait pu s’éteindre dès le premier jour mais le
plaisir qu’ils tirèrent de leurs étreintes les empêcha de
rompre, ils pensèrent qu’en se montrant prudents et en gardant
jalousement le secret, ils pourraient se consoler mutuellement de la
monotonie de la vie dans une petite ville de province.
Chaque
vendredi matin régulièrement il venait l’examiner, renouvelait
son traitement pour dormir, pour digérer, pour supporter sa fatigue
et pour prévenir un accident cardiaque car ce mal avait emporté ses
deux parents.
Justement,
un vendredi de décembre, alors qu’il préparait sa trousse pour sa
première visite à domicile, le médecin reçut un appel
téléphonique alarmant de Joseph, le maçon. Celui-ci le suppliait
de passer plus tôt que d’habitude car Paule se sentait très mal.
Un énorme poids sur la poitrine l’empêchait de respirer, son bras
gauche était engourdi, ses lèvres étaient blanches. Joseph assura
qu’il accourait. Il s’enferma dans la chambre seul avec sa
patiente pendant que l’époux très agité se désolait dans le
salon. Il prodigua les premiers soins, administra une piqûre,
s’assit sur le bord du lit, caressa doucement le front de la malade
jusqu’à ce qu’elle retrouve son souffle. Elle sourit enfin,
pleine de reconnaissance. Éperdu de joie, il lui offrit un long
baiser et, comme on était vendredi et qu’elle ne risquait plus
rien, il ne dérogea pas à son rituel. Il s’aimèrent comme
jamais, délicatement, tendrement. Le sang irrigua de nouveau les
joues de la miraculée.
_
Va chercher mon mari, il doit être affreusement inquiet,
demanda-t-elle à son amant qui lui obéit aussitôt.
Quand
Joseph entra dans la chambre conjugale, il retrouva son épouse
assise tranquillement sur le bord du lit, souriante, plus fraîche
qu’une rose du matin.
Reconnaissant,
Joseph serra le docteur contre sa puissante poitrine.
_
Comment avez-vous réussi ce miracle ? demanda Joseph.
_
Je n’ai fait que mon métier, répondit modestement Philippe .
_
Vous avez fait un miracle, vous êtes le Bon-Dieu de ma famille. Ne
bougez pas s’il vous plaît. Je vais chercher mon vieux papa et ma
maman qui sont au bout de leur vie, faites pour eux ce vous avez fait
pour Paule et je vous en serai redevable pendant le reste de ma vie.
Après
cette aventure, Philippe fit vraiment partie de la maisonnée, il
resta le médecin traitant de Joseph, de Paule, de leurs enfants et
des ascendants qu’il maintint en bonne santé même après sa
retraite. Il avait trouvé la panacée, l’amour qui guérit tout,
cependant il ne pouvait pas dispenser à tort et à travers ce remède
universel, à tous les malades du bourg.
Le 05 10 2021 : Une vie rêvée sous le soleil des Antilles.
Félix aurait pu faire comme tant d’autres et gagner sa vie en convoyant de la drogue entre la Guyane et la Martinique, cela lui aurait permis de mieux gagner sa vie. Ce travail n’était pas plus difficile que celui qui le nourrissait depuis plusieurs années, ni plus risqué. Mais il se répétait souvent qu’il n’aurait jamais rien fait pour alourdir sa conscience. Il ne supportait pas l’idée de mettre la vie d’autrui dans la balance. On les voyait trop, ces jeunes zombis qui hantaient les parcs et les plages retirées pour s’injecter du poison dans les veines. Avec leurs yeux jaunes, leurs tremblements, leurs balbutiements, ils semblaient à l’article de la mort.
On a du mal à admettre que l’avenir des jeunes est compromis sous le soleil et les cocotiers. Les emplois y sont rares, peu rémunérés, et bien souvent sans garantie ni protection sociale. Félix avait hérité d’une petite barque à moteur, il avait tenté de se faire pêcheur mais il s’était vite heurté à l’opposition de ceux qui ne voulaient pas partager leur clientèle ni leurs bons coins où jeter les filets. Une ou deux fois, on l’avait menacé de le faire basculer par-dessus bord, il avait dormi dans son canot pour le défendre des malveillants. Il avait fini par trouver ce trafic de rhum, un réseau d’hommes organisés dont il ne savait presque rien, qui assuraient sa protection. Ils avaient leurs circuits, leurs fournisseurs et Félix ne s’occupait que du transport des caisses. Une fois par semaine, jamais le même jour, il chargeait les caisses dans son bateau, les dissimulait sous des filets et, à la nuit tombante, prenait le large comme un simple artisan pêcheur. Son embarcation était trop modeste pour attirer l’attention des douaniers, jamais il ne se fit contrôler. Au petit matin, il accostait dans une anse discrète près de Sainte-Anne ou de Sainte-Lucie, confiait sa douzaine de colis à des camionneurs qui l’attendaient et l’affaire était faite. On lui remettait son salaire qu’il portait aussitôt à la banque car il projetait d’ouvrir un garage, de se marier, de fonder une famille et de vivre honnêtement. L’avenir était tout tracé pour lui, il avait jeté son dévolu sur une jeune fille qui lui avait fait comprendre qu’elle ne lui serait pas hostile, elle était un peu jeune pour lui mais il n’était pas pressé. Chaque jour le rapprochait de la concrétisation de ses plans.
Il redoutait les mois de décembre et de janvier, quand les nuées de touristes envahissaient la mer des caraïbes, avec leurs voiliers de locations, leurs scooters des mers et leurs pilotes curieux qui s’approchaient trop souvent de lui.
Il entretenait régulièrement son embarcation et ne connut jamais d’avarie avant ce 16 mars où le moteur toussota et tomba en panne au large de l’île de Saint-Vincent. Il tenta vainement de réparer mais le courant le poussait vers la côte. Il se laissa porter, mais sans moteur, ses efforts ne faisaient que retarder l’échouage. Il voyait les rochers grossir dangereusement tandis que la houle le précipitait vers un naufrage inévitable.
Quand les déferlantes se formèrent au milieu d’un archipel d’écueils, il s’accrocha des deux mains aux bords de sa barque et se mit à prier. Le Bon-Dieu dut l’entendre car dans le terrible choc, livré à la fureur des vagues son bateau explosa littéralement. Son chargement s’éparpilla tout autour. Félix se jeta à l’eau et nagea jusqu’à une petite plage abritée par la barrière de rochers. Avant que le ressac ne les emporte au loin, une à une, il récupéra les caisses de rhum et les entreposa dans une grotte épargnée par la marée haute. L’îlet ne mesurait pas plus de cent mètres de longueur et cinquante de largeur. Les parages présentaient quelques dangers de naufrage et les bateaux se tenaient à distance.
Habitué à l’océan, il s’organisa comme Robinson Crusoé. Les quelques amandiers vénéneux et les figuiers de barbarie ne lui seraient d’aucun secours. De plus, il ne trouva aucune source, si ce n’est une petite réserve d’eau de pluie accumulée dans une cuvette de pierre noire. Pas de quoi tenir des mois. Heureusement, il put récupérer un lambeau de filet dans les débris de son embarcation pour pêcher quelques poissons.
Il s’organisa un semblant de vie, il sombra dans un semi-coma dès le lendemain de son naufrage. Il songea immédiatement à lancer des SOS à la mer et pour cela, il avait besoin de vider ses bouteilles de rhum. Il se mit donc à boire, il décollait les étiquettes au dos desquelles il réclamait de l’aide en donnant sa position. Ses premiers essais se soldèrent par des échecs quand les flacons se brisèrent sur la barrière de roches. Il ne se désespéra pas pour autant et il but aussitôt une autre pour un nouveau appel au secours. Il était ivre dès le matin et passait ses journées à vomir les quantités de vieux rhum qu’il avait ingurgitées. Il était incapable de compter les jours, ou peut-être les mois qu’il passa sur ce minuscule morceau de terre.
Un jour pourtant, il distingua sur le miroir de l’océan étal, le canot à moteur de la Police maritime. Hébété, il observa les silhouettes de ses sauveteurs qui semblaient danser vers lui. On le secourut. On l’embarqua sur une solide vedette et on l’emmena vers Fort-de-France où on l’enferma dans une cellule, on l’interrogea sur ses activités. Il demanda aux policiers s’ils avaient recueilli un de ses messages, on lui répondit qu’ils avaient simplement remonté le fil des bouteilles qui flottaient sur l’océan comme les pierres du Petit-Poucet.
Il effectua une peine de deux années de prison pendant lesquelles il suivit des cours de comptabilité. Il préféra cette voie à celle de l’enseignement d’un métier de la mer.
Il obtint son diplôme et on lui procura un emploi assez bien payé. Il put épouser Gloria, la jeune-fille qu’il espérait. Ils vécurent quelque temps en Martinique puis ils traversèrent l’Atlantique pour habiter à Bondy où, par concours, il trouva un emploi à La Poste. Chaque année, avec sa femme et son garçon, ils vont passer Noël sous le soleil de Martinique.
La belle vie !
Le 04 10 2021 : Mangez des pommes.
Un à un, Maurice avait vu partir tous les êtres qu’il avait aimés. Il était le dernier survivant, le dernier des Mohicans, comme il aimait s’appeler.
Avec la disparition de Marthe, son épouse, il avait aussi perdu la notion du jour et de la nuit, il avait vu le déclin de ses forces et le goût de vivre. Il se réveillait chaque matin avant le soleil et se chauffait un grand bol de café noir dans lequel il trempait une épaisse tartine de pain de campagne beurrée.
Sa solitude ne le rendait pas vraiment malheureux, il admit très vite que c’était un mal inévitable infligé par le temps, au même titre que les douleurs aux jambes, les brûlures d’estomac quand il épiçait trop ses plats, et ce sommeil qui le surprenait dès qu’il s’installait devant le téléviseur pour Questions pour un champion qu’il ne ratait jamais. Il n’avait jamais réussi à donner la moindre réponse. Il était ignorant de l’histoire des rois, du nom des vedettes de la chanson ou du cinéma, des capitales et des fleuves. Son univers familier se limitait à la petite ferme héritée de ses parents, les quelques champs qui l’entouraient, son potager, ses serres de plastique, son poulailler et son clapier dont Marthe avait toujours pris soin, jusqu’à son dernier jour.
Après son petit déjeuner, il remplissait l’écuelle du chat gris, le Grisou, qui avait élu domicile sous sa tonnelle. puis il s’avançait devant son portail pour jeter un coup d’œil à son domaine. Il vérifiait que les rôdeurs n’avaient pas arraché ses potirons et ses blettes, que le vent n’avait pas dévasté ses tunnels. Enfin, il considérait les arbres qui bordaient l’allée : des prunes quetsches, une reine-Claude, une mirabelle dont Marthe préparait des confitures chaque année. Entre deux fruitiers, il remarqua un vide qui lui pinçait le cœur depuis des années. Dans le temps, un pommier donnait ses fruits rouges à cet endroit, jusqu’au jour où un grand mistral le brisa comme une allumette. Il se promit longtemps de le remplacer mais l’énergie lui faisait défaut chaque jour davantage.
Ce matin d’automne, il s’ébroua de sa torpeur. Il fallait à tout prix creuser le trou et planter un pommier rouge. La coopérative en vendait de nouvelles variétés en conteneurs. La Gala, la Pink-Lady, une bonne demi-douzaine de sortes.
Il rassembla son courage et prépara le trou qu’il garnit de terreau mélangé à la terre extraite, de fumure qui devait reposer une quinzaine de jours.
Deux semaines plus tard, il transplanta son arbre après l’avoir praliné et combla le puits. Quand il eut tassé le sol, il pensa qu’il n’aurait peut-être pas le loisir de goûter à ses pommes. Il sentait en lui sourdre une révolte confuse, un sentiment d’injustice. Le sort devait lui prêter assez de vie pour profiter un peu de son travail.
Il ne changea rien à son rituel, le café, l’écuelle du chat, l’inspection de ses biens. Simplement, il y ajoutait les soins prodigués à son pommier qu’il traitait au purin d’orties, qu’il pinçait au printemps, qu’il arrosait les soirs d’été ou de grand vent. Il lui semblait qu’il prenait soin d’un enfant, d’un frère. Il s’identifiait à son arbre qu’il voyait grandir bravement.
La première floraison promit une belle récolte, la plantation en conteneur avait parfaitement réussi. Maurice évalua qu’il pouvait espérer deux ou trois kilos de fruits, ce qui n’était pas si mal pour un début.
Chaque jour, il notait la croissance des pommes, il se désola quand les merles picorèrent les fleurs roses mais se consola en songeant que la nature était ainsi faite et il faut bien que vivent toutes les créatures. Son attention se monopolisait sur son arbre qu’il cajolait et chouchoutait.
Il en croqua le premier fruit encore aigrelet vers la mi septembre. Il craignait que cette trop belle récolte ne fatiguât son protégé, qui, avec ses boules pourpres, avait des airs d’arbre de Noël.
Il étala ses pommes sur une planche de la cave et s’en délecta jusqu’à la fin du mois de février.
Son attention s’était un peu détournée de sa propre santé. Il souffrait moins, marchait mieux, il s’était trouvé une nouvelle utilité.
Aujourd’hui, il approche son 90ème anniversaire d’un pied ferme, il est persuadé de vivre aussi longtemps que son pommier lui donnera des pommes.
Le 03 10 2021 : Montparnasse 19.
À cette époque, les artistes se bourraient dans le faubourg où la Tour éponyme ne montait pas encore sur ses grands chevaux, bourrée d’amiante. L’absinthe n’y était pas absente et ravageait le cerveau des peintres. Un génie infortuné venu de Livourne, Amadeo Modigliani, Maudit Gliani, peignait des femmes vêtues de noir, aux yeux vides, au regard impavide. Amadeo signifie Aimé de Dieu. Cruelle dérision du sort. Comment peut-on donner ce prénom à un enfant qui ne vécut que trente-cinq ans, éternel écorché vif ? En 1957, le cinéaste Jacques Becker lui redonna vie. Gérard Philipe joua son rôle, pas drôle, cet Italien séducteur qui eut du vin et des femmes, plus qu’il n’en voulait, trop pour être heureux. En ces temps-là, peindre ou écrire, créer n’était pas un cadeau. La création s’opérait dans la souffrance. Verlaine, Rimbaud, Van Gogh, Baudelaire et tant d’autres, aujourd’hui disparus, en ont fourni la preuve vivante . Je me demande si Dieu, le créateur suprême n’a pas lui aussi succombé à la folie. Il est peut-être enfermé dans quelque clinique, ce qui expliquerait son silence désespérant de désespoir.
Notre héros qui se considérait comme un zéro, autant dire un pas-grand-chose, traînait sa misère dans les rues sombres du quartier, en quête d’une bouteille d’alcool, de haschich ou d’un opium à fumer, d’un sombre paradis artificiel où il sombrait. Sombre, malade, affaibli, il arrivait à peine à porter son ombre, sa colère. Malheureux de semer le malheur autour de lui, de faire le malheur de celle qu’il aimait, Jeanne Hébuterne qui se suicida au lendemain de sa mort en se jetant du cinquième étage. Heureusement que la célèbre Tour n’était pas construite !
Leur fille, Jeanne Modigliani fut recueillie par sa tante maternelle à Livourne et n’eut de cesse que de faire connaître l’œuvre de son père.
Quel écrivain à l’esprit torturé aurait osé imaginer un destin plus tragique ? On lui aurait ri au nez. Cependant, il existe quelqu’un qui ose tout là-haut, on peut lui faire confiance pour concevoir les pires cruautés. Méfiez-vous de Lui. On sait trop ce qu’il est capable de perpétrer.
Le 02 10 2021 : Le Robinson perdu.
Ludo pilotait son voilier en plein océan Indien. Il avait laissé derrière lui Madagascar, les Seychelles et s’apprêtait à filer vers les Maldives, à tribord. Sous le ciel de plomb, le mât de son catamaran griffait le sommet des vagues. Les alizés le poussaient à 10 nœuds, sans brutalité, avec bienveillance. Il connaissait le parcours qu’il avait effectué une bonne dizaine de fois, seul ou en équipage. Il n’y avait qu’à se laisser porter gentiment. Un luxe apprécié après les épreuves du Cap de Bonne-Espérance et ses vents contraires.
Il pouvait enfin souffler. Il profitait du calme retrouvé pour jeter un coup d’œil à la carte, pour se rassurer bien qu’il ne fût pas très inquiet, mais en mer, on ne sait jamais. Il suffit d’un courant dérivant, d’une brise inhabituelle pour se voir entraîné hors de la route. Mais ce jour-là, pas de danger, les éléments étaient favorables.
Le jeune homme s’était mis sur pilotage automatique. Il inspecta le bateau, vérifia les cabestans, les élingues, les boutes. Le brave voilier avait bien tenu le coup. Ludo ne l’avait jamais négligé et pendant chaque escale, il le bichonnait, le grattait, le peignait, l’inspectait de fond en comble.
Appuyé au garde-corps, il admirait l’océan. Naturellement, il cherchait des yeux une vie, le dos d’un dauphin, le vol d’un exocet, le plongeon d’un oiseau de mer. Et là-bas, au loin, il devina une ligne brune inhabituelle au ras de l’horizon. Impossible, cette émergence n’avait pas pu surgir depuis son dernier passage, six mois auparavant. D’ailleurs le liseret vert-sombre qui la coiffait témoignait d’une végétation abondante. Comment cet archipel avait-il pu échapper aux géographes, aux satellites, aux moyens techniques ? C’était incompréhensible. Encore une fois, il alluma l’écran pour contrôler sa position, il ne s’était pas écarté de sa route. Il fallait voir de ses propres yeux, découvrir le mystère de ces îlots. Il ne s’agissait pas d’un volcan, la terre ne montrait aucune hauteur, absolument plate, horizontale, uniforme. En s’en approchant, il s’engagea dans un dédale de plus en plus serré de cailloux, de rochers, d’écueils menaçants. L’île principale ne mesurait guère plus de trois cents mètres et présentait une côte de petits escarpements difficiles à accoster. Il la contourna par le Sud et découvrit, à l’arrière une sorte de valleuse qui abritait une plage de sable brun. Il jeta l’ancre à cinquante brasses de la rive et attendit, prudent. Après une vingtaine de minutes, il distingua la forme confuse d’un homme vêtu de feuillages et de lambeaux de voile. Il portait un chapeau de feuilles tressées et s’appuyait sur une canne noueuse pour avancer sans se tordre les pieds sur les pierres. Ludo pensa immédiatement à un Robinson Crusoé, le naufragé. Ses cheveux poisseux touchaient sa taille et une barbe fournie couvrait sa poitrine. Pauvre homme, pensa tout haut le skipper, il n’a vu personne depuis des mois, peut-être des années, hors de la civilisation. Hé ! Ho ! Hurla-t-il de toutes ses forces. Le malheureux se tourna brusquement vers lui et leva son bout de bois au-dessus de sa tête en criant quelque phrase inintelligible. Ludo se dit que le misérable avait peut-être sombré dans la folie, à force de solitude et que la perspective d’un sauvetage lui altérait la raison.
La profondeur n’excédait pas le mètre. Il fourra quelques vivres dans un sac étanche, sauta dans l’eau cristalline et progressa vers l’inconnu qui arpentait la plage frénétiquement, hurlant et rugissant. Quand il ne fut qu’à quelques pas de lui, Ludo tendit ses mains pour l’apaiser, le rassurer. Tout va bien, le cauchemar est terminé, vous allez pouvoir rentrer chez vous, retrouver votre famille. Calmez-vous, calmez-vous, Monsieur, s’il vous plaît.
Quand il fut à proximité, le garçon entrouvrit ses bras pour le serrer contre lui mais l’homme en perdition, plus rapide qu’un serpent, leva son gourdin et l’abattit sur le crâne de son sauveur.
_ Du large, brailla-t-il, vous n’avez pas le droit d’entrer chez moi, c’est une propriété privée, c’est Mon île !
Le navigateur s’écroula, face contre terre, foudroyé. La marée montante l’ensevelit et l’emporta, loin de cet échantillon d’inhumanité.
Le 01 10 2021 : Un hiver à Nancy.
Nancy, hiver 1962, je n’ai pas connu cette ville splendide dans les meilleures conditions. Ce septembre-là et les cinq mois qui suivirent furent les pires de l’année. Un froid à fendre le cœur des bidasses qui se retrouvaient dans la caserne Kléber d’Essey-les-Nancy pour accomplir deux mois de classes, suivis de deux autres pour le premier peloton et deux autres pour le second peloton pour prétendre accéder un jour aux galons de sergent. C’était beaucoup demander à quelqu’un que huit années de guerre avaient définitivement dégoûté de l’armée. Je passai septembre et octobre dans les bâtiments en dur, dans des chambrées de trente gaillards pleins de vigueur, soumis à l’indispensable enseignement du maniement d’armes et de la chanson belliqueuse. Je m’exerçais à la marche, au parcours du combattant et aux épuisantes gardes de nuit où nous protégions des lieux que personne ne nous enviait.
Cette nuit-là, on m’avait désigné une guérite en parpaings nus avec une ouverture sans fenêtre où le gel avait établi ses quartiers d’hiver. Trois longues heures à battre la semelle pour tenter de puiser un peu de chaleur. Un vent glacé balayait notre abri et les malheureux jeunes gens qui rêvaient d’un ailleurs plus hospitalier. Deux ou trois patrouilles en jeep marquèrent une halte devant moi, quelqu’un hurlait dans l’obscurité quelque nom barbare que je distinguais à peine: Ton bled ! (Tomblaine), Vent d’œuf ! (Vandoeuvre), Maxou ! (Laxou). Des lieux que je ne connaissais pas, dont je n’avais jamais entendu parler dans mes Yvelines qui venaient de remplacer le vieux département de Seine et Oise, à l’autre bout du monde.
Il était plus de trois heures, le froid sec s’insinuait dans mes vêtements, je grelottais sur cette route perdue au milieu d’un désert. Les phares d’un véhicule se précipitaient sur moi, misérable sentinelle plantée sur le chemin, les bras écartés pour faire de mon corps un dérisoire barrage. Au dernier moment, je dus exécuter une esquive digne de El Cordobes face au taureau pour échapper à la furie du véhicule.
C’est fou ce qui peut traverser l’esprit d’un jeune confronté à telle situation. Les idées défilent comme un wagon de marchandises. Les consignes étaient claires : l’intrus n’avait pas marqué de temps d’arrêt, il ne s’était pas présenté et n’avait pas indiqué la destination de sa mission. Évidemment, je n’avais pas tiré pour plusieurs raisons. Un quart d’heure aurait été nécessaire pour dégager mes munitions de leur protection. Que faire ? Aucun moyen d’alerter le bâtiment de la garde situé à une demi-heure de marche. Pas de téléphone et je ne pouvais raisonnablement pas déserter ma guérite sous peine d’abandon de poste. J’aurais dû tirer, même en l’air, j’aurais dû tirer dans les pneus de la Jeep. J’aurais dû. Cela me vaudra une sanction, à coup sûr. Je ne suis pas près de partir en permission. J’aurai droit au cachot. Au conseil de guerre, peut-être.
Pourtant, si j’avais pu tirer, j’aurais probablement blessé ou tué un homme. Il s’en était fallu d’un rien. Cet accès retiré de la caserne de l’Alat d’Essey-les-Nancy aurait fait de moi un meurtrier, un assassin peut-être.
Je terminai ma garde dans une inquiétude folle, la gorge serrée, en apnée, le cœur au galop. Dans le camion qui récupérait les sentinelles au petit matin, personne n’évoqua la tragique aventure que je venais de vivre. Je remis mon fusil, mes munitions dans leur étui après avoir présenté les armes au drapeau et courus me glisser entre mes draps humides, dans la baraque de tôle ondulée équipée d’un poêle à boulets de charbon que l’on devait éteindre au réveil.
Bien plus tard, un ami très cher me fit apprécier la place Stanislas, les arts-nouveaux, la mirabelle et la bergamote. Beaucoup de splendeur et de douceur !
Le 30 09 2021 : Pas drôle !
Assis sur son lit, l’oreille collée au combiné du téléphone, Corentin écoutait son ami Jacques qui s’efforçait de le consoler. Le garçon ne faisait qu’écouter, il ne pouvait pas et ne songeait même pas à se justifier. Il se laissait sermonner depuis déjà quarante minutes, sans discontinuer. Il savait qu’il n’y avait rien à faire d’autre, c’était une fatalité, la croix qu’il devait porter. La méritait-il ? Il ne se posait pas la question. C’était un fait, les autres le percevaient ainsi, comme un type triste, incapable d’être heureux, un dépressif chronique inaccessible à la moindre joie, au plus court instant de gaieté.
D’une voix monocorde, Jacques lui dressait un exposé en règle de son point de vue dûment étayé par de savantes citations : Ne faites pas comme l’Araigne qui transforme toutes les viandes en venin, lui récitait-il. Il avait trouvé cette injonction adaptée en exergue du roman d’Henri Troyat. L’Araigne, prix Goncourt 1938.
_ Ce n’est pas possible, tu attires le malheur. À force de te croire maudit, ton quotidien devient un enfer. Achète une baguette de pain, elle ne sera pas assez ou trop cuite, ta voiture neuve tombera sans cesse en panne, ton voisin t’empêche de dormir et ta petite amie t’abreuve de reproches, à se demander pourquoi elle ne s’est pas enfuie dès le premier jour. Tu devrais être content, elle est toujours là, attentive et patiente alors que tu lui fais vivre un purgatoire. Est-ce que je t’aurais pu te choisir pour meilleur ami si je ne t’avais connu sur les bancs de la maternelle ? Sans blague, Corentin, tu n’es pas drôle.
En entendant ce reproche mille fois ressassé, exaspéré, il raccrocha violemment. Il se sentait entouré de brutes insensibles à sa détresse. Était-ce de sa faute si l’humanité se montrait si véhémente, si égoïste, si impavide ?
Alors qu’il attendait, qu’il espérait que Jacques le rappelât pour lui présenter des excuses, le téléphone sonna à nouveau. C’était Rose. La pauvre Rose, comme l’appelait Jacques.
_ Presque une heure que je compose ton numéro en vain. Je ne parviens pas à te joindre. Tu ne me comprends pas. Tu ne comprends pas mon inquiétude : Tu étais dans un état lamentable en me quittant hier soir. Tu me semblais au bout du rouleau, complètement désespéré, persécuté par la terre entière. Je me faisais un sang d’encre. J’imaginais le pire. Enfin, réveille-toi, mon chéri, tu n’es pas Jésus Christ, tu ne dois pas te considérer comme une victime universelle, personne ne t’en veut à ce point. Ce que tu crois subir, beaucoup aimeraient le vivre. Regarde un peu autour de toi, sans trop chercher, tu verras de vrais malheureux, de pauvres gens dont on ne sait pas comment ils peuvent endurer une telle misère. Réveille-toi, Corentin, tout va bien pour toi, à leurs yeux, tu es un privilégié. Tu gémis parce que tu as cassé la clé de ton pavillon dans la serrure, mais des tas familles vivent dans la rue. Non décidément, Corentin, tu n’es pas drôle.
Et voilà les grands mots lâchés. Il n’en pouvait plus. Il appuya sur le bouton rouge pour interrompre la litanie de critiques. Il ne voulait plus être dérangé par cette meute de chiens. Il se sentait fourbu. Ces condamnations permanentes l’avaient épuisé dès le lever.
Il resta un moment immobile, plongé dans la contemplation de son téléphone posé sur ses genoux, puis il déposa un nouveau message d’accueil : Merci pour tout, mes amis, je me rends à vos raisons, j’ai enfin décidé d’être drôle, une fois pour toutes.
Il descendit pour déverrouiller sa porte d’entrée et monta dans le grenier, coupé du monde.
Une feuille de papier pliée dépassait de sa poche. Rose la lut pendant que Jacques composait le 15 sur son portable.
Adieu à vous tous, j’espère que vous noterez mes efforts. Vous conviendrez que j’ai mis le paquet pour être enfin drôle.
Le 29 09 2021 : Pluie d’automne.
Les larmes d’une femme égarée sur une lande stérile.
Avec le mauvais compagnon de voyage,
Une errance sans but ni raison, sans bagage.
Son ventre est un cimetière, une tombe,
Une promesse de vie qui succombe,
La brutalité d’un gâchis,
D’une vie de mal en pis,
C’est le mot jamais avec sa violence,
C’est la décevante réalité d’une vaine existence,
Les espoirs piétinés, l’habitude du renoncement,
Les rêves qui ont mis les voiles résolument,
Sur une flaque d’eau pour une croisière
Au petit cours. Son océan est une rivière,
Sa richesse est une misère,
C’est une robe à fleurs froissée, défraîchie,
Une noce anéantie. Une vie
Jetée aux quatre vents
Comme on en voit souvent.
La pluie d’automne,
C’est une mélopée atone,
Un chant monotone,
Une douleur qui étonne,
Une femme qui frissonne.
Le 28 09 2021 : Un garçon secret.
Certains disaient de Claude que c’était un garçon secret. D’autres affirmaient qu’il s’agissait d’un taiseux, d’autres assuraient qu’il parlait peu par timidité, d’autres encore croyaient savoir que le garçon restait mutique parce qu’il n’avait tout simplement rien à dire, qu’il était un peu simplet, juste assez pour comprendre qu’il avait tout intérêt à se taire s’il voulait éviter de paraître ridicule.
Quand ses amis tentaient d’abattre ses réticences pour lui arracher une opinion, un avis sur un fait anodin, Claude se contentait de sourire. Oh vous savez, moi…
Eh bien non, personne ne connaissait rien de lui, il ne vivait en ville que depuis cinq ans, au hasard d’une mutation professionnelle. Dans la société qui l’employait, il s’était rendu indispensable par sa disponibilité. Sans rechigner, il remplaçait un collègue dans l’embarras, restait le soir pour avancer un dossier sans rien demander en échange.Mais il trouvait toujours un prétexte pour décliner l’invitation de la bande de jeunes célibataires, hommes ou femmes, qui se réunissaient le samedi ou le dimanche pour une sortie sur la côte normande ou dans quelque restaurant de la capitale. C’était comme s’il refusait de lier toute nouvelle relation avec une jeune fille.
Tous s’accordaient à dire cependant qu’il souffrait d’un manque d’affection, ce qui dévastait le peu de confiance qu’il pouvait avoir en lui-même. Aussi, compatissants, ils lui présentaient des candidates et le poussaient dans les bras des demoiselles qui lui témoignaient un peu d’attention ou d’empathie. Mais rien n’y faisait, il restait hermétique et se refermait davantage.
J’eus l’occasion de recueillir ses confidences, un soir de grève des transports alors que je le raccompagnai chez lui. Il devait traverser une grave crise pour se confier si abondamment à moi. Il m’invita à prendre un verre dans son appartement près des Buttes Chaumont. Dans l’ascenseur, il se montrait assez fébrile tandis qu’il cherchait à me dissimuler son trouble. Je le voyais écartelé entre le besoin de se préserver et celui de partager ses soucis. Je fis mine de ne rien remarquer et le laissai prendre l’initiative de la conversation. Il me servit un Martini et en vida trois alors que je n’avais pas encore bu la moitié du vin. Ses mains tremblaient un peu, ses yeux cherchaient au sol un point où s’appuyer. Ça va demandai-je, inquiet de le voir s’effondrer. Il me répondit en secouant la tête et m’exposa ce qui le tourmentait. Il s’interrompait régulièrement pour inspirer une grande goulée d’air avant de reprendre son récit : Je n’ai pas toujours été seul, m’expliqua-t-il, j’ai même vécu quatre ans avec une compagne. Je pensais que tout allait bien entre nous, je me disais qu’après tout ce temps, nous ne risquions plus rien, je commençais à envisager de faire un enfant, d’acheter une maison pour nous établir définitivement et quand j’évoquais le projet d’un mariage, elle n’émettait aucune objection, elle était toujours d’accord avec moi. Et puis un jour, je ne sais pas pourquoi, elle n’est pas rentrée. Tu imagines mon angoisse, je l’ai cherchée partout, dans les hôpitaux, à la police, à la gendarmerie. On m’a répondu qu’elle était majeure et qu’on n’y pouvait rien. Des centaines de personnes disparaissent ainsi chaque année en France pour changer de vie, de cadre, de région ou de pays. Livré à moi-même, désespéré, j’ai enquêté auprès de ses amies, de sa famille, de ses collègues dans l’école où elle exerçait. Rien, elle s’était volatilisée. Je l’aimais comme un fou et je croyais qu’elle m’aimait en retour. J’ai tout imaginé, l’accident, la mauvaise rencontre, le rôdeur sadique, le prédateur, tout. Je passais mon temps libre à fouiller mes réseaux sociaux. Et je l’ai localisée deux ans plus tard sur le site d’une chorale dans le Jura. Elle adorait chanter. Je l’ai reconnue sur une photo de groupe. Elle souriait, elle semblait heureuse. Sur le cartouche, je lus un nom qui n’était pas le sien, précédé de Madame. Elle avait refait sa vie, elle en avait épousé un autre. Je me suis demandé si elle le connaissait avant de me quitter ou si elle l’avait rencontré plus tard. Je ne peux pas m’en remettre, elle est toujours là, dit-il en me désignant successivement sa tête et son cœur.
_ Oublie-la, lui ai-je suggéré. Tu ne peux pas passer ta vie à la haïr. C’est malsain, il faut avancer. Elle t’a fait assez de mal.
_ Mais non, je suis en paix maintenant, je l’aime toujours, certainement plus qu’avant. Elle ne peut plus me faire souffrir. Sans le vouloir, elle m’a laissé le souvenir d’un grand amour très précieux. Je ne veux pas compromettre tout cela avec une autre aventure. Je ne veux plus aimer quelqu’un d’autre. Je garde mon rêve qui me remplit amplement, il me procure une forme de bonheur inaltérable, indestructible.
J’abandonnai l’idée de le convaincre, persuadé que son illusion finirait par le détruire.
Le 27 09 2021 : Le rêveur au long cours.
Bruno n’aurait jamais choisi de vivre loin d’un port. Le sort l’avait gâté car il habitait à Concarneau. Chaque jour, il parcourait les remparts d’où il contemplait le large, dès l’aurore jusqu’au coucher du soleil. Il s’imaginait au milieu de l’océan, Atlantique ou Pacifique, peu importait, pourvu d’être accompagné par les dauphins et les baleines. Il songeait aux bélugas surgissant entre les icebergs, le froid et la glace ne l’effrayaient pas.
Il suivait les travaux de carénage des voiliers montés sur les béquilles en attendant leurs mâts et leurs voiles. Parfois même, pour se distraire, il allait gratter les balanes accrochées à la coque des bateaux. Elles avaient traversé les mers en passagers clandestins pour échouer sur le quai du port breton. La vie dont il avait toujours rêvé.
Après sa balade quotidienne, tous les sens remplis d’odeurs familières, il allait prendre un deuxième café au bar du port. Là, il écoutait les conversations des pêcheurs, les hommes des chalutiers qui s’échangeaient des informations sur l’état des réserves de poissons, le nombre et la taille des espèces, le spot, la proximité des concurrents européens avec qui les relations traversaient des crises constantes. Tout cela intéressait Bruno mais ce qu’il venait chercher en priorité, c’est le skipper convoyeur de voiliers, le baroudeur solitaire ou habitué à travailler avec un équipier, quand la taille du bateau l’exigeait. Il se délectait des récits de tempête, des luttes contre les éléments, des peurs, des blessures, des avaries qui leur donnaient l’occasion de se mesurer à la nature.
Souvent, il tombait sur les taiseux, des bourrus peu habitués à la discussion, à leur propre voix, qui ne supportaient pas la compagnie humaine. Mais parfois aussi, il rencontrait des types sympathiques, prêts au partage, des hommes qui n’avaient entendu que le beuglement du vent pendant des semaines ou des mois et que la conversation rassurait, elle leur prouvait qu’ils étaient encore vivants et qu’ils ne s’étaient pas encore définitivement coupés du monde. Bruno les écoutait comme on lit un journal de bord. Il appréciait leurs silences, leur colère, leurs larmes parfois et leurs émois d’enfants. Il surprenait une émotion inattendue chez ces gaillards qui avait si souvent côtoyé la mort, la solitude, le doute d’en réchapper et la joie de distinguer au loin, le contour ténu d’une côte, un bout de continent, un port hérissé de mâts, la masse d’une forêt, un phare dressé comme un index levé défiant le ciel.
Ce jour- là, il partagea une heure avec un coureur d’océans qui lui confia comment il avait pris le virus sur un Tiwal, un Bug, un Vaurien, un Optimist puis sur un Dériveur avant de pouvoir, enfin s’engager dans une traversée en double avec un convoyeur sur un catamaran de quatorze mètres appartenant à un Écossais qui l’avait mis sur cales dans un carénage du côté de Sanary.
Le 26 09 2021 : Une histoire simple.
Il était son phare planté au large. Son œil de cyclope la gardait de l’étoc,
Il était son soleil qui jetait sur chaque matin, des vagues de couleurs,
Douleurs.
Elle voyait par ses yeux, elle ne respirait que son air, elle se gavait de son rire,
Martyre,
Sans lui, elle n’existait pas, sans lui elle n’était rien, elle n’avait jamais été,
Vanité.
Un instant, il avait posé son regard sur elle,
Une aile,
Et elle l’avait aimé, avec lui et par lui elle s’était saoulée de vie,
Folie,
Rien n’avait plus d’importance que lui, le Seul, le Tout, sa Plénitude.
Solitude.
Elle se traîna à ses pieds, elle pleura, elle voulut mourir quand il se détourna,
Un drap tendu sur son avenir, sur son passé, sur ses rêves et sur son cœur,
Malheur.
La vie est ainsi faite, que les rêves nous envolent, nous affolent,
Nous désolent,
Et nous broient quand nous pensions avoir atteint les cieux,
Adieu.
Ce qu’elle avait adoré, ce qu’elle avait chéri, ce qu’elle avait béni,
Maudit.
Alors, elle vécut parce qu’il faut bien vivre,
Suivre,
Un chemin désolé qui se perd, qui erre, qui sans phare,
S’égare.
On ne se relève pas, on n’espère pas
Trépas,
Avec ancré le poison,
Trahison.
On subit, on endure
On dure.
On dure.
On dure.
Le 25 09 2021 : L’étoile, Julien et papy Maurice.
Depuis toujours, les parents de Julien allaient passer quinze jours dans la maison familiale des Cévennes. Une vieille demeure que gardait un vieil homme, Papy Maurice, le père de la maman de Julien. L’enfant n’y avait jamais vu d’animaux, si ce n’est Bella, l’épagneul noir et blanc, pourtant, les murs épais de pierres nues conservaient un odeur d’ovins. Cela tenait-il à la sueur de l’unique occupant survivant ou à la terre qui affirmait le monde paysan ?
Le soir, après la soupe, le gamin et son grand-père s’installaient sur des chaises basses, devant la façade exposée à l’Est. Venait toujours le moment où ils se plongeaient dans la contemplation des étoiles dont le grand-père pouvait citer le nom sans se tromper.
De retour à Paris, Julien ne manquait pas de se mettre à sa fenêtre pour chercher son étoile dans le ciel. La pollution lumineuse et les toitures, les cheminées de la capitale rendaient le ciel moins lisible. Certaines nuits, les étoiles semblaient s’éparpiller comme un troupeau effrayé par un loup. Son étoile s’absentait pendant une semaine entière mais il finissait toujours par la retrouver, elle s’était simplement réfugiée ailleurs.
Longtemps, chaque soir l’enfant bavarda avec son Papy, comme pendant ces nuits dans la ferme près du Vigan.
Le 24 09 2021 : La colère.
Je ne résisterai pas à l’envie de vous raconter cette histoire vraie qui arriva à l’un de mes collègues dessinateur dans un grand bureau d’études dans le quartier de La Défense, au milieu des années 1970. Ce garçon réputé comme un bon camarade, enjoué, serviable, délégué syndical se mit dans un pétrin inextricable, sottement et cette aventure aurait pu lui coûter sa place de chef de groupe.
Le 23 09 2021 : L’automne.
L’automne, ce n’est pas qu’un mot, ce n’est pas qu’une saison, c’est la plainte, douce et monotone d’un vieil homme qui s’étonne d’être encore en vie quand ses forces l’abandonnent.
C’est le souvenir cruel d’un chant d’oiseau qui a déserté notre jardin comme une amie infidèle, comme une amante félonne.
C’est une mer couleur de plomb où rien ne détonne, où aucune promesse ne bourgeonne. Les arbres se cramponnent et dressent leurs bras décharnés vers un horizon repeint en jaune.
C’est une longue attente, un tunnel où les vents fanfaronnent, où la bise claironne, où l’hiver nous guette et nous espionne.
C’est un temps suspendu, c’est une gorgone échevelée, une chimère, c’est l’esquisse brouillonne d’un purgatoire annoncé.
C’est un bouquet fané, des anémones séchées jetées sur le marbre couleur carbone d’une tombe envahie par un lierre qui frissonne.
C’est les premiers derniers vers d’une élégie qu’un vieux moine chantonne, le feulement d’une lionne blessée, les larmes d’une madone, un mendiant qui marmonne, c’est un pécheur à qui personne ne pardonne, c’est une nonne qui ânonne une prière à laquelle elle ne croit plus. C’est une tristesse qui violone, une mélancolie qui bastonne.
C’est une aube pâlichonne qui ne ressemble plus à rien. Une faux émoussée qui moissonne une herbe maigrichonne. Un espoir qui s’étiole, un écrivain qui griffonne, un muet qui s’époumone en silence. Le silence qui nous harponne.
L’automne, c’est la mort qui claironne devant les murs de Jéricho.
C’est ce que l’on ne devrait jamais connaître, c’est la sanction que le diable perfectionne, le venin qui empoisonne, doucement, sans brutalité il nous questionne et nos réponses nous désarçonnent, nous mettent à terre, nous laissent atones, nous ensevelissent sous des tonnes de remords, de regrets. On nous verrouille les portes d’un avenir radieux. On prend nos rêves les plus fous, on les refaçonne, on les emprisonne, on les ordonne. Et notre raison déraisonne, on nous reprend ce qu’on nous donne, on nous impose la perspective d’un hiver qui grogne et ronchonne.
Le 22 09 2021 : L’enfer du numérique : le labyrinthe.
Quoi que vous touchiez aujourd’hui pour bénéficier des choses simples auxquelles vous avez droit, il faut vous armer d’une patience surhumaine. La moindre démarche relève du parcours du combattant.
Il y a vingt ans, si votre télévision tombait en panne, si vous ne pouviez plus accéder aux programmes, vous appeliez simplement un numéro 01… et vous entriez aussitôt en communication avec un technicien qui vous donnait les informations nécessaires au rétablissement de la situation. Aujourd’hui, si cette mésaventure vous arrive, vous aurez à vous connecter à un espace client, muni de votre identifiant et de votre mot de passe… si vous les retrouvez car aujourd’hui, ces deux éléments sont indispensables avec chacun de vos fournisseurs : les ventes en ligne, les impôts, EDF, l’eau, les services de livraison à domicile, la sécurité sociale rebaptisée Améli, les banques, vos abonnements divers etc. Vous ne pourrez même pas prendre rendez-vous avec un médecin ni obtenir les résultats de votre analyse de sang sans ces codes informatiques
Quand vous aurez trouvé votre identifiant et votre sésame, vous accéderez peut-être,à votre espace client. Croyez-vous que vous y trouverez un interlocuteur ? Vous ne pourrez obtenir qu’un renseignement stéréotypé de la part d’un mystérieux forum sur lequel votre cas ne figure pas. Heureusement, vous avez la possibilité d’appeler un numéro surtaxé au tarif de 0,35€ la minute et vous attendrez plus de cinq minutes avant d’avoir un technicien qui vous demandera aimablement de patienter pour lui permettre de consulter votre dossier et le temps défilera à prix d’or. Le temps, c’est de l’argent… qui tombe dans leur poche.
Imaginez qu’avant d’entrer dans un magasin, on vous fasse payer une sorte de droit de douane pour franchir le seuil. Dans un monde humain, normalement, un client qui ne peut pas bénéficier du service pour lequel il débourse, devrait pouvoir le signaler et voir sa demande prise en compte sans se voir surtaxé ni subir de double peine.
Finalement, on me propose de remplacer le matériel alors que, pour avoir tenté d’intervertir deux décodeurs j’ai vérifié que cela ne dépendait pas du matériel mais des perpétuelles mises à jour qui ne font qu’aggraver les problèmes.
Par chance, j’ai encore toute ma tête et, depuis le temps, je suis habitué à ces multiples incidents techniques. Je dois en résoudre au moins dix en une année.
Je me demande comment font les papys ou les mamies qui ne sont pas formés à internet. Le monde doit leur sembler pareil à un champ de manœuvres où une embûche les attend à chaque pas. Un enfer numérique, un combat virtuel et permanent, une société brutale comme ces jeux parsemés de cadavres et d’explosions.
J’en viens à regretter le temps de mon enfance, quand les enfants n’avaient ni smartphone, ni tablette, et nos jouets fonctionnaient sans piles. Et pourtant, nous ne nous ennuyions pas. Nous trouvions toujours quelqu’un à qui parler, un ami que l’on ne craignait pas de déranger, nous lisions. Sans participer à des clubs de sport, de danse ou de musique, nos jeudis nous paraissaient courts. Les enfants que nous étions en savaient beaucoup moins sur la vie que ceux d’aujourd’hui. Sans Google, sans moteurs de recherche, nous étions préparés à affronter la vie sans aide, sans l’informatique, sans les datas, sans tutoriels et notre vocabulaire se passait bien de tout ce jargon puisé dans le lexique anglais. On ne likait pas, on ne buguait pas, on ne followait pas, on ignorait les updates, les resets, on vivait simplement, ignorant d’une modernité superflue, mais HEUREUX !
Le 21 09 2021 : Les meurtris.
Si la vie avait suivi une logique, elle n’aurait jamais mis ces deux-là l’un sur la route de l’autre. Rien de bon n’avait de chance de naître de leur rencontre. Pour s’ouvrir au monde et accueillir un sentiment commun, il faut espérer un peu, un minimum, il faut attendre quelque chose de l’inconnu et être prêt à lui donner en retour une miette de ce qu’il attend, un peu de lumière, un rayon de soleil.
Mais Marielle et Ludo avaient été meurtris par l’existence, ils étaient comme une terre brûlée en profondeur, calcinée et aucune graine ne pouvait y germer. Une désolation, une dévastation d’où seules la haine, la peur, la solitude ne pouvaient naître.
Elle n’avait pas encore ouvert les yeux que sa mère l’avait déposée au tourniquet de l’hospice. Les bonnes sœurs l’avaient nourrie jusqu’à ce qu’elle apprenne à se tenir debout et à marcher. Sans tendresse ni bienveillance, rien. Les religieuses la placèrent dans une ferme où elle garda des chèvres pendant son enfance. Ses maîtres se contentaient de lui servir la même soupe le midi et le soir. Ils ne s’inquiétèrent pas de lui procurer ni affection, ni instruction. Peu à peu, ils la transformèrent en animal sauvage, comme ces chiens retenus par une chaîne qui gardent une propriété. Marielle ne parlait à personne, personne ne lui adressait la parole mais chacun, le patron, ses deux fils dont le cadet avait son âge, prenaient d’elle ce qu’ils voulaient sans rien lui demander, sans se soucier de ce qu’elle ressentait. À seize ans, elle abandonna ses chèvres dans le vallon et s’enfuit vers le Nord , au hasard, sans savoir où elle allait.
Elle mendia, vola, séjourna plusieurs fois en prison. Elle travailla dans des usines où elle manipulait des pièces qui lui entaillaient les doigts. Elle dormit dans des maisons en ruines, dans des granges, dans la paille, elle se construisit même un nid de branches dans un arbre où elle passa un printemps, un été et un automne. Une vie d’enfant sauvage.
Ludovic connut une expérience semblable, l’abandon, le placement en famille, l’esclavage, les coups, la fuite, l’errance dans la grande vie. La première guerre mondiale le cueillit et l’emporta tel qu’il était à dix-huit ans : ignorant de tout, illettré, farouche, batailleur, cogneur, craint de tous ceux qui l’approchait. Il ne s’engagea pas pour défendre son pays, aucune conviction patriotique ne l’animait, il ne cherchait pas non plus l’aventure ou la découverte des horizons nouveaux. Confusément, dans sa tête, il voulait mourir, certain qu’il ne serait jamais comme les autres, que le sort lui refuserait le minimum auquel il avait aspiré. La chance lui ferma aussi l’issue qu’il souhaitait. Pire, sur la Somme, un éclat d’obus lui fracassa le fémur et pour éviter la gangrène, les chirurgiens lui raccourcirent la jambe. Le Bon-Dieu se vengeait puisqu’il avait voulu mourir au lieu d’accepter humblement sa destinée. Il se révoltait contre la volonté divine comme il s’était battu contre son prochain. Non, il n’adorait pas le Seigneur. Non, il ne vénérait pas ses parents. Non, il ne remerciait personne car son pain quotidien, il le gagnait avec ses poings, de haute lutte.
Et il rencontra Marielle dans un hôpital de campagne où on l’avait mis, en attendant qu’il guérisse ou qu’il meure.
Mettez en présence deux loups chassés par la horde : ils se sauteront immédiatement à la gorge. Ils commencèrent par une indifférence prudente, puis ils se raillèrent, il l’appelait La garce, sans raison, pour le plaisir de nuire, pour l’atteindre. Elle ripostait à chaque provocation, elle résistait si bien qu’il commença à la voir différemment. Il se reconnut en elle et elle s’adoucit quelque peu.
Ils se racontèrent leur passé sans s’apitoyer, ce n’était pas dans leur caractère. Ils se parlaient simplement, ils échangeaient. Eux qui étaient habitués à voler, à prendre de force pour survivre, ils découvrirent un autre mode de vie. Leurs bavardages cautérisaient leurs plaies, leur faisaient entrevoir une forme de paix, de tranquillité. Bientôt, ils ne purent plus se passer l’un de l’autre. Quand une tâche les séparaient, ils se sentaient perdus. Ils n’évoquaient pas l’amour, ils ignoraient même le sens de ce mot. Pour eux, l’amour représentait un danger, un piège sale et avilissant.
Quand il fut assez valide pour quitter l’hôpital, appuyé sur des béquilles, elle le suivit avec son balluchon qui contenait toute sa fortune : des papiers d’identité, une pointe de tissu indien, un caillou en forme de cœur, un canif, un mouchoir de dentelle dérobé à une passante sur le marché et une fleur séchée serrée entre les pages d’un carnet de chansons qu’elle ne put jamais lire mais qu’elle espérait pouvoir déchiffrer un jour.
Avec le peu d’argent gagné à la guerre, ils louèrent une chambre dans une petit hôtel du Nord de la capitale. Il trouva un emploi dans un abattoir, elle entra comme servante dans une maison de maître au pied de la Butte Montmartre.
Il serait faux d’affirmer que désormais leur relation ne traversa aucune crise. Ils savaient qu’ils devaient vivre ensemble. Obligés, c’était cela ou périr de leurs blessures. Ils apprivoisèrent leur colère, ils s’apprivoisèrent et finirent par s’aimer vraiment. Ils eurent deux enfants, Marie et Luc. Ils étaient très fiers de ne pas les avoir abandonnés comme ils avaient eux-mêmes été confiés à l’orphelinat. Ils furent étonnés de leur capacité à aimer. En commençant à s’aimer, ils apprirent à accepter les autres, leurs semblables. Ils en furent les premiers surpris, enfin, ils recevaient leur premier cadeau de la vie. Ils ne se sentaient plus du tout meurtris.
Le 20 09 2021 : L’ange qui sautait à la corde.
Un petit garçon d’une dizaine d’années observait une fillette qui sautait à la corde sur le trottoir, devant chez lui. Fernand était né au début des années 30, la gamine était un peu plus jeune. Ils ne se connaissaient pas et ils ignoraient qu’ils ne se reverraient jamais. Et pourtant, il la regardait, fasciné. Elle bondissait, légère accrochée au ciel bleu. Ses longs cheveux blonds flottaient dans son dos, elle levait les yeux comme si elle cherchait une inspiration divine. Elle tournait vite la corde qui dessinait une sphère protectrice autour d’elle. À chaque saut, sa robe formait une corolle au-dessus de ses genoux. Il se gavait de cette vision féerique qui était le plus beau spectacle auquel il avait jamais assisté. L’image de cet ange suspendu entre la terre et l’azur resterait gravée, à coup sûr, dans son esprit et dans son cœur, à jamais.
Tout au long de sa vie, il l’invoquait lorsqu’il se sentait triste, quand quelque événement le bouleversait, quand il traversait une période heureuse, il regrettait qu’elle ne fut pas près de lui. La scène qui l’avait tant impressionné n’avait duré que quelques minutes. Elle avait posé à plat ses pieds sur le sol, le temps d’enrouler la corde autour de sa taille et avait disparu en courant comme s’envolent les hirondelles. Aussitôt, la rue, la ville, le monde lui semblèrent désespérément vides.
Il avait un peu plus de vingt ans, il portait un fusil posé dans le creux de ses bras. Il avançait parmi les tamaris roses, l’air brûlant palpitait comme le flanc d’un cheval fourbu. La menace était partout, il se sentait inutile et fragile dans une guerre stupide et assassine, de l’autre côté de la Méditerranée. Il grelottait de peur. Il aurait voulu jeter son arme au loin et se mettre à courir longtemps pour échapper à la fin promise, loin de cette embuscade où nul ne savait qui chassait et qui était la proie. Alors, il pensa à l’ange blond de son enfance, elle bondissait parmi les arbres, légère. Il s’efforça de s’amarrer à ce souvenir idyllique et l’air revint dans ses poumons, les battements s’apaisèrent dans sa poitrine. Ce n’était pas pour cette fois.
Deux ans plus tard, sous la nef d’une église remplie de cantique et de musique d’orgues, il s’apprêtait à unir sa vie à celle d’une femme qu’il aimait. Des dizaines d’amis se serraient dans les rangs. Il ressentit une sourde appréhension, moins angoissante que celle qui l’avait étreint sous les tamaris d’Algérie, c’était tout différent, mais l’enjeu était tout aussi important. Il engageait sa vie. Allait-il se montrer à la hauteur, saurait-il prendre soin de cette jeune femme qui lui avait accordé sa confiance ? Entre les colonnes, il aperçut son ange blond qui flottait sous la voûte. Cela ne dura que quelques secondes mais c’était un signal. Il pouvait avancer, rasséréné. Elle lui avait délivré un message optimiste.
Bien des années plus tard, au début du siècle suivant, il arrivait au terme de son existence qu’il avait menée dans la paix. Il avait eu deux enfants, deux filles. La vie s’était passée comme dans une ronde, il avait rencontré des êtres qu’il avait aimés ou détestés, il avait mené sa vie du milieux possible, honorablement, jusqu’à ce jour où le manège s’arrêta de tourner. Au beau milieu de la sa promenade quotidienne, ses jambes se dérobèrent sous lui, il glissa au sol, sans forces. Devant lui, à moins de six mètres, il perçut le clap-clap de semelles qui battaient le trottoir. Sa vue se troublait mais il accueillit avec joie l’ange blond qui oscillait comme un lys sous la brise. Ses longs cheveux blonds lui dessinaient une auréole. Il était prêt à la suivre jusqu’au bout du monde et au-delà, dans un autre univers où elle avait préparé sa venue. Il avait accepté de partir, puisqu’elle était venue le chercher. Et il partit, résolument heureux.
Le 19 09 2021 : Trois prières d’un athée.
Si j’étais croyant et si j’avais quelque espoir fou que quelqu’un veille sur nous et nous entende du haut de son Olympe, voilà ce que je demanderais :
Tout d’abord qu’Il appelle ses anges-gardiens à ne pas quitter des yeux nos enfants et nos petits-enfants. Ce sont les plus vulnérables et c’est pourtant à eux que reviendra la charge de réparer nos erreurs et de réinventer un monde meilleur.
Puisqu’il ne coûte rien de demander, puisqu’il y a peu de chances qu’on nous écoute, je demanderais qu’Il mette un terme à la folie de ses créatures. Au besoin, qu’Il corrige l’ouvrage et fasse le tri dans sa bergerie. Qu’il revoie sa copie. Depuis que le monde est monde, on ne cesse de perpétrer des assassinats. Caïn tue Abel, on s’égorge, on s’extermine, on se torture, on s’emprisonne, on se décapite, à coup de bombes, de gaz, de famine, de génocide. Mais quel est ce créateur de l’humanité qui répand le fruit de son imagination sans assurer le service après-vente ? Quand un industriel met une voiture sur le marché, il est tenu de reprendre sa marchandise défectueuse et de la remplacer illico. Pourquoi serait-Il dispensé de la loi commerciale ? Pour qui se prend-Il ?
Je sais, les théologies qui ont réponse à tout nous expliquent qu’Il nous laisse notre libre-arbitre. Belle invention que ce libre arbitre. Est-ce au nom de ce libre-arbitre accordé par le Tout-puissant que des Founiret, des Dutroux et autres tueurs d’enfants s’octroient la liberté de supprimer le seul refuge de la pureté encore possible ici-bas ? L’enfance innocente.
Enfin, je demanderais qu’il détourne son regard de nous, qu’il cesse enfin d’exiger notre adoration, qu’il cesse de nous mettre à l’épreuve car l’Homme est assez fou pour s’égarer seul. Pas besoin de ses injonctions. Les plus grands carnages ont eu lieu en son nom, pour le défendre. Pourquoi lui, réputé Tout-puissant aurait besoin de nous pour asseoir son pouvoir ? S’il sait tout, s’il voit tout, s’il peut tout alors que nous sommes pitoyablement aveugles, stupides, démunis, il devrait raisonnablement être en capacité dé résoudre ses problèmes et les nôtres, sans nous impliquer dans des guerres vaines.
Voilà ce que je Le prierais de nous accorder ? Ça ne doit pas lui être impossible, n’est-ce pas ?
Le 18 09 2021 : La belle âme.
Pierre habitait un coquet logement de trois pièces et cuisine situé dans un immeuble récent donnant sur le jardin public où dès le printemps, fleurissaient les lilas, les magnolias grandifloras, les hortensias et les glycines qui couraient sur les pergolas et les clématites posées comme de grands papillons sur le mur d’enceinte. Sous les marronniers, des enfants jouaient, des promeneurs s’attardaient sur les bancs jusqu’à la tombée de la nuit. Une vie intense et paisible qui le rassurait et le détournait de sa douleur.
Après le décès de son épouse, il avait sombré dans une tristesse morbide qui avait duré plusieurs mois. Après une période de deuil raisonnable, son médecin et ses voisins lui conseillèrent de déménager. D’abord, la grande maison familiale dans le quartier résidentiel devenait trop difficile à entretenir seul, trop loin de tout pour faire les courses sans véhicule. À soixante dix-huit ans, il ne fallut pas beaucoup argumenter pour le persuader. Il plaça prudemment le fruit de la vente à la banque, on ne sait jamais, et, le cœur léger, il changea ses habitudes avec l’impression de commencer une autre vie.
Il arrangea son nouveau nid avec goût, se débarrassa des vieilleries accumulées pendant des années de mariage, il accrocha aux murs les tableaux qu’il préférait, il fit faire de nouveaux rideaux et voilages, il installa un fauteuil sur le balcon, disposa le portrait de Claudette sur le napperon du guéridon, à côté du téléviseur. Les tapis élimés, les suspension hors d’âge, les bibelots et la vitrine qui les contenait partirent avec les encombrants. Curieusement, il ne lui fut pas pénible de se défaire de ce qui avait été le décor de sa vie pendant si longtemps.
La mairie le contacta pour lui annoncer que grâce au programme social mis en œuvre, il pouvait désormais bénéficier d’une jeune aide ménagère deux fois pas semaine. On pouvait aussi lui livrer ses repas de midi chaque jour, pour une somme modique.
Lui qui avait passé son existence à trimer dans une imprimerie, il entrevit une vieillesse reposante. Avec gratitude, il accepta la proposition de la commune et prit date pour une première visite le mardi suivant.
Entre Émaëlle et lui, le courant passa immédiatement. Elle rayonnait par une nature joyeuse sans exubérance. Elle prépara les repas, le déjeuner et le dîner. Les petits problèmes du quotidien étaient résolus dans l’heure, elle triait son courrier, et, avant de le quitter, elle se chargeait souvent de ses tâches administratives. Elle allait chercher ses analyses au laboratoire, prenait ses rendez-vous chez le jeune médecin qui l’avait accepté et sur le chemin du retour, elle faisait quelques provisions pour la semaine.
En travaillant, elle chantait doucement des airs qu’il avait entendus sur le transistor, ou sur l’autoradio, des tubes des années 70 et 80. Si elle terminait son ménage plus tôt, elle rejoignait Pierre sur le balcon pour souffler un peu et observer les flâneurs du parc. Elle appréciait le spectacle, parfois, elle lui racontait ce qu’elle savait des gens qu’elle avait côtoyés à un moment ou à un autre dans le cadre de son travail. Pas pour médire ou cancaner, mais pour le faire réagir. Cette pauvre Madame, elle a fait preuve de beaucoup de courage. Son mari s’est tué dans son taxi et pendant onze ans, elle a dû faire face, avec ses trois enfants qui ont bien réussi leurs études. Elle mérite bien de se reposer maintenant. Une ou deux fois, elle se confia. C’est ainsi qu’il apprit qu’enfant née sous X, elle avait passé ses dix-huit premières années de foyer en famille d’accueil, seule.
Elle s’intéressait aussi à Pierre. Elle l’interrogeait à propos de son enfance, de ses parents, de sa ville natale, de son service militaire. Il répondait spontanément. Cela lui faisait du bien d’évoquer ses vieux souvenirs. Jamais personne ne s’était ainsi intéressé à lui. Il n’avait pas eu d’enfants, aussi, il avait pris l’habitude de garder tout en lui. Ils bavardaient ainsi longuement pendant parfois deux heures. Il lui arrivait de s’endormir, apaisé et quand il se réveillait, elle était souvent partie en silence, elle lui avait étendu un plaid sur les jambes pour éviter qu’il ne prît froid. Parfois aussi, elle s’était assoupie sur le fauteuil voisin. Elle n’était pas pressée de rentrer, personne ne l’attendait.
_ Pourquoi ne retournez-vous pas chez vous ? Vous savez que je vous fais confiance. Je ne compte pas le temps que vous passez ici.
Elle répondait qu’elle aimait bien se reposer quelques instants auprès de lui. Elle était seule, sans mari. Les autres lui avaient toujours fait peur, elle s’en méfiait. Il lui tenait compagnie et elle l’appréciait. Au cours du premier hiver, alors que la neige était tombée pendant des heures, il lui demanda de rester dormir dans la deuxième chambre car les trottoirs représentaient un danger. Elle consentit mais ne renouvela qu’en de très rares occasions. Par contre, elle accepta de déjeuner avec lui chaque midi. C’est au cours d’un de ces repas qu’il l’informa de son souhait de l’adopter.
_ Je n’ai pas de parent, pas de frère ni de neveu ou nièce. Tout ce que je possède partira à l’État. Autant que ce cela vous profite.
Émaëlle commença par protester mais, sur le balcon il insista tant qu’elle finit par accepter.
_ Pourquoi pas, vous vous être montrée aussi gentille et attentionnée qu’une fille. Cela n’enlèvera rien à personne. J’aurais bien légué mes biens à une association caritative. Dieu sait qui en aurait hérité. Je vous connais et j’ai appris à vous aimer. Vous le méritez mieux que quiconque. S’il m’arrive quelque chose, il vous faudra partir ailleurs alors que vous vous sentez bien ici, sur le balcon, devant ce jardin public, ce serait dommage. Émaëlle, vous êtes une belle âme, ce sera ma façon de vous remercier.
Finalement, il l’adopta, il la coucha sur son testament. Il vécut encore sept ans et finit dans son lit, sereinement. Elle s’occupa de lui jusqu’à la fin, comme l’aurait fait une enfant.
Une belle âme.
Le 17 09 2021 : Où va-t-on ?
Je me sens de moins en moins concerné à mesure que mes forces m’abandonnent et pourtant, je ne cesse pas de m’étonner de la tournure que prend le monde.
Bien sûr, ce qui me saute aux yeux, d’abord, c’est l’état de mon pays. Je ne parle pas de la place qu’il tient dans le monde, de sa force économique, de son influence culturelle, mais de l’état d’esprit de nos concitoyens. Sans doute, tout cela est lié mais comme je veux bien croire que nous sommes encore en démocratie et que des gens que nous avons démocratiquement élus ont à cœur de redorer notre blason, je précise que je suis consterné par l’éclatement de notre unité nationale. Quelle que soit la décision prise par nos gouvernants, il se trouvera une bonne moitié de la population pour hurler, protester, dénoncer et défiler. L’autre moitié cache sa face dans ses mains. S’il s’agit du traitement de la pandémie on pointe du doigt le retard dans le décisions, puis les mesures elles-mêmes, la confusion des annonces. Chacun convient qu’au début de 2020, on ignorait tout de ce maudit virus. Les experts se contredisaient à longueur de bulletins télévisés : le masque ne servait à rien, le virus devait circuler pour saturer et s’éteindre de sa belle mort selon les bêtises dont on nous gavait. La version des Britanniques appuyés par un éminent professeur Marseillais, ce n’était qu’une affaire de quelques mois. Certes, ces effets d’annonce étaient risqués et prématurés, mais il fallait absolument rassurer le peuple et alimenter les chaînes d’information. Je le confesse, je n’ai pas dérogé à la règle et, comme les autres, je zappais de LCI à BFMTV, de France-Info à Euronews. Aujourd’hui, nous mettons tout en doute, on nous a tant raconté de fadaises que nous en sommes gavés et suspicieux. Le passe sanitaire n’est-il pas un moyen de contrôler notre vie privée ? Cette rafale de prescriptions de doses n’engraisse-t-elle pas les laboratoires ? La quatrième injection est-elle vraiment indispensable ? Ne tue-t-elle pas plus qu’elle ne protège ? Ne rend-elle pas nos enfants stériles ? Pourquoi nous avoir certifié que l’Astra-Zénéca valait le Pfizer ou le Jansen ? Ne s’est-on pas un peu trop précipité après avoir trop traîné ? Aujourd’hui, on n’ose plus demander qui est vacciné, les pro-vaccin font profil bas, on mélange les anti-passe, les anti-vaccin et les opposants au gouvernement. Dans le tohu-bohu, on ne sait plus qui défend quoi.
Nous sommes résolument entrés dans une ère de discorde et d’individualisme.
J’ai rêvé d’un autre monde chantait un groupe de rock. Nous ne reconnaissons plus celui dans lequel nous vivons. Les réseaux sociaux sont loi. Puisque la Justice est si lente, ils condamnent et punissent dans l’immédiat, avec tous les excès et les drames qui s’ensuivent. Le temps de la réflexion est passé.
Qu’un conflit se déclare à l’autre bout du monde, il se trouve aussitôt une demi-douzaine d’observateurs ou de philosophes de service pour nous dire ce qu’il faut en penser. Au nom de la Liberté d’expression, tout le monde sait tout sur tout et peut le crier sur les antennes. Trop, c’est trop. Je voudrais le silence, le calme, pour que l’information ne se transforme pas en mots d’ordres, pour ne plus entendre les mêmes arguments formatés par les crânes d’œufs des cellules de codification de langage. La ficelle est trop grosse, cela se voit immédiatement quand dix personnalités d’un même bord répètent le même assemblage de mots comme une antienne. Cela ne trompe pas. Nous faisons le deuil de la spontanéité, de la vérité.
J’ai bien conscience qu’en étalant ma constatation, je grossis les rangs des contestataires de tout poil. Alors ?
Alors, pour respecter ma logique j’aurais dû me taire. Le silence des agneaux. Heureux les aveugles qui ne voient pas la déchéance du monde !
Une dernière question cependant ? Les yeux et la bouche fermés, où va-t-on, sinon droit à la catastrophe ?
Le 16 09 2021 : Un beau couple...
Dès le début de leur histoire, elle avait ressenti chez lui comme un manque, une frustration, une douleur secrète qu’il ne voulait pas partager.
Léa et Fabien s’aimaient beaucoup et tous leurs amis les citaient en exemple. Il formaient ce qu’on a coutume d’appeler un beau couple.
Tout allait bien pour eux. Chacun occupait un poste à responsabilité qui leur assurait de belles perspectives de carrière, ils avaient évité les difficultés rencontrées par la plupart des ménages de leur âge, ils avaient acquis un bel appartement dans le XVème arrondissement. Ils passaient leurs vacances d’été dans la maison des Cévennes que leur confiaient les parents de Léa. Ils réunissaient des amis avec lesquels ils randonnaient dans la montagne et rechargeaient les batteries pour affronter l’hiver et le rythme trépidant de Paris. Tout allait pour le mieux et cela aurait pu durer encore très longtemps si la jeune femme n’avait noté de longs silences chez son amoureux. Elle n’aurait pas pu dire que c’était nouveau, il avait toujours traversé ces longs tunnels de mutisme. Secrètement, comme elle l’aimait, elle avait trouvé l’excuse de la fatigue, d’un peu de surmenage, mais la crise ne passait pas, Fabien sombrait dans ce qu’on appelait jadis mélancolie. Un mur s’était élevé entre lui et le monde. Il se retirait dans une sombre prison dont elle n’aurait su dire s’il s’agissait de tristesse, de regrets, de méditation. Il se retranchait dans une forteresse impénétrable. Inquiète, elle tentait de l’interroger, il la fixait alors, stupéfait comme s’il la découvrait et bredouillait un Rien, que veux-tu qu’il m’arrive ? Tout va bien, je t’assure…
Alors elle se posait mille questions, elle analysait leur vie commune depuis leur décision de passer ensemble le reste de leur vie.
Elle nota que s’ils étaient très proches de ses propres parents, il ne l’avait présentée à son père et à sa belle-mère que très tardivement, soit presque six mois après leur emménagement dans l’appartement. Bernard, le papa était très aimable, prévenant et s’était montré très enjoué. Laura, sa dernière épouse lui avait semblé très sympathique, elles avaient bavardé longuement de Fabien adolescent. Ensuite, le père et son fils se voyaient régulièrement une fois par trimestre et leurs rencontres étaient très cordiales bien que très ponctuelles. Chacun menait sa vie. Deux générations différentes qui se respectaient sans empiéter sur leurs intimités réciproques. Le divorce des parents expliquait sans doute cette distance entre le père et son garçon.
C’était leur mode de vie. Léa aurait volontiers franchi un pas de plus vers ses beaux-parents mais Fabien freinait quelque peu ses élans. Il trouvait toujours une excuse pour repousser une invitation. Comme elle l’aimait, elle acceptait son manque d’enthousiasme. Après tout, c’était son caractère.
C’est au retour des congés d’été que la tristesse de Fabien s’aggrava. Léa s’en ouvrit à Maelle, sa meilleure amie qui la rassura d’abord, puis, comme cela ne s’apaisait pas, elle émit l’idée que Fabien s’ennuyait et qu’il voyait peut-être une autre femme. Bien qu’elle y ait déjà songé, Léa avait repoussé immédiatement cette idée. Impossible, il ne peut pas se complaire ainsi dans le mensonge, donner le change. Autre chose le tourmente, mais quoi ?
Elle passa des nuits à envisager toutes les raisons de l’étrange comportement de Fabien. Discrètement, elle interrogea les collègues de travail de son conjoint, tous des jeunes comme eux, elle demanda si la boîte ne traversait pas des problèmes économiques, si tout allait bien, puis elle demanda si Fabien ne s’était pas rapproché plus particulièrement, d’une employée, d’une secrétaire… Mais non, personne n’avait noté rien de tel. Léa pensa que Fabien cachait bien son jeu. Si elle avait découvert plus tôt cette fourberie, elle n’aurait jamais accepté de s’unir à lui.
Elle se désespérait de ne pas réussir à le démasquer. Cela la hantait. Ce soupçon ne la quittait plus, elle y pensait jour et nuit. Sa vie devenait un enfer. Intenable.
Un soir, alors qu’il s’enferma dans la chambre dès son retour, elle cogna désespérément à la porte en hurlant.
_ Mais que t’ai-je fait ? Vas-tu enfin me dire ce qu’il se passe ? Que t’ai-je fait pour mériter cela ? Qui as-tu rencontré ? Je t’avertis, je ne veux pas être la femme de secours, je ne supporterai pas de te partager. Si tu es malheureux et que tu souhaites rester seul, je partirai sans faire d’histoire.
Il ouvrit la porte et lui tendit une enveloppe.
_ Tiens, lis, tu comprendras : mon père m’a toujours juré que ma mère l’avait abandonné pour un autre homme, qu’elle ne cherchait plus à me voir car elle portait le poids de sa culpabilité. Je pensais alors qu’elle ne voulait plus me voir mais, dans cette lettre, elle m’assure que papa interceptait les courriers qu’elle m’adressait chez lui car elle ne connaissait pas mon adresse. Il ne l’avait même pas informée que je vivais avec toi. Pas moyen de me joindre. Elle a dû enquêter longtemps pour me localiser. C’est Julien, mon ami d’enfance, qui lui dit ce que je j’étais devenu et où j’habitais.
_ C’est pour cela que tu semblais toujours absent, préoccupé ? Moi qui pensais que tu voulais me quitter ! Pourquoi ne m’en as-tu pas parlé spontanément ? J’aurais compris !
_ Te parler de quoi ? J’ignorais tout. Comment te dire que j’avais été abandonné par une mère volage ? Imagine un peu mon désarroi.
_ Que vas-tu faire maintenant ?
_ J’ai déjà fait ce que j’ai cru nécessaire. J’allais t’en avertir dès aujourd’hui, j’attendais simplement sa réponse. Je l’ai invitée pour samedi soir. Elle a accepté, j’ignore ce que nous nous dirons et j’espère de tout cœur que vous vous entendrez bien. Continue à ma faire confiance, tu verras, c’est en train de s’arranger. Je t’aime et je n’ai jamais cessé de t’aimer.
Le 15 09 2021 : Une si grande douleur.
Un enterrement de grand apparat. Tiré par deux chevaux noirs étrillés, le corbillard hippomobile grimpait la côte qui menait au cimetière. Quatre plumets ornaient les angles de la gloriette. Des monceaux de fleurs en raquettes, en gerbes et en bouquets couvraient le cercueil de chêne brun. Sur son siège, le cocher tenait les rênes de la main gauche et le fouet de la main droite. Sa cape noire bordée d’argent, coiffé par un tricorne assorti, un gilet à brocards indiquait l’importance du défunt, un noble peut-être comme l’indiquaient les chiffrees inscrits dans l’écusson des tentures de deuil installées sur les flancs du fourgon mortuaire.
D’ailleurs, cinq mètres derrière Une foule silencieuse et respectueuse avançait à pas lents, dans un silence marmoréen scandé par le martèlement des sabots. Les hommes vêtus en redingote et coiffés de chapeaux-claque ou de melons, les femmes dissimulées sous une voilette de dentelle noire semblaient sortis de L’enterrement à Ornans de Gustave Courbet.
Mais au premier rang, seul devant les autres un enfant sanglotait, secoué par une douleur immense. Il avait huit ans à peine, personne ne le tenait par la main, broyé par la solitude, par le désespoir. De temps en temps, il laissait échapper un cri : Papa !
Bouleversée par ce spectacle désolant, une passante vint à lui pour tenter, sinon de le consoler, mais de lui apporter un peu de compassion.
_ Pauvre petit, lui dit-elle, c’est un parent que tu pleures ?
_ Non madame.
_ Un ami très cher, alors ?
L’enfant secoua la tête, il ne connaissait pas celui que l’on conduisait au tombeau.
_ Alors, mon enfant, pourquoi pleures-tu ainsi ?
_ C’est mon papa qui mène les chevaux, il ne veut pas que je prenne la place à côté de lui ! J’aimerais tant apprendre à tenir les guides… Il est méchant de me refuser ça...
Le 14.09.2021 : Thomas.
Une étrange sensation, une sourde inquiétude affola son cœur. Il inspira une grande goulée d’air mais il recracha immédiatement. Il avalait un liquide gras et poisseux. Bon sang ! Il allait se noyer ! Il fallait quitter la capsule au plus vite. Une lueur ténue éclairait son espace. Il y était accoutumé, c’était sans doute la chaleur qui teintait les parois.
Il connaissait la suite de la procédure, il l’avait répétée des centaines de fois. Il n’était pas là pour rien. On l’avait choisi entre une foule de candidats parce qu’il était le meilleur. Il avait réussi toutes les épreuves précisément pour franchir cette étape. Toutes les épreuves qui avaient précédées devait le mener précisément à cet instant fatidique. Sa combinaison se vida un peu et le conduit d’air insuffla une quantité d’air suffisante pour le maintenir en vie.
Autour de lui, des objets flottaient dans l’eau et se collaient sur le verre de sa cagoule. Du papier, des débris de tissu, des morceau de plastique d’emballage. Il tenta de s’en débarrasser sans y parvenir, ses doigts étaient gourds, insensibles au toucher. Non, il devait quitter les lieux au plus vite.
Il ressentit un choc amorti qui le secoua pourtant, il était tombé en mer, plus que quelques minutes et l’habitacle allait se remplir d’eau saumâtre. Il dégagea le tuyau d’alimentation qui s’enroulait autour de son torse. L’apesanteur avait disparu, il connaissait les gestes à accomplir pour se délivrer de ce lien qui l’avait alimenté jusqu’à cet instant mais qui l’entraverait s’il ne s’en délivrait pas.
Il roula sur lui-même et put enfin mouvoir les bras. Il s’était mal positionné, il tournait le dos à l’issue qu’il devinait sous ses pieds, au bout du conduit qui ressemblait à une cheminée. Un bruit de siphon et l’eau descendit d’un coup, l’aspirant vers la lumière, au bout. C’était l’instant ou jamais. Il se laissa glisser dans la cheminée en effectuant des mouvements de reptation.
Il perçut des bruits à l’extérieur et soupira d’aise. On l’attendait, l’équipe de secours était arrivée à temps… mais la porte qui aurait dû s’ouvrir restait fermée. Il ne pouvait pas la repousser car ses bras demeuraient collés à ses hanches, comme ligotés dans une gaine. Ils auraient mieux fait de prévoir un peu plus large. Je leur dirai qu’ils devront améliorer cela, à l’avenir. Si je reste coincé dans ce goulot, c’en est fait de moi.
Heureusement, la goulotte n’était pas métallique mais en caoutchouc assez lisse, elle pouvait se dilater un peu, juste assez pour ne pas l’emprisonner dans un carcan.
Il entendit des voix à l’extérieur. On l’attendait. Pourquoi ne lui ouvrait-on pas la capsule ? Il effectua un léger mouvement de rotation des épaules et fit pression sur l’opercule avec le sommet de son crâne. Les lèvres du passage lui serraient les tempes. Il insista et sentit sur sa peau la chaleur de l’air. La lumière vive blessa ses yeux. L’équipe rentra en action. Des mains le saisirent par le menton, le cou et l’attirèrent dehors, vers le ciel, et quand il fut entièrement délivré de sa combinaison et du tuyau d’alimentation, on le posa doucement sur un matelas douillet et on le recouvrit d’un drap de survie. Une douce odeur rassurante le rassura. Il était exténué et le moindre geste lui coûtait des efforts terribles, mais il savait qu’il n’y avait pas lieu de se tourmenter, c’était passager. Il allait bientôt pouvoir marcher, se mouvoir normalement. Vivre enfin.
On l’arracha à son nid confortable, on le manipula, on le massa, on le pesa, on le dressa en vain sur ses pieds. On lui frotta la peau avec une serviette rugueuse, il sentit son sang affluer dans ses veines. Il pensa qu’on le préparait à affronter les journalistes. Des mains le soulevèrent encore. On le porta vers un homme gigantesque qui le prit délicatement dans le creux de ses bras.
_ Vous avez de la chance, Monsieur, c’est un garçon, c’est bien ce que vous vouliez, n’est-ce pas ? Comment voulez-vous l’appeler ?
_ Thomas, répondit la voix.
Le 13 09 2021 : Le temps.
Le temps : mot singulier qui s'écrit toujours avec un s, même au singulier. Car le temps est pluriel. Il constitue la préoccupation essentielle de l'Homme qui a toujours cherché à le dominer, comme il a toujours cherché à dominer les Dieux.
Diviser pour mieux régner. L'Homme a découpé le temps en ères, en siècles, en années, en heures. Vainement, car le temps ne se mesure pas. Une heure n'égale pas une heure. L'heure dans le cabinet du dentiste est beaucoup plus longue que l'heure passée auprès de l'être cher. C'est avec le temps qu'on évalue la vie ? C'est un leurre ! L'homme vit maintenant quatre-vingts ans. On lui a accordé tout ce temps. Non ! La mémoire efface les six premières années de notre existence, et les plus importantes, nos plus belles victoires, la naissance, nos premiers pas, notre premier mot, nos grandes découvertes de ce monde. Puis elle nous vole les dernières, à cause du docteur Alzheimer. Une bonne décennie nous est donc dérobée irrémédiablement, sans que nous puissions en revendiquer la propriété. Arthur Rimbaud a vécu en trente-sept ans ce que plusieurs vies ne suffiraient pas à accomplir : l'ombre, la lumière, le génie, puis l'ombre encore, et le mystère avant la mort anonyme. Le poète aux semelles de vent n'a pas gâché son temps, il a simplement perdu sa vie, comme on perd une étoile au fond de sa poche trouée.
Ainsi, nous ne maîtrisons pas le temps. On perd son temps sans espoir de le retrouver un jour. On gagne du temps que l'on ne peut pas mettre en banque pour en jouir un autre jour. La recherche du temps perdu est plus illusoire que la poursuite de la licorne. L'espace se parcourt à l'envers, on peut retourner dans son pays natal, retrouver sa maison presque intacte, pareille à celle de son enfance, mais le temps de l'enfance, cette époque bénie où tout était possible, où chacun est une promesse? Il est impossible de remonter le temps, c'est un flot impétueux qui nous entraîne irrémédiablement vers la grande mer, la grande mort, la fin des fins. Non, pas la fin des fins puisque le temps est libre, il n'appartient à personne. La fin des fins n'existe pas. Seulement notre fin, et c'est ce qui fait notre désespoir, vaniteux que nous sommes. Nos heures sont comptées avec l'étalon élastique, mais quand nous aurons épuisé notre crédit d'heures, le temps continuera pour les autres qui s'en délecteront sans nous. Injustice suprême! Alors, si le temps n'a pas de début, pas de fin, s'il est éternel, s'il domine notre mort, il est aussi fou de le mesurer que de mesurer la barbe du Bon Dieu. L'espace oui, il est à notre portée, on peut s'en acheter une parcelle et y construire sa maison, mais le temps, lui, c'est la ligne de fuite, l'inaccessible, c'est la dimension mystérieuse et divine de notre monde. Le poids des ans est le doigt puissant que Dieu pose sur nous, pour nous faire courber la tête. Parler du temps, écrire sur le temps, c'est recommencer à raconter la Genèse, et tutoyer le ciel.
Le 12 09 2021 : Sahara.
Ils avancent, l’un à la rencontre de l’autre, un duel que l’homme sait perdu d’avance. Il marche parmi les vagues formées par le dos de ses quelques chèvres. En face de lui, le monstre de dunes avale tout sur son passage.
Le jeune homme conduit son troupeau en direction du gigantesque disque couleur d’orange sanguine. Il rentre chez lui pour passer la nuit. Sa maison n’est plus à lui, elle appartient désormais au désert qui l’engloutit, aux entrailles du Sahara.
En travers sur ses épaules, il a posé sa canne, avec ses poignets accrochés dessus. Il ressemble à un crucifix planté sur le Mont Golgotha. Son chant se mêle à la stridence du vent. Ce n’est pas une chanson, c’est une plainte, un gémissement qui devient cri de colère quand il pense à Djemilla, la belle aux yeux de biche qui est partie à la ville, une ville au bord de l’océan. Elle s’était promise à lui mais elle s’est parjurée, la peur l’avait envahie comme le sable s’approprie les habitations.
Et son cri se transforme en rugissement de colère mêlé au feulement du sirocco. Il se souvient de son frère cadet qui, lui non plus, n’a pas tenu son rôle. Il a disparu après la mort du père, quand il n’avait plus rien ni personne à protéger. Son rêve le portait derrière plusieurs frontières. La dune venait d’enfoncer la porte du logis. Le sable avait pris possession de ses murs. Définitivement. La marée minérale s’installe jusqu’au moindre recoin, comme un sans-gêne.
Les chèvres avaient brouté les quelques touffes d’alfa qui hérissaient le pied de la colline mouvante, aux portes du nouveau village. C’était insuffisant. Miraculeusement, un arganier avait poussé dans les ruines du patio. Les bêtes aiment y grimper pour croquer les noix encore épaisses. On dirait des cadavres pendus aux branches.
Parfois, la voix de l’homme se cassait en sanglots que lui seul entendait. Il ne luttait plus, il abdiquait, il avait trop résisté pour rien. Peut-être, s’il avait été accompagné, s’il eût existé une seule raison de combattre les éléments, peut-être aurait-il insisté…
Le soleil a disparu derrière les dunes comme une pierre qui tombe, le ciel noir-aile-de-corbeau se constelle d’étoiles, au-dessus du toit effondré. Il pèse sur l’homme comme la dalle d’une tombe. Le désespoir maintenant, une charge terrible sur la poitrine, le ciel, le sable, la fragilité humaine. Il trouve la force de se dresser. Il se met à courir vers le Nord, laissant ses bêtes derrière lui. Sa décision s’impose : demain, il prendra la route pour la ville, pour un ailleurs incertain, loin du désert trop vorace. Il abandonnera les vestiges de sa maison à la voracité du désert. En franchissant la porte, il jette un regard à la chaise ou la mère avait coutume de prendre le frais, à la tombée de la nuit. Il hésite un instant, comme retenu par le bras. Du siège, seul le haut du dossier émerge du sable. Alors, le jeune homme se met à courir. Vite... Vite!
Le 11 09 2021 : L’éveil.
Le soleil triste revient de loin, fourbu. Dans l’air transparent vibrionnent des nuées d’insectes furieux. Le battement de leurs ailes est un rugissement, une mise en garde . Des étendards de feu se dressent dans le ciel comme de grandes orgues de lumières. C’est une vague fluorescente qui balaye l’horizon abyssal.
Le ventre des collines se couvre de fleurs insoupçonnées. Les lemmings y trouvent refuge. Des senteurs d’acacias se mêlent aux odeurs de poisson et de charogne. La moindre brindille levée projette son ombre démesurée. Le vert ressemble au bleu, tout n’est que nuances, ton sur ton, mélange de froid et de vent fou. Le blizzard a des appétits d’ogre. Il mord, il dévore, il dépèce, il découpe et disperse avec rage.
Parfois, au loin, on distingue la silhouette d’un homme qu’on croyait animal. Il est couvert de fourrure brune, il avance courbé pour perforer l’épaisseur du jour. Se peut-il que quelqu’un parvienne à vivre ici ? Il traîne une pirogue vers une berge de plomb fondu. Sa barque dessine une longue balafre sur la neige souillée. Sa fragile et dérisoire périssoire le portera au-delà des glaces, là où dorment les animaux marins et les ours. En cherchant bien dans les replis de terrain, on aperçoit une cabane de bois et de tôle gardée par des chiens enchaînés en chapelet. Leur existence est une lutte permanente pour survivre. Pour eux, l’enfer, c’est les autres.
Le soleil ne se lève pas, il ne se couche pas, il ne se reposera pas avant longtemps. Ici, un jour dure un mois, et la nuit semble durer une éternité. Le temps n’existe plus, il se mesure en lumière, en clarté, en désespoir, en impatience. Le temps est ennemi, la matinée est une fiancée qui se fait désirer, une jeune fille cruelle que l’on espère désespérément et qui s’enfuit sans cesse. Ici, on sait la signification de l’immobilité. L’attente scande le quotidien de tout ce qui vit. Ici, on ne vit pas, on survit. Ici, on n’est jamais serein, ici on reste aux aguets et chaque heure est une victoire.
Parfois, pendant la débâcle, les cheminées d’un brise-glace se faufilent entre les amas de glace, étrange spectacle d’illusions et de cauchemars.
Le manque d’air figé fait tourner les têtes. Alors, les hommes boivent pour faire cesser le vertige. Le monde n’a pas de sens. L’univers n’est que magie et sortilèges. Ici, les étoiles sont des braises incandescentes que l’on a semées dans les ténèbres.
C'est ici que l'humanité aimerait mourir.
Le 10 09 2021 : Vous avez dit pénurie ?
Depuis quelques mois, notre ère d’abondance a du plomb dans l’aile, elle a sombré dans la pénurie chronique et organisée. D’une part, des voix s’élèvent çà et là pour dénoncer des manœuvres frauduleuses. D’autre part on évoque des causes climatiques ou conjoncturelles. Mais quelque soit la raison, le résultat est évident : outre du désagrément de la privation forcée, nous devons subir une montée en flèche des prix. Selon la loi de l’offre et de la demande, si la demande est conséquente, ce qui est normal en cas de pénurie, les prix grimpent inexplicablement. Le fait de la raréfaction n’implique pas un surcoût de fabrication. À un point de la chaîne commerciale, quelqu’un profite de la situation pour se remplir les poches. C’est un phénomène très bien connu en période de guerre où le marché noir des vivres et des marchandises atteint son paroxysme. Pourtant, les poules pondent leurs œufs de la même façon, les lapins se reproduisent également et la guerre ne devrait pas entrer en ligne de compte. On dit justement que c’est pendant les conflits que les grandes fortunes prospèrent.
Aujourd’hui, le secteur médical annonce des ruptures d’approvisionnement par exemple pour les médicaments contre le cancer. C’est à dire que le cynisme commercial n’hésite pas à priver de soins des patients dans la détresse pourvu de leur faire les poches.
La méthode se généralise. À cause du climat, les récoltes de blé n’ont pas été aussi bonnes qu’on l’attendait. Qu’importe, augmentons le tarif de la farine. Du coup, le prix des produits flambe sur le marché.
Autre incongruité, la livraison des objets en plastique fabriqués principalement en Chine a du mal à suivre. Pourtant, la baisse des besoins de pétrole devrait impliquer une baisse des prix. Eh bien pas dans ce cas, c’est à dire qu’on tord le cou à la vérité pour justifier la hausse des prix. D’abord la période de Noël a toujours été favorable à l’industrie du moulage de plastique. On nous annonce que les délais de livraison seront triplés ou quadruplés. Nos têtes blondes peuvent espérer ouvrir leurs paquets au mois de mars. Pourtant logiquement, la charge des usines de fabrication étant plus légères, les commandes devraient être fabriquées plus rapidement. Allez comprendre !
Les progrès du numérique et de l’électronique engendre une hausse de consommation de métaux précieux et rares généralement produits dans le tiers-monde et dans les pays à main d’œuvre peu coûteuse : la Chine, l’Inde, l’Afrique. On ne peut donc pas arguer raisonnablement que cette pénurie a été engendrée par des conditions climatiques, par des hausses des coûts de main-d’œuvre, ou par une surexploitation des ressources minières. Encore une fois on peut soupçonner la Chine de tirer les ficelles de cette pénurie qui désorganise le secteur industriel de l’automobile, de l’électroménager, de l’informatique et des machines-outils. Nos usines de production sont mises à mal par cette pénurie organisée. Cinq mois de délai pour une voiture de tourisme.
Alors que les organismes de contrôle du commerce en tous genres se multiplient, pourquoi cette situation ? Pourquoi sommes-nous impuissants à ramener à la raison les profiteurs, les puissantes entreprises, les cartels ? Les lois du libre-échange et de la géopolitique fait des miracles.
Comme les prétextes inventés, les déclarations trompeuses, les constats erronés brouillent les cartes, nous, les payeurs, nous avons du mal à trier le faux du vrai. Et nous n’avons pas d’autre alternative que de payer le pris qu’on nous demande, ou de pratiquer le boycott. Encore faudrait-il expliquer à nos enfants qu’ils devront se passer de leur smartphone, de leur console jusqu’à se que se profile un avenir plus honnête.
Le 09 09 2021 : L’espoir enfin ?
Notre folie nous a précipités dans une pente irréversible, nous devrons payer nos erreurs au prix fort. Un peu partout dans le monde les catastrophes se succèdent pour achever la destruction que nous avions largement entamée. Avons-nous déboisé à tours de bras ? Les incendies détruisent les forêts que nous avions épargnées. Avons-nous pollué les océans et les plages où prolifèrent désormais une lèpre empoisonnée d’algues vertes ? Eh réponse, les eaux envahissent les terres et détruisent les falaises millénaires. Avons-nous creusé sans retenue dans les ressources souterraines pour y puiser les métaux précieux qui servent à élaborer des techniques ignorées il y a seulement quelques décennies, les puces, les circuits imprimés pour nos téléphones portables et nos écrans numériques. Nous nous sommes imposé des besoins superflus aujourd’hui indispensables, cela fait marcher le commerce, tourner les usines, toujours plus de gadgets, toujours plus de déchets dont nous ne savons que faire. Mais comment lutter contre la pénurie de ces ressources ?
Çà et là, de timides voix s’élèvent pour nous avertir. On les entend et on les oublie aussitôt car on ne peut pas vivre dans l’angoisse. On jette des fils entre les montagnes pour jouer les funambules, on aime se faire peur. Seulement, ces jeux dangereux n’engagent pas seulement quelque téméraires, ils compromettent simplement l’humanité. Ce n’est pas la surpêche qui vide les océans mais les nouveaux continents de déchets plastiques. Quand nous ne savons plus que faire de nos ordures, nous les jetons au fond des mers et nous transformons les abysses où toute vie est née en gigantesque cimetière marin. À Paris, régulièrement, on vide les canaux pour y découvrir des tonnes de carcasses de tôle : voitures, motos volées, appareils ménagers, mobiliers urbains. L’eau ne détache plus, elle cache nos forfaits.
Les masques qui nous protègent de la pandémie jonchent nos trottoirs et les plages. Les municipalités ne savent plus comment lutter contre cette invasion
Parviendrons-nous à nous débarrasser de notre inconséquence, de notre légèreté morbide ? Quels tribunaux, quels dieux, quelles nouvelles lois nous ramèneront à la raison ? Ce ne sera pas l’œuvre d’une ou deux voix dans le tumulte ambiant, une Greta Thunberg ne suffira pas. Sa petite mise en garde se perd dans l’avalanche des publicités alors qu’elle devrait s’ancrer dans nos consciences.
Où donc chercher l’espoir ? Cette denrée qui nous fait tant défaut ? Peut-être en nos enfants, plus raisonnables que nous. La vérité sort de la bouche des enfants, notre salut aussi.
Le 08 09 2021 : Juste un moment.
Romain était un garçon charmant et Isabelle avait beaucoup de chance d’être tombée sur lui. Ils s’étaient connus sur les bancs de la fac. Ils avaient commencé par se fréquenter en amis, puis leur relation avait évolué pendant l’été 2011. Ils avaient loué une maison dans l’arrière pays d’Antibes, ils étaient six, trois garçons et trois filles qui s’entendaient bien et formaient déjà une petite bande en cours. Ils passaient leurs journée à paresser sous les pins, au bord de la piscine. Quinze jours de rires et de chansons, Noëlle grattait la guitare, elle ne chantait pas très bien mais sa voix grave un peu éraillée avait quelque chose qui allait droit au cœur. Naturellement, ils se plaçaient côte à côte à table et lors des promenades dans les collines, ils se tenaient par la main. Les autres plaisantaient avec cette amourette naissante. À la faveur de l’été, d’autres couples s’étaient formés pour enchanter ces vacances.
C’était comme si son amour empêché de rentrer comme il l’avait promis, lui envoyait son fils pour le remplacer. Comme s’il ne s’était absenté qu’un moment. Le jour de la naissance du petit Romain restera dans l’histoire comme une date funeste : le 13 novembre 2015.
Le 06 9 2021 : L'enfant rêveur :
Assis au bord du trottoir, comme au bord d’un quai,
Il largue les amarres de ses bateaux de papier,
Dans les courants déferlant au cœur du ruisseau,
Ses caravelles confiées au caniveau
Sombrent avant d’atteindre le port de Cythère.
Ainsi meurent ses rêves d’îles et de terres.
Mais toujours le garçon arrache à son cahier
Une feuille transformée en fier destroyer,
Ou en voilier ou en galère, ou en thonier.
Combien de mers et d’océans a-t-il croisés ?
Combien de leçons et de devoirs transformés
En bateau de guerre, escorteur ou cuirassier ?
Rêve, petit garçon, rêve. Ces grands voyages
Te mèneront plus loin que l’horizon, au large.
Le 05 09 2021 : Ce que les hommes sont :
Il fallut bien la fin d’une guerre pour que cessât celle qu’il menait contre moi : en 1962, l’indépendance de l’Algérie nous obligea à abandonner les terres natales. Derrière nous, nous avons laissé nos coutumes de rustres et la violence qui avait dirigé notre existence. La traversée de la Méditerranée en avion nous a appris qu’il existait un autre mode de vie. En métropole, Papa n’a jamais plus levé la main sur moi, pour quelque raison que ce fût. Enfin, la paix revenue, la fin des coups, la fin de la peur, et pour moi, l’occasion de découvrir un autre père.
Pourquoi pas ? Si cela l’a aidé à vivre, est-ce ainsi que les hommes vivent?
Le 04 08 2021 : Les anniversaires :
Le 03 09 2021 : La perfection :
Rose recherchait la perfection, en tout et toujours. Quand elle recevait des invités, ou même si elle était seule, il lui arrivait de recommencer un plat qu’elle trouvait trop fade, ou trop salé, ou mal agencé, parce que les morceaux de légumes n’étaient pas de tailles égales. Elle trouvait toujours un motif d’insatisfaction, à propos des autres, du monde qui l’entourait et aussi, pour son malheur, elle se jugeait constamment avec une extrême rigueur. Le soir, avant de se mettre au lit, elle vérifiait que ses pantoufles se situaient bien à leur place exacte, là où elle les retrouverait d’instinct au matin, simplement en posant les pieds au sol, sans avoir à tâtonner. Avoir à chercher ses chaussures lui était intolérable.
L’éternelle mécontente dut admettre que son caractère si particulier la condamnait à la solitude et au célibat. Ce fut difficile au début, mais elle finit par s’habituer à sa situation. Cela signifiait qu’elle était particulière, qu’elle n’était pas comme les autres. Elle n’avait pas à changer de comportement, c’était aux autres de se corriger pour lui ressembler.
Les années passèrent sur elle, elle vieillit en dépit des crèmes anti-rides, des teintures, des séances de gymnastique. Elle refusait d’imposer aux autres le spectacle de sa déchéance. Aussi, elle s’enferma chez elle. Dans une solitude extrême. Elle se fit livrer ses provisions sur le palier, tous les deux jours, elle achetait régulièrement de nouveaux vêtements car elle ne supportait pas de se voir négligée dans son miroir. Elle était ainsi, ni elle ni personne ne pouvait la changer.
Elle mourut d’un infarctus, ignorée. L’odeur épouvantable alerta les voisins qui appelèrent les pompiers. On défonça sa porte, on ouvrit les fenêtres et on glissa son corps dans un sac de plastique fermé par une fermeture-éclair. Quelqu’un remarqua que si elle s’était vue dans cet état déplorable, elle serait entrée dans une colère folle. Un autre ajouta qu’elle aura tôt fait de transformer le paradis en enfer, avec son maudit goût de la perfection.
Le 02 09 2021 : Le lys :
Voilà douze ans qu’elle est entrée dans ma vie et je suis immédiatement tombé en amour de son sourire dont elle ne se départit jamais. Un sentiment nouveau et pur, un amour de papy. Je découvrais ce que Victor Hugo nommait l’art d’être grand-père. Elle bouleversa ma vie, je laissai tomber mes lectures austères pour entrer dans la vie de Petit-Ourson, de Dora. Mon univers se peupla de licornes et de poneys à qui il fallait sans cesse inventer des histoires. Quand j’allais la voir, ses yeux s’illuminaient comme un jour de printemps et mon cœur se secouait comme pris d’un fou rire irrépressible.
Je lui lisais tant et tant de fois ses livres cartonnés qu’elle les savait par cœur. Elle me corrigeait immédiatement quand je m’amusais à modifier l’ordre des mots ou que je tentais un jeu de mot : Il goutte des tombes, lui disais-je et elle riait. La nuit est tombée : boum ! Et elle s’esclaffait, nul besoin de lui expliquer, elle saisissait les nuances et nous nous en amusions ensemble. De ces heures de lecture, il lui est resté la passion des livres, elle s’est mise à l’écriture et me surprend par son imagination.
Elle a grandi comme un grand lys, silencieuse et douce, sa présence auprès de moi m’apporte une paix bienfaisante dont j’ai le plus grand mal à me passer. La même affectueuse connivence nous lie, le goût des lectures, des mots.
Je crois bien ne l’avoir jamais vue en colère, pas de caprice de gosse. Ce qu’elle fait, elle le fait bien. Elle voudrait que tout soit parfait dans son monde. Pas étonnant qu’elle se destine au bien-être des animaux. Elle voudrait devenir vétérinaire, vivre avec les chevaux, diriger un centre équestre et transmettre sa passion. Je ne doute pas qu’elle y parviendra car les chevaux l’ont sauvée. En abordant l’adolescence, elle fut prise d’un mal étrange et terrible : elle refusa de s’alimenter, sombra dans une sorte de mélancolie mortifère, se cloîtra dans un mutisme épouvantable. Elle maigrit beaucoup et s’éloigna de nous. Le hasard voulut qu’avant sa maladie, nous avions retenu un stage de cheval pour les vacances d’été. Les médecins lui présentèrent une sorte de chantage : Tu es si faible, tu as tant décliné qu’il serait dangereux de te faire mener un cheval pesant plusieurs quintaux. Tu n’aurais pas assez de force. Elle entendit le message.
Lola recommença à manger et reprit le goût de vivre. Il était juste temps. Nous, ses parents et grands-parents, nous ne dormions plus. Sa mélancolie est partie comme elle était venue. Sans doute voulut-elle arrêter là notre douleur.
Son sourire revint, elle reprit ses passions là où elle les avait laissées : l’écriture, la lecture, les études, le sport, la piano qu’elle apprend seule.
Me croiriez-vous si je vous disais que je suis fou d’elle, que je prie chaque jour pour que son chemin ne soit pas semé d’embûches, pour que sa vie soit belle.
Je donnerais tout ce que je possède pour l’accompagner encore quelques années, comme quand elle était petite et me guidait vers les rayonnages de la bibliothèque en me tirant pas la main.
Et savez vous ? Lola, a une sœur, toute à son opposé. Une petite diablesse vive et malicieuse, impatiente, curieuse de tout, bavarde, cocasse, attachante. Lola possède le secret du silence, Jeanne celui de l’innocence.
Sans elles, je suis certain que j’aurais depuis longtemps jeté mes rames et que j’aurais accueilli la fin sereinement.
Le 01 09 2021 : L’ivresse du pouvoir.
Il n’est pas que l’amour qui rend fou. Avec raison, on parle d’amour fou, un sentiment qui fait justement perdre la raison. On voit ainsi des femmes dignes d’un royaume tomber amoureuses d’un bougre quelconque, pourri de vices. Par une curiosité du langage on dit tomber en amour quand on s’élève au septième ciel. Quand il s’agit d’amour, même le vocabulaire est fou. Le poète Aragon trouve quelque exaltation dans l’expérience d’aimer à perdre la raison. Étienne Roda Gil et Julien Clerc trouvent une beauté dans la douleur subie en aimant dans Souffrir par toi n’est pas souffrir. Le masochisme devient admirable.
L’exercice du pouvoir engendre d’autres folies. L’Histoire des nations fourmille de cas où un despote perd les pédales, se comporte soudain en despote, en dépit de tout raisonnement. Il piétine les promesses faites au peuple et, une fois sur le trône, oppresse, réprime, sanctionne, exerce sa cruauté sans rendre de compte. Ainsi Caligula qui avait promu consul son cheval Incitatus, qui se réjouissait d’inspirer la terreur et qui, en quatre ans de règne. Ce personnage dépeint par Camus voulait être considéré comme l’égal des Dieux, il n’hésite pas à faire exécuter les membres de sa famille, les consuls de Rome et tous ceux qui lui déplaisent.
Plus près de nous, sous le troisième Reich, alignés derrière leur Führer, une foule de militaires et de fonctionnaires allemands se livrèrent aux plus insoupçonnables actes de barbarie envers les handicapés, les Juifs, les Tziganes, et les opposants au régime nazi. Autour d’Hitler gravitaient des historiens, des artistes, des philosophes, des écrivains, une élite intellectuelle qui aurait dû, par son intelligence ou sa sensibilité, au moins tenter de ramener le dictateur à la raison. Mais non, le Chef entraîna son peuple à la ruine et, si l’on excepte une tentative d’assassinat manquée qui coûta une longue série d’exécutions, la plupart des fanatiques suivirent leur chef jusqu’à sa mort. Après son suicide, le mythe perdura pendant des années. Comme le Christ, Hitler ne pouvait pas mourir.
D’autres dictateurs de tous bords, à droite et à gauche sévirent en Amérique du Sud, en Asie, en Russie, en Afrique, ce qui prouve que la démence provoquée par le pouvoir ne dépend pas du degré de civilisation du pays concerné. Il suffit qu’un homme déterminé se lève et il trouvera derrière lui des armées de bras prêts à le servir aveuglément. La fascination de la folie est une notion également répartie sur notre Terre.
En assistant à la destruction sauvage de notre monde et de ses populations, personne ne dresse l’index vers le ciel. Les voies du Seigneur sont impénétrables. Ne cherchez donc pas à comprendre et continuez de prier et de vénérer Dieu. Ne vous éloignez pas du troupeau. Marchez au pas, le bruit des bottes a toujours empêché de penser.
Le 31 08 2021 : L’appel du large.
Qui n’a jamais ressenti l’appel du large ? Qui n’a jamais eu envie de prendre le large ? De s’éloigner de sa vie actuelle et de partir ?
D’abord, on ne prend pas le large, c’est le large qui nous prend pour nous perdre au beau milieu de l’immensité bleue, au milieu de l’uniformité, au milieu de nulle part. Ensuite, au large, la mer n’est guère plus différente qu’à deux-cents mètres de la rive. Alors, pourquoi ne pas se planter sur la plage, le dos à la terre et se plonger dans la contemplation de l’horizon ? Pas besoin d’endurer le mal de mer et les dangers des éléments déchaînés.
À moins d’apprécier le danger et avoir le goût du risque et de la montée d’adrénaline ? Ce n’est pas cela que l’on recherche. Celui qui prend le large veut simplement recommencer une autre vie. Ne nous trompons pas, si son ambition était de se confronter aux vents et aux tempêtes, il resterait toujours sur son bateau, comme Bernard Moitessier, parti pour se mesurer à la nature et à lui-même, tenter une expérience extrême pour mieux se connaître et vivre enfin en harmonie avec le monde. Changer d’environnement, de fonction et pourquoi pas de famille ?
En un mot, renaître vierge, ailleurs et différent. Renaître adulte, avec la possibilité de choisir son destin, de diriger sa vie en connaissance de cause, avec l’apprentissage acquis pendant des années d’existence terne et insatisfaisante. Changer de milieu, de décor, de pays, se créer de nouveaux amis, un nouveau métier, guérir de ses frustrations. C’est ce que vise le candidat au départ définitif. Mû par le fol espoir qu’en migrant vers un ailleurs idéalisé, loin, très loin, il laissera derrière lui toutes les contraintes, les chaînes qui emprisonnaient ses rêves.
Faut-il absolument franchir le Rubicon ? Faut-il risquer de tout perdre ce que l’on a si difficilement engrangé? L’herbe et les hommes ne sont pas meilleurs ailleurs, la vie n’est pas plus belle derrière l’horizon. C’est en soi qu’il faut chercher le vrai changement. Diogène avait trouvé le bonheur dans le renoncement de tout, dans la pauvreté et la solitude. Il se contentait de ce que lui offrait la nature, il vivait dans une jarre (et non pas un tonneau), il observait la course des astres. Il malmenait tous ceux qui venaient interrompre ses méditations, fussent-ils les plus puissants du monde. Ainsi, un jour qu’Alexandre-le-Grand admiratif devant cet ermite, lui demandait ce qu’il pouvait faire pour lui, Diogène répliqua sèchement : ôte-toi de mon soleil.
Diogène avait choisi de prendre le large à sa façon, en prenant ses distances avec ses semblables, avec leurs usages, leurs lois, leurs religions, leurs valeurs. Il s’était créé un univers simple et austère. Il vivait parmi les autres plus seul qu’un marin perdu en mer.
On peut donc prendre le large en trouvant de nouvelles clés du monde qui nous entoure, chez soi, parmi les siens, avec ceux qu’on aime et qui nous aiment. La fuite ne résout rien de nos problèmes. Il faut les analyser dans le calme, à l’endroit où l’on vit, les comprendre et chercher en nous les solutions.
Le 29 08 2021 : Les jeux dangereux. (message à la jeunesse).
Quand j’entends quelqu’un, souvent un homme, déclarer avec un sourire indulgent : vous comprenez, j’étais jeune, rebelle, j’étais fou, j’ai commis beaucoup de bêtises (il utilise un autre mot), moi aussi, je ris, je ris jaune. Je ne comprends pas pourquoi un jeune s’autoriserait à outrepasser les lois en prétextant son âge. À priori un être qui ne s’est pas encore frotté à la dure réalité de la vie en société, à la jungle du marché du travail, n’aurait aucune raison d’en vouloir à qui que ce soit. Ses parents sont là pour le protéger, pour satisfaire ses envies et l’accompagner dans ses projets. De quel droit s’autoriserait-il à dégrader le voiture de son père ou de son voisin confronté aux mêmes difficultés. En mai 1968, mois de toutes les libertés et de tous les excès, les fils-à-papa montraient la même violence que le petit peuple. Pourquoi ? Ils n’avaient aucune revanche à prendre sur une société prête à les accueillir.
L’amour de votre prochain (jeune ou vieux) est le seul moteur de votre émancipation. Songez-y.
Le 28 08 2021 : Le grand amour de Luka :
À dix-sept ans, la vie sentimentale de Luka était un désert. Il n’avait jamais été aimé et, par conséquent, ne s’était jamais risqué à aimer. Non pas qu’il fût misanthrope ou imperméable à la beauté féminine, c’était même un constant feu d’artifice d’émotions mais la peur de souffrir, la crainte du ridicule, la terreur de l’échec, tout cela le maintenait à distance de toute velléité d’amourette. Il se sentait pas digne d’intéresser une jeune fille, à moins qu’elle se fût passionnée par les bizarreries de la nature. La Belle et la bête est une magnifique fable qui fait rêver les lauderons, mais hélas, ce n’est qu’un histoire inventée par un poète. Cela n’existe pas, ou si peu…
Luka n’était pas franchement laid, la nature l’avait pourvu de tout le nécessaire mais elle devait être pressée de se débarrasser de la tâche, elle avait bâclé le travail. Le nez trop gros, trop rouge, trop long, saillait du visage comme une lave incandescente. Il lui tirait les chairs et le coin des yeux ce qui lui donnait un air sournois. Sa bouche n’était qu’un trait de canif en travers du mince espace ménagé entre la base de son nez et son menton fuyant. Aucune chance de trouver l’amour. Il n’avait ni la fortune ni la noblesse, ni la notoriété de Don Salluste pour faire estomper la disgrâce de sa face. Le ver de terre amoureux d’une étoile avait tout intérêt à se résigner à la solitude sous peine d’endurer un calvaire.
Heureusement, s’il n’avait pas d’amoureuse, Luka avait un ami, un seul, un frère qui se désolait de le voir malheureux comme les pierres. Julien, (c’est ainsi que se nommait cet autre lui-même), ne voulait pas assister au calvaire sans tenter d’aider son ami. Il tenta de trouver une généreuse intrépide dans son cercle de connaissances pour verser un peu de miel sur les plaies de Luka. Il se montra si persuasif que trois ou quatre demoiselles acceptèrent de venir à son secours, mais, au dernier moment, elles tournèrent les talons. Une jolie fille se discrédite en acceptant la compagnie d’un garçon aussi mal fichu, en ramassant ce que les autres ont dédaigné.
Loin de se décourager, Julien se jura de persévérer jusqu’au succès de son entreprise. C’est Francis Bacon qui lui inspira une stratégie innovante. Le professeur d’arts plastiques leur avait parlé de la notion relative de beauté. Il avait projeté au mur des reproductions des œuvres du peintre dépressif et démoralisant. Les œuvres exerçaient une fascination sur certaines camarades féminines qui ne pouvaient détacher leur regard des silhouettes en décomposition, des gélatineux visages difformes. Il surprit même Noémie en train de voler une photographie dans le sac de l’enseignant pour la contempler dans le secret de sa chambre.
Alors, il commença à répandre le bruit que Luka ne cherchait pas d’aventure car une princesse lui vouait un amour exceptionnel, immense. Une de ces passions qui balayent tous les obstacles et qui pourrait s’inscrire dans la liste des romances légendaires. Il l’avait rencontrée en vacances dans le Lubéron. Elle se promenait sur un chemin isolé, brûlé par le soleil. Elle s’était tordu le pied sur un caillou et il l’avait soutenue jusqu’à la grande maison où elle vivait avec son père, un riche veuf. Luka l’y avait déposée, puis pendant quinze jours, il revint prendre de ses nouvelles et passait de longues heures à bavarder de choses et d’autres. Elle lui raconta qu’elle n’avait pas d’amis, tous les garçons qu’elle croisait n’en voulaient qu’à son argent. Elle portait sa richesse comme une croix car elle révélait la laideur de la nature humaine.
En septembre, de retour à Paris, les deux jeunes-gens perpétuèrent leurs rencontres qui devinrent un rite indispensable. Ils ne pouvaient plus se passer l’un de l’autre, ils vivaient l’un pour l’autre. Voilà la fable imaginée par le brave Julien et les filles du lycée réagirent comme devant les Trois études pour une crucifixion du peintre britannique. Subjuguées, elles posèrent un autre regard sur Luka. Elle lui trouvèrent une élégance rare, un charme pareil à celui de Serge Gainsbourg aimé des plus belles femmes. Et ce fut à celle qui le séduirait la première. Chacune voulait y goûter pour vérifier que la réalité était à la hauteur du mythe. Luka finit par céder à Berthille, une brillante élève de terminale qui s’éprit de lui. Ils s’aimèrent longtemps, ils se marièrent et n’eurent pas d’enfant car Luka redoutait par-dessus tout de transmettre sa laideur à son enfant et d’en faire un malheureux. Le jeune couple adopta deux bébés qu’ils élevèrent dans l’amour et la tendresse.
Avec l’âge, le visage de Luka s’adoucit et il finit par devenir presque beau.
Le 27 08 2021 : Le courage de la nuance.
La nuance, voici bien une notion honnie en nos temps de certitudes. C’est ce que nous explique Jean Birnbaum. Sur nos écrans, personne ne s’aventure à dire Je ne sais pas, il faut prendre le temps. Chacun assène ses convictions et ne supporte aucune contradiction. Tout est blanc ou noir, le gris n’existe pas, pas de place au doute. Les réseaux sociaux n’y sont pas pour rien. Avant les tribunaux, les malheureux impliqués se voient condamnés à la honte et exécutés en deux trois et mouvements. L’important n’est pas de comprendre mais d’exprimer son avis avec force, de pointer du doigt, de frapper du poing sur la table, de hurler le plus fort et, si possible, d’être le premier à dénoncer. C’est ainsi que des êtres fragiles sont poussés au bannissement, à l’hôpital psychiatrique, au suicide, sans jamais avoir commis la moindre faute, sur un simple soupçon.
Le monde serait bien plus agréable si les humains adoptaient l’idée de la nuance. Tout n’est pas blanc immaculé ou noir de noir. Entre les deux, il y a toute une palette de gris. Un artiste peut être à la fois un admirable écrivain qui révolutionna son art et un sombre salaud raciste comme Louis Ferdinand Céline. Les deux facettes de cet homme ne pouvaient pas coexister après la libération. Il devait être soit le génie de la littérature moderne, soit le sale collaborateur xénophobe et fervent nazi. Aujourd’hui encore, près d’un siècle plus tard, on se bat bec et ongle pour lui tresser des couronnes d’épines ou pour le louer sans nuance.
Sans savoir, sur une rumeur ou une approximation, on jette l’individu dans l’acide de la calomnie. Cette gangrène atteint particulièrement les hommes politiques. Ils sont nombreux, ceux qui ont vu leur carrière brisée par des tribunaux populaires nourris par la presse à scandale : Pierre Beregovoy, Dominique Baudis et tant d’autres, et non des moindres ont été souillés par la haine populaire sans pouvoir se défendre.
Sans faire preuve ni d’angélisme ni d’acharnement aveugle, il faut nuancer. Écouter les uns et les autres, faire la part des choses, se garder de toute certitude hâtive, essayer de comprendre. Les combats politiques favorisent tous les coups bas, les médisances, les rumeurs. Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose. Cette arme nauséabonde est très prisée en période électorale ne nous donne pas une image très plaisante de la politique. Elle est efficace car la masse crédule et gourmande de calomnies se délecte de tout sans s’interroger, elle ne s’étonne de rien, ne modère rien.
Imaginez-vous un débat où l’un des participants dirait : je ne sais pas, nous ne savons pas, d’où tenez-vous votre certitude ? Nous nous trompons peut-être. Bien sûr, Napoléon organisa la France, bien sûr, il imposa notre pays dans le monde, mais il fut aussi un esclavagiste à un certain moment de son règne. Il brada nos possessions en Amérique, il sacrifia des milliers de soldats à son rêve de grandeur. Bien-sûr, il ne mérite pas les lauriers que l’on a posés sur sa tête, mais il ne mérite pas le bûcher qu’on a dressé pour lui. Il a été à la fois l’un et l’autre.
Quand un chef d’état se trompe, de bonne foi ou par machiavélisme, ses erreurs se comptent en morts et en drames humains. Il en va ainsi pour la quasi-totalité des utopies. Et pas seulement : combien de déchirements et de cadavres sur le chemin de la décolonisation ? Les plaies ne sont pas encore refermées.
Rien n’est entièrement blanc ou noir. Pratiquer la nuance aiderait à mieux comprendre l’autre, car la nature humaine est complexe : elle est à la fois généreuse et cruelle. Le En même temps évoqué par notre président. Les gens ne veulent pas piétiner systématiquement les dépouilles pour se construire une carrière. Heureusement, l’âme humaine est généralement propre et l’erreur de jugement est à la fois le propre et le sale de l’homme.
Le 26 08 2021 : On ne redresse pas l’arbre tordu.
Il est de ces hommes qui sont toujours en chasse, toujours aux aguets, toujours affamés d’aventures nouvelles. Chez lui, Nathan avait pourtant tout ce qu’il pouvait attendre de la vie. Une gentille épouse qui lui avait donné une adorable Chloé, une petite blonde au sourire facile, d’une vivacité pétillante. Il avait acheté un appartement bien situé dans une ville de préfecture, dans une agréable région dotée de toutes les commodités que l’on est en droit d’attendre. Le taux de chômage l’avait épargné, il n’était pas allé bien loin dans ses études mais il occupait un emploi de commercial dans une PME et s’y accomplissait. D’un abord agréable, il réussissait à nouer des liens privilégiés avec chacun, il souriait, il exerçait son humour bonhomme, il avait toujours une blague à raconter pour établir un climat de confiance avec ses clients. La chance le privilégiait, il le reconnaissait. Alors, quel besoin avait-il de mettre en danger tous ses acquis ? Pourquoi ne pouvait-il pas repousser les tentations ? Toutes celles qui l’approchaient devenaient ses proies, son instinct de prédateur était toujours en éveil.
Cette appétit de conquêtes concerne souvent les êtres qui ont enduré une enfance difficile, des gamins mal aimés, non désirés par leurs parents, des petits malheureux qui veulent combler un déficit d’affection. Mais cela ne coïncidait pas avec ce que Nathan avait connu. Issu d’un milieu modeste, il avait un frère cadet avec lequel il s’entendait bien, des parents aimants. Les psychologues n’auraient rien trouvé à gratter dans son passé.
Son tableau de chasse était considérable, tout ce qui portait jupons l’intéressait : les secrétaires de ses clients, la boulangère, la voisine d’en face, la factrice, il courtisait sans relâche et ses efforts étaient souvent couronnés de succès. Il papillonnait de l’une à l’autre, sans se dissimuler, sans crainte de détruire son foyer, de perdre son épouse qu’il aimait et sa petite qu’il adorait.
C’est ce qui arriva. Un jour, sa femme vida les poches d’un de ses pantalons qu’elle devait porter au pressing. Elle y découvrit une feuille de papier pliée en huit, une lettre rédigée par une femme, une élégante écriture ronde comme un ventre de parturiente. Elle perçut sa découverte comme une balle en plein cœur. Elle crut que sa poitrine allait exploser. Elle passa par toutes les émotions, l’incrédulité, la colère la haine, la jalousie, le désespoir. Elle fut tentée de poser les valises de son homme sur le seuil et lui interdire l’accès du domicile conjugal. Mais Christine était une femme réfléchie, elle n’allait certainement pas s’abandonner à un geste inconsidéré. Elle fit bonne figure pendant quatre jours. Vaillamment, elle ne laissa rien transparaître de sa détresse, jusqu’au soir où, pendant le dîner, elle aborda le cruel sujet avec un calme admirable.
Elle posa devant devant lui la maudite lettre : Je sais tout, mon chéri, ce n’est pas la peine de tenter d’inventer des histoires, je ne t’ai jamais menti et je te demande d’agir de même avec moi. J’ai bien analysé la situation et voilà le résultat de mes réflexions.
A : je ferme les yeux pour cette fois parce que je t’aime mais tu te croiras autorisé à me tromper éternellement. Cela, je le refuse.
B : Nous entamons une procédure de divorce et nous brisons des années de bonheur. Pour te punir, je te pourrirai l’existence, je t’empêcherai de voir ta fille, je déménagerai très loin, à l’autre bout de la France afin que tu ne me retrouves pas. Mais je ne veux pas vivre dans la haine et la vengeance, cela ne me convient pas.
C : Comme ma vie est fichue, je te tire une balle dans la tête avant de me tuer. Notre bébé paiera la faute de son père mais je ne veux pas qu’elle souffre de ton inconstance. Je ne veux pas plus être la seule victime de tes incartades.
Voilà, pense à tout cela. Pour une fois, réfléchis à tes actes et au mal que tu nous infliges. Je te laisse trois jours pour me communiquer tes conclusions.
Nathan s’effondra, en pleurant, en sanglotant, il balbutia qu’il n’avait pas besoin de trois jours pour répondre. C’était tout vu. Il était un monstre, il regrettait, il se fustigeait, il se frappa la poitrine, il jura, il tomba à genoux, il enlaça les jambes Christine, il la supplia de lui accorder une seconde chance, le dernière.
Personne ne change jamais. On ne redresse pas un arbre qui pousse tordu. Aucun tuteur, aucun étai ne peut corriger ses vices. De même, quand on est cavaleur, on le reste jusqu’à sa mort.
Le 25 08 2021 : Pour garder ses amis :
Henri ne pouvait pas garder ses amis : un à un, un jour ou l’autre, ils finissaient par le quitter. Sans qu’il puisse comprendre pourquoi, alors qu’il se croyait lié à eux par une belle et solide relation humaine, ils ne l’invitaient plus à boire le verre de l’amitié, ils l’oubliaient quand il y avait quelque événement à célébrer, ils ne lui téléphonaient plus pour prendre de ses nouvelles ni pour le renseigner sur leur santé. Au soir des matchs de foot, ils ne l’appelaient plus pour commenter la partie.
Il ne comprenait pas comment s’était creusé ce vide autour de lui. Même en cherchant bien, il ne trouvait pas ce qui déplaisait soudain en lui. Il s’était toujours montré serviable, disponible. Son ami laissait-il sa voiture au garage pour une révision, il allait le chercher chez le mécano pour lui éviter de marcher, il l’accompagnait au supermarché. Il n’était pas du genre à laisser quelqu’un dans l’embarras. Cela, personne ne pouvait le lui reprocher. De même, il savait écouter les autres quand ils avaient besoin de confier leur mal-être.
La politique et la religion. Il ne comprenait pas que Dieu soit souvent mêlé aux plus terribles massacres depuis la découverte de l’Amérique par les conquistadors. Selon lui, la foi n’était qu’un prétexte d’asservissement et cela ne signifiait rien d’autre que Dieu était une invention humaine, un moyen de dominer l’autre. Aussi, il déclarait ouvertement son athéisme, il ne priait pas à l’église et répétait qu’à sa mort, il ne voulait pas de bénédiction ni de curé. Un trou dans la terre et au revoir. Pas de requiem, pas de goupillon, pas de croix, pas de simagrées car il n’était pas dupe. Quand il se lançait dans ses protestations, sa voix tremblait de colère, il enrageait. Et ce qu’il se passait dans les églises avec cette vague d’abus d’enfants n’était pas fait pour le calmer.
Sa sincérité finissait par heurter. Et pourtant il ne se l’autorisait qu’avec ses amis, parce qu’ils étaient ses amis et qu’on peut tout dire à un ami. Ce constat brutal suscita des interrogations. On se trompait sur l’amitié, on ne pouvait pas exprimer toutes ses opinions, l’intolérance n’épargnait pas ceux qu’on croit des vrais amis. Il faut savoir mordre sa langue, ménager ses confidents, si on veut les garder.
Il fit le tour des trois ou quatre anciennes relations les plus chères, celles dont l’éloignement l’avait le plus affecté. Il les invita à fêter sa retraite, il avait préparé un banquet dans un restaurant réputé de la ville. Il avait commandé un orchestre pour que les convives puissent danser. Des camarades de travail avaient accepté de venir avec leurs épouses, des gens sympathiques avec lesquels on ne s’ennuyait pas. Il saurait se montrer reconnaissant envers ceux qui participeraient à sa soirée. Et tous promirent de venir. Il allait devoir payer le repas et la location de la salle, l’orchestre et tout le reste dans le seul objectif de récupérer ses quelques vieux amis les plus précieux. Mais il ne regrettait pas les frais conséquents qu’il avait engagés. Cela valait le coup.
Le 24 08 2021 : Lettre d’un inconnu.
Élisabeth était à sa fenêtre. En ce printemps, comme tous les jours, dès les premiers rayons du soleil, elle arrosait ses géraniums accrochés à la rambarde.
Les passants qui longeaient le trottoir la connaissaient, ils lui adressaient un signe de la main. Dans le quartier, on aimait bien mamy Élisabeth. Tout le monde la nommait ainsi bien qu’elle n’eut jamais d’enfant et encore moins de petits-enfants. Elle était devenue Mamy depuis longtemps, depuis que ses cheveux avaient commencé à blanchir, pour cela et parce qu’elle était gentille et douce comme une grand-mère. Elle aurait bien voulu avoir un petit-enfant, un garçon ou une fille bien à elle, mais ça ne s’est pas fait. C’était son destin et il n’y avait rien à faire contre cela. Elle n’avait jamais ressenti le besoin impérieux de chercher un mari. Elle avait rencontré deux ou trois jeunes-hommes avec qui elle avait entretenu une tendre amitié, elle avait même flirté avec l’un d’eux mais cela n’avait pas duré. Peut-être avait-elle manqué de fantaisie, elle s’était montrée trop sage, trop sérieuse. Elle avait eu peur de s’engager. Il s’était éloigné, lassé d’attendre. Et les années avaient défilé rapidement, trop vite, comme un esquif livré au courant. Elle se consola en s’occupant des gamins des autres, elle choisit le métier d’institutrice.
Ce matin-là, de son premier étage, elle distingua un homme inconnu qui semblait venir dans son immeuble. Il marchait courbé par le poids des ans, il n’était pas cassé, simplement fatigué, un peu usé. Sans lever la tête vers elle, il entra dans le hall et en ressorti aussitôt. Elle n’avait pas eu le temps de découvrir son visage. Il repartit de l’autre côté de la rue et disparut. Étrange, songea-t-elle, cet inconnu remuait en elle une sensation bizarre, comme si un courant d’air frais l’avait caressée pendant dix secondes. Elle avait lu quelque part que les défunts se manifestaient ainsi, par un frôlement, par un soupir venu de l’au-delà. Elle haussa les épaules et oublia ce promeneur.
Il ne l’avait jamais oubliée et, pendant des années, il l’avait cherchée vainement. Sa vie n’avait été qu’une longue quête. Il guettait les jeunes femmes dans la rue, longtemps, il emprunta le même train, aux mêmes heures, puis le train précédent, puis le suivant. En vain. Il hanta les abords de la gare, l’avenue marchande, les galeries commerciales de la ville. Elle semblait avoir disparu et il finit par croire qu’elle avait été emportée par une maladie fatale ou qu’elle avait déménagé au loin. Elle avait trop envahi son esprit pour qu’il se préoccupât d’un autre amour. Privé d’elle, il entra en célibat comme on entre en religion.
Depuis ce jour, elle passa beaucoup de temps à sa fenêtre, à scruter les promeneurs. Elle observait aussi les habitués de la bibliothèque. Demain, demain peut-être, demain sûrement se répétait-elle, comme l’inconnu l’avait ressassé pendant des décennies.
Le 23 08 2021 : La dégringolade :
Le français est une langue vivante, elle s’enrichit sans cesse est c’est normal, elle picore des mots nouveaux au-delà de nos frontières quand ceux proposés par notre vocabulaire manquent de précision ou sont passés de mode.
Mais que dire ces nouveaux idiomes qui s’installent comme des sans-gênes et chassent notre bon vieux parler sans lui apporter de nouvelle nuance. Ce n’est pas un enrichissement mais une déplorable dégradation. Une dégringolade. C’est d’autant plus condamnable que la mutilation est infligée par les instances qui nous gouvernent. Aujourd’hui, en haut-lieu, quand on évoque la finance, la vie sociale, on ne parle plus de direction mais de management, on ne nous recommande pas de rester prudents mais confortables. La Grande Bretagne a choisi de quitter l’Europe, ne retenons pas leur vocabulaire !
Pouvez-vous m’expliquer pourquoi le pass s’est imposé au détriment de notre bon vieux passe ? Un passe est précisément une clé plus ou moins autorisée qui permet de franchir une porte normalement fermée. Cette lettre ôtée par l’anglicisme ne change rien à l’ancienne signification. Elle pourrait, à la rigueur, se justifier par un souci d’économie de temps et de papier, mais alors, pourquoi ne parle-t-on désormais plus de problème mais de problématique ? L’adjectif a remplacé le nom commun. Une coquetterie inutile qui complique au lieu de simplifier. Cette confusion qui gagne comme une lèpre devient réellement problématique. La pandémie impacte notre économie. Le challenge est de taille. Elle mine le back-ground. Qu’est-ce que ce savant charabia ? Qu’est-ce que ce salmigondis, ce galimatias ? Notre dictionnaire est-il devenu trop mince ? A-t-on oublié les mots frapper, défi, acquis ? Pourquoi sont-ils passés à la trappe ?
Et le langage de la rue gangrène notre vocabulaire, il entre même dans le dictionnaire du scrabble. Ce jeunisme bouscule les usages. Qu’en restera-t-il dans un demi-siècle ? On n’aime plus, on kiffe, on n’a pas séduit, on a pécho (chopé), qu’a-t-on fait du romantisme ? Les romantiques sont des bouffons. On l’a sacrifié à l’autel de l’argot.
Déjà, le vocabulaire traversait la Manche dans les deux sens. Le joli mot fleureter nous est revenu transformé en commun flirter. La procédure s’est muée en process, le contrat se nomme désormais le deal. Le lexique du monde de la publicité s'en mêle. On n’y parle plus d’affluence mais de rush, on débriefe en stage de brainstorming dans le staff en vue d’un updating de nos podcasts. C’est inutile, prétentieux, consternant. Cette way of process désigne une caste qui se voudrait élitiste et qui, en réalité, n’est que pitoyablement vaniteuse.
Notre magnifique langue vivante est en train de mourir. Elle s’éteindra très vite si nous ne faisons pas le chouf. L’infection nous arrive par la télévision plus que par les radeaux, par les coteries plus que par le peuple.
Nous nous montrons plus que laxistes, face à l’invasion des mots étrangers. Si nous allions chercher l’exemple de nos cousins canadiens qui protègent si vaillamment nos dictionnaires ? Nous serions bien inspirés de copier leurs usages pour sauvegarder notre langue en perdition!
Le 22 08 2021 : Où vont les rêves de ceux qui sont partis?
Paul aimait flâner dans son jardin, il aimait s’en occuper, bêcher le pied des pommiers. Cela l’apaisait, souvent, quand il grattait la terre, un rouge-gorge venait picorer des vers à son côté. C’est d’ailleurs dans son jardin qu’il subit son AVC. Un vertige terrible le précipita en avant. On le transféra aux urgences de l’hôpital où on le mit sous perfusion pendant cinq semaines, puis dans ce centre de rééducation pour réapprendre à marcher, à se déplacer, d’abord dans un fauteuil roulant, puis avec un déambulateur et enfin avec une simple canne. Une lutte de chaque jour qui, durant quatre mois, le maintint loin de sa maison, de sa famille.
Grâce à la compétence de kinésithérapeutes et à force d’opiniâtreté, il récupéra assez d’équilibre pour pouvoir se déplacer dans la rue et même de conduire sa voiture. Il ne put pourtant plus s’occuper de ses fleurs, ni de ses fruitiers. Dès qu’il levait ou baissait la tête, il était pris de vertiges et manquait de chuter en avant.
Ce matin-là, il tenta le diable, il voulut tester ses progrès et s’accroupit un moment, une gouge à la main pour déraciner les mauvaises herbes qui envahissaient un massif d’iris. Il se sentait un peu plus de courage que d’habitude, le ciel sans nuage, la venue de son petit fils de dix ans Romain, tout cela l’incitait à l’optimisme.
D’un mouvement du poignet, le vieil homme essuya son visage. L’ombre droite du garçon semblait soutenir l’ombre tassée du grand-père.
Le 21 08 2021 : Le chef d’œuvre absolu.
Selon Livres Hebdo/Electre Data Services du 2 mars 2021, 60541 nouveaux titres ont été publiés en 2020, contre 68171 en 2019, soit environ un livre par Français, tous âges confondus. En dépit d’une baisse de 11 %, cela reste un chiffre effarant. Pourtant, les livres que l’on garde en mémoire, qui nous ont touchés à vie, que l’on lit et relit chaque année ne figurent pas dans la dernière décennie, et même pas dans ce siècle.
Ainsi, selon moi, le roman que je retrouve comme un ami fidèle, celui qui m’émeut toujours autant n’est pas l’un de ces énormes pavés à la mode, non, mon livre préféré ne comporte que 95 pages dans l’édition de poche. Cette œuvre date de 1937, je n’étais pas né, c’est dire s’il s’agit d’une antiquité, cette merveille ancrée à jamais dans mon cœur : Des souris et des hommes de John Steinbeck raconte une histoire d’hommes simples, un conte sur l’amitié, sur la brutalité du monde où le plus faible n’est pas forcément celui qu’on croit. Une histoire de vie et de mort, une histoire de tendresse, de vice, de vanité qui se déroule dans une ferme où travaillent des journaliers. Georges et Lennie y composent un drôle d’équipage où le brave type accompagne une montagne de muscles avec un esprit de gamin de six ans. Le premier conduit l’autre, le surveille comme l’huile sur le feu, le protège de la cruauté, le second rêve d’élever des lapins, de cesser leur existence d’errance, de posséder une ferme bien à eux, une ambition simple, pour ne pas dire primaire.
Tant de pureté dérange dans cet univers où l’on exhibe ses biceps. Dans la propriété où ils ont échoué gravitent des êtres solitaires : un petit vieux fatigué qui s’occupe d’un chien aussi vieux que lui, une jeune femme coquette, provocante, donc dangereuse qui se sent délaissée par son époux, un jeune fils de patron arrogant et orgueilleux. Tous les ingrédients d’un drame annoncé sont réunis. Nous allons droit vers un dénouement poignant dont je ne dirai pas davantage pour vous en laisser la découverte.
L’ensemble est bouleversant, sa portée franchit le temps sans perdre de son efficacité, de sa puissance. Le langage y est simple, les arguments presque rudimentaires, l’intrigue progresse comme un train que rien n’arrête, les sentiments sont connus du commun des mortels : le besoin d’amour, l’aspiration à la beauté, à un idéal, l’amitié, la probité, la vanité de la créature humaine. Pas de sophistication, d’interrogations métaphysiques, on vit, on meurt sans quête existentielle. Dieu y est évoqué plus qu’invoqué. Il n’est pas de Bon-Dieu mais d’un dieu inaccessible et absent qui ne sert qu’à diriger l’humanité vers un destin tragique.
Non, ce n’est pas un roman joyeux, on est loin du Feel-good tant recherché aujourd’hui. Ce chef d’œuvre ne fait pas du bien, on le lit comme on se gratte une piqûre de moustique. Son plus grand mérite est de nous ramener à la modestie, à la bonté, à la solidarité humaine. Ce n’est pas la moindre de ses qualités. À chaque fois que je tourne la dernière page, j’en sors sonné, remué comme à la première fois. Je me sens en pleine harmonie avec cet écrivain surdoué, ce talentueux peintre de la nature et de la condition humaine. Son langage est universel, limpide.
Si vous ne l’avez déjà fait, précipitez vous chez votre libraire pour acheter l’édition de poche de Des souris et des hommes de John Steinbeck. Vous savez, cet auteur des Raisins de la colères et d’autres histoires qui ont alimenté l’industrie du cinéma et du théâtre pendant près d’un siècle. Vous ne pourrez pas l’oublier et vous y reviendrez durant le reste de votre vie
Le 20 08 2021 : Le dilemme :
C’est la lecture intensive depuis le plus jeune âge qui m’a donné le goût de l’écriture. Lire, lire encore, à toute heure du jour et de la nuit. Lire dès que nous n’avons rien à faire d’autre, dès que nos mains se libèrent, lire pour occuper notre temps et notre esprit, nous imprégner de histoire de personnages inconnus pour éviter que notre propre histoire ne nous envahisse.,
Il faut dire que le livre est un ami sournois, qui nous séduit lentement et force en douceur les portes de notre cœur et s’y installe avec ses bagages , sa nombreuse famille qui devient aussi la nôtre. Nos cousins s’appellent désormais Cyrano, Don Quichotte, Lennie, Mychkine, Vania, Edmond Dantès, Giovanni Drogo, Robert Jordan et tant d’autres qui habitent notre galerie de héros. Ils sont devenus nos modèles, nos compagnons de solitude, les moins exigeants, les plus présents et les plus discrets, toujours disponibles pour nous arracher à l’ennui. Ils ne se fâchent pas quand nous les abandonnons sur une étagère pour nous intéresser à d’autres, ils nous retrouvent avec plaisir. Quels amis humains montreraient une telle indulgence ? Jamais de jalousie, jamais de grands cris. Voilà pourquoi, quand on glisse un œil à la lecture, on est perdu pour la réalité monotone. Et surtout, on veut toujours plus de lecture, elle devient une drogue, elle nous dévore et c’est délicieux. En lisant, nous apprenons comment s’articulent les phrases, nous nous intéressons à la technique de l’auteur, à ses sources d’inspiration et, infailliblement, nous nous essayons à l’écriture avec une prétention inouïe. Comme une parturiente, nous construisons en nous une histoire, un roman, un livre. Nous donnons la vie à des rêves qui deviennent nos enfants. Un an pour porter un roman, c’est exaltant. Quand le vice nous gagne, il devient passion, l’écriture devient le prolongement naturel de la lecture. Les deux se côtoient mais ne se mêlent pas, sous peine de se pervertir mutuellement. L’écrivain se voit contraint de choisir comme entre une épouse et une maîtresse.
Le 19 08 2021 : Haut les masques !
Louis n’avait pas le physique de ses rêves. Grand et puissant comme une montagne, on n’aurait jamais soupçonné de lui autant de romantisme. Depuis des années, il assistait aux reportages sur le carnaval de Venise avec autant d’envie et de mélancolie. Il aurait donné la moitié de sa fortune pour participer à la mascarade. Les parures de princesses, les perruques poudrées, les robes à corbeille, les loups à voilette et dentelles, les escarpins, tout ce qui le transportait dans le monde des élégantes du dix-huitième siècle le fascinait. À force d’y songer chaque année dès la mi-janvier, un jour, voyant le temps défiler à une allure désespérante, il se lança. Il retint une chambre dans une hôtel idéalement situé derrière la place Saint-Marc, commanda un costume complet de Casanova avec le chapeau tricorne, la cape noire, la canne, les gants noirs, les chausses de soie. Il prit le train de nuit pour se retrouver au matin de l’ouverture à la gare de Santa-Lucia, au bord du Grand Canal. Le ciel brumeux se teintait d’orange et de gris-bleu, une délicieuse odeur de pain sucré et de fleur d’oranger flottait dans l’air. Les vaporettos se succédaient déjà à une cadence rapide sur les eaux vert-émeraude des canaux. Il accomplit ainsi son premier trajet enchanteur où il entrevit la magie de la Sérénissime où les premiers masques se pressaient sur les quais, sur les ponts de pierre rouge, sur les placettes. Il descendit sur la plus belle place, au pied du Lion de Saint-Marc et du Palais des Doges. Il lui semblait entrer dans un décor de rêve. En passant devant la Basilique, il fut tenté de s’y arrêter mais il y renonça. Il ne pouvait pas tout visiter dès le premier jour. Il était plus sage de se réserver pour les jours prochains, il était là pour sept jours. Il quitta l’esplanade par la Tour-de l’Horloge. Son hôtel se trouvait à deux pas de là, à l’angle de deux ruelles. Dans le hall, des voyageurs attendaient devant le bureau d’accueil. On y parlait l’italien, l’anglais, l’allemand et le français. Le préposé répondait aimablement aux mille questions des touristes qui voulaient connaître les lieux à visiter, les monuments, les églises, les musées, les manifestations. Il surprenait une phrase par ci, une autre par là qu’il notait dans sa tête. Invariablement, le réceptionniste conseillait l’Office de Tourisme pour acquérir des indications et des billets concernant les visites et les transports, les renseignements de toutes sortes. Son tour arriva vite et il posait ses questions quand il sentit le frôlement d’un jupon amidonné contre le côté de sa cuisse. Près de lui, se trouvait une marquise en habit de soie, de satin et de dentelle. Vous êtes français, demanda-t-elle et sa joie se lisait dans le reflet brillant de ses yeux, les seuls éléments que laissait voir son masque blanc piqué de perles. _ Je suis parisien, répondit-il. _ Quel bonheur ! S’exclama-t-elle, plus heureuse qu’une enfant découvrant son cadeau sous le sapin.
Comme il ressentait la même impression, il n’insista pas et accepta de ne jamais la voir à visage découvert. Ils se noyèrent dans la ferveur de la foule, se perdirent dans les ruelles désertes, sur les placettes secrètes du côté de l’Arsenal, à Murano ou Burano aux maisons multicolores. Ils flânèrent dans les églises aux façades de marbres, admirèrent les toiles de grands maîtres dans la moindre chapelle. Leur séjour passa à une vitesse folle. Ils arrivèrent au jour du départ avec une grande douleur qui leur nouait la gorge. Ils n’avaient jamais évoqué cet instant jusqu’à la veille du retour. Ils découvrirent qu’ils avaient réservé le même train en destination de la Gare de Lyon.
Elle haussa les épaules, elle savait bien qu’il mentait pour lui faire plaisir, ça ne faisait pas rien
Le 18 08.2021 : Le menteur.
Malheureusement, j’ai eu à côtoyer un menteur, un vrai menteur pathogène, un mythomane. Rien n’est plus déstabilisant que la fréquentation d’un tel personnage. Un garçon agréable, serviable, intéressant au possible, toujours prêt à rendre service. Son cercle de connaissances était si vaste qu’il concernait plusieurs pays, plusieurs domaines, des artistes, des vedettes de la télévision, des notaires, des médecins, des grands patrons de l’industrie. Il en parlait avec une telle précision, avec tant de détails qu’il se passa beaucoup de temps avant que la puce nous vînt à l’oreille. Je dis nous car nous fûmes nombreux à tomber des nues en découvrant la vérité. Alors qu’il se présentait comme un cadre important d’une marque automobile japonaise, nous apprîmes qu’il n’avait jamais travaillé, qu’il vivait en empruntant autour de lui et en pratiquant la cavalerie pour rembourser une partie de ses dettes et rassurer un peu ses créanciers.
De telles pratiques ne peuvent pas durer éternellement, un jour, la bulle de rêve explose et les dégâts sont dévastateurs. Malgré une organisation diabolique, tout s’effondra avec un effet domino. Les sphères qu’il avait isolées méthodiquement se mélangèrent, ses victimes se contactèrent pour comparer leurs expériences. Les unes croyaient connaître un important négociant en bois précieux, les autres avaient gobé une histoire d’élevage de crevettes en Thaïlande, d’autres étaient persuadés qu’ils avaient à faire à un agent immobilier ou un trader qui proposait des placements financiers à court terme, très juteux en dépit d’un risque très réduit.
Un jour, alors qu’il était aux abois, il fit appel à ses amis pour obtenir d’importantes sommes d’argent. Selon lui, des maîtres-chanteurs avaient menacé d’attenter à la vie de sa petite fille s’il ne payait pas la rançon ou s’il faisait appel à la police. Bouleversés, ses amis si proches parlèrent entre eux, ils cherchèrent comment l’aider et, ce faisant, découvrirent des failles dans le conte qu’on leur avait livré. Ils s’interrogèrent sur certaines contradictions, consternés de ne pas avoir ouvert les yeux plus tôt. Mais comment avaient-ils pu se montrer aussi crédules. Ils exigèrent d’être remboursés immédiatement, ils se mirent à chercher l’escroc, ils lui prirent son seul bien, sa voiture payée à crédit par ses parents, et le laissèrent sur le bord de la route. Ce jour-là, l’artiste disparut de la région, loin de sa famille ruinée, de sa petite amie qui refusait la vérité et criait à notre malveillance, notre jalousie et Dieu sait quoi encore.
Aujourd’hui, c’est un vieil homme qui a dépassé l’âge de la retraite à laquelle il ne peut pas prétendre n’ayant jamais travaillé. Peut-être profite-t-il de ses cheveux blancs pour tromper son monde ? Comment finira-t-il ? Ce genre d’existence se conclut souvent dramatiquement. Car figurez-vous qu’il est le premier à croire ses fables. D’après ce qu’on m’a rapporté, ce sont les autres qui l’ont floué, qui lui ont volé ses biens. Il reste inaccessible à tout raisonnement. L’humanité s’est liguée contre lui, il n’en démord pas. Il est la malheureuse victime. Les autres ont exploité de sa gentillesse. Cela finira dans la rubrique des faits-divers. Sa mascarade l’y conduit inexorablement. Cela s’est déjà vu.
Notre justice est bien légère avec ce type de malfaiteurs, les peines restent symboliques même avec les multirécidivistes. Sait-on tout le mal et le désarroi qu’ils sèment dans leur sillage ?
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